Journal des futurs #115 – Les nouveaux défis que lance la guerre d’Ukraine à la justice pénale internationale et européenne

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Comment faire mieux avec l’Europe ?

LES NOUVEAUX DÉFIS QUE LANCE LA GUERRE D’UKRAINE 
À LA JUSTICE PÉNALE INTERNATIONALE ET EUROPÉENNE

Bruno CATHALA 
Premier Greffier de la Cour pénale internationale, 
Magistrat honoraire 

Dès le début de la guerre, le Volodymyr Zelensky estime que Vladimir Poutine, et plus généralement les dirigeants de la Fédération de Russie, doivent être jugés pour avoir ordonné et organisé l’invasion de son pays. A ses yeux, cette agression est le crime des crimes, « le crime international suprême, ne différant des autres crimes de guerre que du fait qu’il les contient tous ». Cependant, depuis février 2022, aucune décision concernant la définition ou les poursuites judiciaires en cas de crime d’agression n’a été prise. 

Ainsi, en juillet 2023, non seulement ni le Conseil de sécurité des Nations Unies (CSNU) ni la Cour pénale internationale (CPI), pour des raisons diverses, ne sont en mesure de statuer sur le crime d’agression, mais elles ne souhaitent pas non plus confier à d’autres ce soin. Ce blocage ne peut subsister au risque de créer un désordre mondial incontrôlable. La solution ne serait-elle pas à rechercher dans une évolution de la configuration de l’architecture de sécurité internationale ? 

Le système de sécurité internationale était traditionnellement bâti sur deux pôles : le politique et ses diplomates ; les militaires et leurs capacités à se garantir contre la guerre, à la préparer et à la gagner. Si on a cru un moment que l’économie pourrait également jouer un rôle, l’agression russe en Ukraine tend à montrer l’impuissance du commerce pour prévenir les conflits.  

Parallèlement, la dimension diplomatique a été grandement fragilisée par l’impuissance répétée du CSNU. Le droit de veto utilisé par la Fédération de Russie, alors même qu’elle était agresseur, a au moins relativisé voire totalement anéanti l’autorité du CSNU. 

L’apparition, depuis plusieurs décennies, du nouvel acteur qu’est le juge va évidemment modifier encore cet équilibre instable. Si des systèmes juridiques internationaux sont mis en place depuis le XXème siècle, la justice n’avait jamais été utilisée par des États en guerre, et elle n’était pas apparue comme un acteur plein et entier de ce nouvel ordre mondial. Or, les juges internationaux, parce qu’ils sont indépendants des États, paraissent aujourd’hui dans la situation de pouvoir le devenir en étant ceux qui qualifient le crime d’agression et qui décident qui en sont les responsables. 

À cela s’ajoute que la réalité internationale a profondément changé. De nombreux regroupements d’États ont fait leur apparition. Il n’existe plus seulement le « club » des « grandes puissances », mais ont surgi depuis les années 1950 de nombreuses alliances régionales et économiques comme l’Union européenne ou les BRICS. La guerre en Ukraine n’a, par exemple, pas les mêmes conséquences pour ces entités géographiques.  

On ressent alors des différences de perception face aux évènements, et donc des différences aussi dans leurs visions de la justice internationale. Les pays africains reprochent depuis longtemps à la CPI de focaliser son activité sur eux et d’ignorer les crimes définis par le Statut de Rome qui seraient commis par les pays occidentaux.  

Ils dénoncent le « deux poids, deux mesures » qu’ils estiment caractériser la politique des procureurs de la CPI en prenant pour exemple l’absence de poursuites en Afghanistan, en Irak ou en Israël. 

Face à ce constat, ne serait-il pas envisageable de penser un système mondial non pas fondé sur les grandes puissances mais sur l’articulation et le dialogue entre ces systèmes régionaux ? Dans cette optique, que pourrait-on imaginer pour la justice internationale ? 

À ce titre, créer le TPSU (tribunal spécial pour l’Ukraine) comme une juridiction pénale européenne aurait du sens. Cela pourrait avoir un effet d’entrainement, chacune des régions du monde instaurant un système pénal régional avec pour objectif de protéger leurs peuples et la paix entre les pays de la région. La CPI demeurerait, dans un tel schéma, soit une juridiction chargée d’assurer la cohérence des jurisprudences de ces différentes juridictions régionales, soit une juridiction pouvant juger dans deux cas : l’absence d’un système régional ; l’impossibilité pour la juridiction régionale de juger (par exemple, en cas de crainte quant à l’impartialité des juges). Une telle juridiction régionale inaugurerait le troisième temps de l’histoire de la justice pénale internationale, après Nuremberg, les tribunaux ad hoc et la CPI. 

Cette juridiction pénale européenne pourrait a priori s’appuyer soit sur l’Union européenne, soit sur le Conseil de l’Europe.  

L’UE a certes créé le CIPA. Est-ce pour autant l’embryon d’un tribunal ? S’il s’agit certainement d’une avancée puisqu’elle devrait permettre que des procureurs européens préparent les poursuites pour juger du crime d’agression commis par la Fédération de Russie, elle n’augure en rien de la création d’une structure pour juger de ce crime. En effet, le TPSU pourrait-il être considéré comme impartial au regard des déclarations et des décisions arrêtées par l’UE depuis le début de la guerre ? 

Le Conseil de l’Europe pourrait alors apparaître comme la structure capable d’accueillir cette juridiction. Il est déjà doté d’une juridiction (CEDH) et, par ailleurs, il regroupe la plupart des pays européens, même s’il en a exclu la Russie en 2022. Sa Secrétaire générale a déclaré, le 9 mai 2023, lors de la réunion des États membres de la coalition, que son organisation appuyait les efforts internationaux visant à la création d’un tribunal spécial sur le crime d’agression contre l’Ukraine. 

Nous n’avons pas ici d’autres prétentions qu’ouvrir le débat auquel Volodymyr Zelensky assigne la communauté internationale des juristes par la confiance qu’il manifeste dans la justice depuis le début du conflit. Sommes-nous capables de répondre à cette injonction d’imagination : trouver des réponses concrètes et efficaces à un « anormal », jamais pensé auparavant, que produit chaque nouvelle guerre ? Autrement dit, la justice pénale internationale sera-t-elle au rendez-vous de son temps ?

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