Selon le code de l’éducation les stages sont  « des périodes temporaires de mise en situation en milieu professionnel au cours desquelles l’élève ou l’étudiant acquiert des compétences professionnelles et met en œuvre les acquis de sa formation en vue d’obtenir un diplôme ou une certification et de favoriser son insertion professionnelle ».

Selon le Conseil économique, social et environnemental, (CESE) dans un rapport de septembre 2012, le nombre de stages en milieu professionnel s’élevait à environ 1,6 million par an, contre 600 000 en 2006. La généralisation des stages dans les cursus de l’enseignement secondaire et supérieur explique en partie cette progression mais il est important de comprendre que ce chiffre est sans doute sous-estimé, car il existe de fausses conventions de stage vendues au marché noir sur internet. Et si les entreprises sont souvent peu regardantes, c’est qu’elles y trouvent leur intérêt: un contrat de stagiaire n’est pas un contrat de travail et le stagiaire est loin de bénéficier des mêmes protections qu’un salarié classique.

Alors à qui profite le stage? Le problème d’aujourd’hui est que certains jeunes peinent à trouver un stage pour valider leur diplôme quand d’autres, ayant terminé leur formation, sont contraints d’accepter un stage faute de trouver un premier emploi. Cette situation conduit inéluctablement à la précarisation des jeunes au sein de l’entreprise.

Par ailleurs, il existe beaucoup de stages qui sont des emplois déguisés.  Depuis les années 2000, l’équilibre s’est rompu en faveur de l’entreprise. Les stagiaires sont désormais une nouvelle main d’œuvre très bon marché. On est loin du stage d’observation, ou du stage encadré par un formateur. Cette usage abusif des stages se retrouve par exemple dans certaines agences de publicité, qui  peuvent compter jusqu’à 15 % de stagiaires. Et ce phénomène provoque un nouveau besoin qui est que « le stagiaire a besoin d’un stagiaire ».

Prenons un exemple concret et pour le moins représentatif de toutes les dérives du système : 

Alors en première année de master, Victoire décide de faire une année de césure pour affiner son projet professionnel et prendre conscience de la réalité du monde du travail qui était, pour elle, assez vague jusque-là. Après avoir envoyé une vingtaine de CV et de lettres de motivation à des cabinets de conseil spécialisés dans le lobbying et la communication de crise, elle a été contactée par l’un d’entre eux.  Pendant les trente minutes qu’ont duré l’entretien, elle a expliqué qu’elle souhaitait faire du lobbying et de la représentation d’intérêt. Son stage devait durer un an. « Ne connaissant rien à l’année de césure et ayant reçu très peu d’informations de la part de l’université lorsque j’avais envoyé mes candidatures en janvier, je pensais que cela était possible. D’ailleurs, les secrétaires en charge des stages m’avaient répété que cela s’était déjà fait et qu’il suffisait seulement de changer le poste lors de la signature de la deuxième convention de six mois pour pouvoir rester dans la même entreprise pendant un an. »

Victoire a donc signé sa  première convention quelques jours plus tard. Commençant le 1er juillet 2014, ils ont d’abord fait une convention de trois mois jusqu’à fin septembre. De cette manière, la première partie du stage était comptabilisée comme un stage de master 1 et non comme une césure. Mais à la rentrée, quand elle a demandé à l’université  de lui faire deux conventions dans la même entreprise la même année, on lui a affirmé que cela n’était pas possible. Le gérant lui a donc proposé de refaire une convention de stage de six mois, de septembre 2014 à mars 2015, comptabilisée pour l’année de césure puis, de faire un contrat de portage salarial pour pouvoir faire les trois mois restant jusqu’en juin 2015. Grâce à ces arrangements tortueux, elle arriverait à travailler un an durant pour le cabinet, payé 436 euros par mois et sans aucun jour de repos prévu, excepté les week-ends.

« Avec le recul, ce qui me choque en premier lieu est le manque d’information. Dans les universités, l’année de césure n’est pas une pratique fréquente et les élèves ne sont pas informés du mode de fonctionnement du système. Comme je m’étais engagée verbalement pour un an auprès du gérant du cabinet, je n’osais pas refuser les combines qu’ils me proposaient pour faire durer le stage. »

Dès son premier jour de travail, on lui a affecté des tâches de relations presse. « Or, durant l’entretien, j’avais parlé du fait que je ne voulais surtout pas faire que des relations presse car j’avais déjà fait un stage dans ce domaine qui ne m’avait pas plu. Ayant été recrutée par candidature spontanée, je n’avais pas eu de fiche de poste et je m’étais fiée à ce que m’avait dit le gérant lors de l’entretien. Du côté de l’université, il n’y avait aucun contrôle sur le contenu du stage. Je n’étais en réalité pas considérée comme une stagiaire en formation mais comme « back office », j’occupais le même poste que d’autres employés. J’effectuais les mêmes tâches, travaillais  quarante-cinq heures par semaine pour 436 euros par mois. Et je n’étais  pas la seule dans ce cas! Sur une vingtaine d’employés, la moitié était en stage ou en apprentissage. J’ai donc vraiment eu le sentiment d’avoir été dupée. »

En 2014, en vue de limiter cet usage abusif la ministre de l’Enseignement supérieur, Geneviève Fioraso a défini « 7 dispositions pour le stagiaire et 3 obligations pour l’employeur ». 

Pour le stagiaire:

  1. Fin des stages de plus de 6 mois : Il est impossible de réaliser un stage de plus de 6 mois consécutifs dans la même entreprise.
  2. Temps de travail limité : le stagiaire ne pourra pas travailler plus que le maître (35 ou 39 heures par semaine).
  3. Une rémunération dès le premier jour du stage de plus de 2 mois : certaines entreprises interprétaient d’une façon abusive la précédente loi en ne rémunérant les stagiaires qu’à partir du 3ème mois. Les stages de moins de 3 mois étant non obligatoirement rémunérés. La nouvelle loi impose donc clairement la rémunération du stagiaire dès le premier jour concernant les stages de plus de 2 mois.
  4. Des congés possibles : En cas de grossesse, de paternité ou d’adoption, le stagiaire peut bénéficier de congés et d’autorisations d’absence d’une durée équivalente à celles prévues pour les salariés. La convention de stage prévoit aussi la possibilité de congés et d’autorisations d’absence.
  5. Une rémunération plus importante et non imposable : La « gratification » minimale d’un stagiaire passera de 436 à 523 euros (+ 87 euros) d’ici 2015. Et pour être équitable avec le statut des apprentis, les stagiaires ne seront plus imposés sur leurs indemnités de stages dans la limite du montant annuel du SMIC.
  6. Un travail en toute sécurité : Le stagiaire ne pourra pas se voir confier des tâches « dangereuses ».
  7. Des tickets restaurants et des indemnités de transport : si l’entreprise en propose à ses salariés, les stagiaires pourront obtenir des tickets restaurant (sans devoir y cotiser) ainsi qu’une compensation partielle pour le transport.

Pour les entreprises :

  1. Des quotas concernant le nombre de stagiaire par entreprise : un plafond maximum sera mis en place en fonction des effectifs salariés adapté à la taille des entreprises.
  2. Des compétences élargies de l’inspection du travail pour contrôler les abus et l’inscription des stagiaires dans le registre du personnel.
  3. La mise en place d’un double suivi des stagiaires par les établissements d’enseignement et par un tuteur désigné à cet effet dans les entreprises.

Il est évident que ces dispositions vont dans la bonne direction, mais nous pensons que d’autres pourraient s’y ajouter : 

  1. Mettre en place un système « d’amende /sanction » pour les entreprises qui abusent des stages à répétition. En effet, la législation devrait pouvoir sanctionner l’entreprise fautive et exiger qu’elle dédommage le stagiaire. Le montant de la sanction devrait être égal au salaire et au temps consacré par le stagiaire au poste qui lui a été attribué.
  1. Mettre en place un « pacte de responsabilité » en sus de la convention de stage.

Ce pacte aurait trois objectifs:

– Répondre aux aspirations des étudiants stagiaires qui veulent trouver un stage et par la suite un emploi, en les faisant bénéficier d’un réel réseau et d’un accompagnement du côté de leur université ou leur école et d’une priorité à l’embauche du côté de l’entreprise.

– Soutenir la mobilisation en faveur des stages et des emplois des étudiants en passant par une logique nouvelle de partenariat entre les universités et les entreprises.

– Faire mieux coïncider les formations et les qualifications des étudiants stagiaires avec les besoins des entreprises.

Ce pacte doit être conclu dans une logique d’engagement réciproque de la part des employeurs et des universités et écoles. Cela permettrait un engagement qui donnerait une meilleure visibilité et une impulsion nouvelle à la mise en œuvre de la politique des stages et de l’emploi des étudiants.

  1. Mettre en place des réductions d’impôts, dégrèvements, et réductions fiscales pour les entreprises qui embauchent en CDD ou CDI leurs stagiaires.

Aujourd’hui, quand un individu est embauché en CDI ou CDD à l’issue de son stage, il existe certains  avantages  comme  la  réduction  de  la  période  d’essai. Toutefois, il n’existe pas de réduction d’impôts ou d’aides financières pour les entreprises alors que cela pourrait constituer une incitation considérable à l’embauche. Et ayant déjà travaillé avec le stagiaire, l’entreprise connaît son niveau et ses compétences, elle sait en qui elle investit.

Ces  aides  pourraient  prendre pour  modèle  par  exemple,  le  CIE­ Starter  qui offre  à l’employeur une aide  allant jusqu’à 655,90 euros pour embaucher un jeune de moins de trente  ans.

Une  autre solution  pourrait  consister  à  exonérer  les  entreprises  d’une partie des  cotisations sociales  et salariales à l’embauche d’un ancien stagiaire.

  1. Etablir une grille de salaires à l’échelle nationale.

Selon la législation, une indemnité de stage est obligatoire au-delà d’une période de 2 mois. Le montant doit être supérieur à 508,20 euros mais reste à la discrétion de l’employeur. Définir un simple minima de gratification de stage n’est pas suffisant. Il conviendrait d’établir une grille de salaire à l’échelle nationale que les entreprises seraient contraintes de respecter avec une flexibilité dans la limite d’un pourcentage à définir en fonction des salaires dans le secteur d’activité ainsi que des salaires au sein de la société. Pour le stagiaire, les critères pourraient être les suivants : durée du stage, niveau d’études, expérience en entreprise, niveau de responsabilité.

  1. Développer l’alternance.

Le contrat d’alternance apparaît comme une solution profitable aux deux parties : les étudiants valorisent d’avantage leur expérience et les entreprises bénéficient d’un  employé sur du plus long terme. Rendre l’alternance plus accessible et moins coûteuse pour les entreprises serait cruciale.

Conclusion

La loi approuvée en juin 2014 ne sera applicable qu’à partir de septembre 2015. En effet l’entrée en vigueur a été décalée à septembre 2015 au lieu de septembre 2014 au motif que les petites structures publiques ou associatives avaient déjà voté leur budget pour 2014. Même si les « 7 dispositions et 3 obligations » vont dans le bons sens, il serait bon d’ajouter d’autres mesures pour les renforcer. La vraie solution au problème restant une embauche saine. Un stage n’est pas un emploi, mais il profite à tous lorsqu’il se transforme en emploi.