Journal des futurs #118 – L’Europe face aux menaces et aux incertitudes

Facebook
YouTube
LinkedIn
Contact
RSS

Livre Blanc spécial élections européennes 2024
Comment faire mieux avec l’Europe ?

L’EUROPE FACE AUX MENACES ET AUX INCERTITUDES 

Éric DANON 
Ancien ambassadeur, 
Professeur de géopolitique et consultant international 

L’Europe affronte, dans un contexte de grande incertitude, de nombreuses menaces extérieures. 

Le retour des affrontements de puissance 

Le monde est devenu imprévisible et instable. Nul ne peut prédire avec certitude la situation internationale dans seulement un an, soit début 2025 : où en sera l’affrontement entre la Russie et l’Ukraine ? Les États-Unis seront-ils retombés dans l’isolationnisme ? La Chine aura-t-elle attaqué Taïwan ? 

Répondre à ces questions est rendu d’autant plus difficile que les fondements de notre ordre international sont affaiblis par une contestation sans précédent. L’ONU se révèle de moins en moins efficace dans la résolution des conflits ; l’universalité des droits de l’Homme est remise en cause ; les tendances populistes favorisent les dérives autoritaires, voire autocratiques, laissant peu de place aux contre-pouvoirs

Le chaos lié au retour des affrontements de puissance pose un problème fondamental à l’Europe. Celle-ci s’est construite dans une aversion à la guerre, sur l’intégration économique et la culture du compromis. Elle a aboli la violence comme instrument de règlement des différends entre États et au sein des États, montrant ainsi l’exemple au reste du monde. Mais, des guerres balkaniques à la situation en Ukraine, de la crise des migrants à l’implantation de réseaux terroristes islamistes et criminels transnationaux, la démonstration est faite que cette force stabilisatrice peine à peser sur sa propre périphérie. Nous, Européens, pensions après la chute du Mur, que notre modèle allait se diffuser vers tous les continents. Au contraire, les menaces se rapprochent chaque jour davantage de nos frontières extérieures. 

Or, par sa construction même, l’Europe s’interdit toujours d’investir le champ politico-militaire :  

  • confiante dans sa puissance économique pour affronter les compétitions mondiales, l’Europe a négligé sa puissance militaire, se contentant largement de la protection de l’OTAN ;  
  • s’appuyant sur des cultures nationales historiques différentes, l’Europe n’est jamais parvenue à parler d’une seule voie sur les questions stratégiques. Par exemple, les pays membres n’arrivent que très rarement à se mettre d’accord sur l’analyse des menaces extérieures comme sur la nécessité ou non d’intervenir militairement hors de ses frontières. 

De plus, l’Union européenne s’est trouvée confrontée ces vingt dernières années à la remise en cause de sa propre cohésion interne. Le Brexit a affaibli le postulat d’irréversibilité de la construction européenne. Et sous l’effet de la crise économique, de la pandémie de la Covid 19, de la fatigue des opinions vis-à-vis des ambitions intégratrices ainsi que des crises migratoires, voilà qu’est régulièrement remise en cause l’une des manifestations les plus fortes de notre unité : Schengen et la libre circulation des personnes

L’émergence d’une posture stratégique 

À quelque chose, malheur est bon ! Par un retournement dont l’Histoire a le secret, la violence du monde et la guerre à nos frontières obligent désormais l’Union européenne à sortir de sa traditionnelle faiblesse stratégique.  

En particulier, deux évènements sont venus réveiller brutalement l’Europe géopolitique : la présidence de Donald Trump (2017-2021) et la guerre en Ukraine depuis février 2022 (après l’invasion de la Crimée en 2014) : 

  • Dès son arrivée en 2017, Trump introduisit une rupture politico-militaire brutale… en menaçant ses alliés de ne pas les soutenir en cas de conflit si leur effort budgétaire national de défense était insuffisant ! C’était la fin annoncée de l’automaticité de la mise en œuvre du « parapluie » américain (considérée comme implicite via l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord).  

À l’heure où sont écrites ces lignes, le candidat Trump à l’élection présidentielle 2024 vient de confirmer son approche et même d’aller plus loin : il pourrait conseiller à Poutine d’attaquer les mauvais payeurs de l’OTAN ! 

  • La guerre en Ukraine a, quant à elle, convaincu les Européens de la nécessité d’un effort militaire conséquent, non seulement pour venir en aide à Kiev mais aussi pour convaincre Moscou que les Européens étaient capables de faire face ensemble à un adversaire russe désormais très dangereux pour leurs intérêts de sécurité. 

Sous cette double pression, l’Union européenne a établi, en quelques mois et à marche forcée, une posture stratégique de plus en plus cohérente avec notamment : 

  • Une augmentation des budgets de défense de tous les pays membres pour atteindre ou dépasser le seuil « trumpien » des 2 % de leur PIB. Si l’on peut s’en féliciter, on déplorera cependant que l’achat en urgence de matériel américain « sur étagère », sous la pression insistante de Washington, entraine en contrepartie un ralentissement dommageable des programmes européens d’armement. 
  • Un engagement réel de soutien à l’Ukraine se traduisant, outre une perspective d’adhésion accélérée, par la mise en place d’un ensemble exceptionnel de facilités financières et de fournitures d’armements. En particulier, pour la première fois de son histoire, Bruxelles rembourse aux États membres tout ou partie des armes et munitions transférées à un pays en conflit à l’extérieur de l’Union européenne.  

Des citoyens encore peu convaincus ? 

Reste à convaincre nos concitoyens que l’Europe est capable de les protéger. C’est loin d’être le cas au regard des « crises non militaires » de ces dernières années. Demandez à un Grec s’il s’est senti protégé par l’Europe au moment de la crise financière, idem à un Italien devant l’afflux de migrants sur les côtes de son pays ou à un Français ou un Belge devant la multiplication des actes terroristes islamistes… Les citoyens européens se sont à chaque fois détournés des instances communautaires pour rappeler à leurs propres gouvernements leur obligation essentielle : assurer la sécurité, la stabilité et la préservation de leurs modes de vie. Aujourd’hui, la plupart des Européens voient Bruxelles de façon caricaturale, comme une lourde machine juste bonne à édicter des normes parfois contraignantes jusqu’à l’absurde, comme le soulignent régulièrement les protestations des agriculteurs. 

Il est grand temps de réembarquer les Européens dans notre projet commun, non seulement sur des menaces transversales comme le climat ou les pandémies mais aussi sur les questions de défense et de sécurité. Le retour des tensions internationales à nos portes en donne l’opportunité, pour peu que l’Europe se décide enfin : 

  • à prendre conscience de son considérable potentiel stratégique et à développer celui-ci, y compris en redéfinissant en profondeur sa relation avec l’OTAN ; 
  • à prendre des initiatives qui parlent aux populations dans le domaine de la défense, et notamment mobiliser les jeunes autour des guerres hybrides du futur qu’ils devront peut-être affronter. 

Alors seulement, en sortant enfin de sa relégation stratégique, l’Europe redeviendra crédible pour porter au monde le message de paix et de fraternité qui a toujours fait sa force et son rayonnement. 

Facebook
YouTube
LinkedIn
Contact
RSS

Sur Twitter

SynopiaFr @SynopiaFr

Could not authenticate you.

Facebook
YouTube
LinkedIn
Contact
RSS