La machine s’emballe. Bientôt quatre Premiers ministres en moins de deux ans, une dissolution insensée en 2024 qui accélère la perte de contrôle, et la perspective d’un pays en 2027 dans un état bien pire qu’en 2017. Oui, Emmanuel Macron avait hérité d’une France en difficulté ; il s’apprête à la restituer plus fracturée que jamais, épuisée et désemparée. Si nous ne faisons rien d’ici 2027, voilà ce qui nous attend : un nouveau Président sans majorité, un appareil de gouvernance central embolisé jusqu’à l’asphyxie, et un pays qui, faute de cap, laissera libre cours à son ADN révolutionnaire. Ce n’est pas sérieux.
Pendant ce temps, l’Allemagne réarme son économie à grands pas, l’Italie et l’Espagne, pour ne citer qu’eux, en font autant, les États-Unis dictent leur loi et imposent leurs droits de douane, et l’Asie travaille à dominer le monde. Le « char français », lui, est enlisé dans le sable de ses divisions, pendant que les partis attisent le feu plutôt que de l’éteindre. Cette asymétrie durable nous déclassera pour longtemps si nous persistons à confondre communication et action, symbole et résultat.
Que voyons-nous ? Un Président qui « plane », trop occupé par l’Ukraine et la reconnaissance de l’État palestinien, sans être dans son rôle essentiel, au-dessus des partis ; une vie politique parisienne déconnectée, qui préfère peser dans les urnes que penser au pays, un œil rivé sur les municipales de 2026 et la présidentielle de 2027 et un autre sur les réseaux sociaux, incapable de s’accorder sur un diagnostic commun ; et des Français partagés entre lassitude et colère, qui travaillent, se battent pour avancer, se débattent avec leurs fins de mois, s’inquiètent — et regardent, stupéfaits, l’irresponsabilité qui se trame à Paris. Jérôme Fourquet le résume crûment : « la vie politique est une pièce de théâtre totalement décalée se jouant devant une salle vide ». Voilà des années que l’on promet l’après sans s’occuper du pendant ; que l’on réclame des efforts sans horizon ; que l’on invoque la morale et les grands principes quand il faudrait une méthode, du pragmatisme, des résultats tangibles.
Car le cœur du problème est là : l’absence de méthode, le déni de réalité et l’absence de résultats.
En 2014, nous avions publié un manifeste pour affirmer le droit des Français à être bien gouvernés ; en 2017, nous en appelions à un Grenelle de la démocratie pour remettre la gouvernance au centre des priorités et sortir de l’illusion grisante d’un pouvoir qui n’en a que les apparences ; en 2021, nous réclamions un Conseil National de la Reconstruction (CNR) pour refonder le Pacte républicain. Ses travaux, inspirés par nos valeurs républicaines et leur idéal universaliste, devaient porter sur les questions de nature institutionnelle, les méthodes de gouvernement, les modes de fonctionnement de la démocratie, y compris sociale, l’organisation de l’État, et nos exigences vis-à-vis de l’Europe. Il avait aussi vocation à esquisser les principes et les finalités des grandes réformes dont le pays a besoin, ainsi qu’un calendrier de mise en œuvre.
Mais rien ne fut, si ce n’est un gadget de plus, au service de la « refondation ».
Encore et toujours, l’illusion. Les gouvernants font semblant, par quelques belles déclarations, de poser un diagnostic lucide et courageux. Sauf qu’ils ne parlent ni du « comment » ni du « avec qui », encore moins de l’effet final recherché, et ils passent à autre chose, une priorité ou une crise chassant l’autre.
Ils ne savent plus fabriquer de consentement, ils ignorent même le sens de ce mot, alors qu’une démocratie saine repose précisément sur ce consentement informé — pas sur la contrainte, pas sur la ruse, pas sur le déni ni la tromperie.
Pire, on nous propose aujourd’hui des remèdes qui risquent d’aggraver la maladie, ou qui ne changeront rien, ce qui revient au même. La proportionnelle ? Elle ne réparerait ni l’impuissance ni la fragmentation ; elle pourrait les institutionnaliser. La représentation nationale n’a jamais été la photographie sociologique du pays (elle ne l’est nulle part) ; elle doit être un exemple, l’expression de ce que notre vie publique produit de mieux en compétences, en compréhension des enjeux, en sens de l’intérêt général et du long terme, en capacité à agir et en ferme volonté d’œuvrer à notre cohésion, car on ne bâtit pas une Nation en passant son temps à diviser son peuple !
Sur le plan social, à la veille des mobilisations, tout est possible et malheureusement pas le meilleur. Sur le plan économique, l’incertitude paralyse : l’investissement est gelé, l’initiative se rétracte, l’image de la France se dégrade et son incessante propension à régler un problème par un impôt ou une taxe devient ridicule. La France n’a pas vocation à être un paradis fiscal ; mais si elle persiste à se présenter comme le paradis du fisc et des normes, elle s’exposera à un prix exorbitant : la perte d’emplois, l’étouffement de l’innovation et l’érosion de sa souveraineté. Et dans ce domaine, l’incohérence systémique de nos politiques publiques ne fait qu’empirer la situation.
Le plus grave, sans doute, c’est le vide de sens. Plus de narratif, plus d’horizon. Quand, le 13 mai 1940, Winston Churchill annonçait à la tribune de la Chambre des communes qu’il n’avait « rien d’autre à offrir que du sang, de la peine, des larmes et de la sueur », il a su mobiliser son peuple autour d’un objectif : la victoire et la liberté !
Nous, nous distribuons les mauvaises nouvelles sans destination : impôts, taxes, contraintes, peurs — guerre en Ukraine, menaces climatiques, crispations identitaires — sans perspective commune. Et il n’y a plus, aujourd’hui, de figure politique capable de rassembler la Nation. Il faut d’ailleurs sortir du mythe de l’homme providentiel. De même qu’il faut cesser de désigner des boucs émissaires ou chercher ailleurs les causes de nos malheurs (l’Union européenne, Donald Trump…).
Si la classe politique française était vraiment responsable, face à l’impasse absolue dans laquelle elle se trouve et à l’ampleur des périls qui assaillent la France, elle organiserait immédiatement un CNR, un Conseil National de la Reconstruction. Pas un colloque de plus, pas un théâtre d’ombres, mais un dispositif opérationnel, limité dans le temps, adossé à un mandat clair, un atelier au sein duquel chacun accepte de travailler au service du bien commun et du pays et pas pour sa chapelle.
Il ne s’agit pas d’une incantation de plus, mais d’un sursaut national auquel nous en appelons. Non pas un « petit soir » illusoire – un de plus –, mais un « grand matin » du projet et de la méthode : poser un diagnostic partagé, réaliser les évaluations et les études d’impact nécessaires, définir des priorités incontestables, arrêter des décisions exécutables, redonner sens et légitimité à l’action publique, imaginer les bonnes façons pour gouverner, à chaque niveau, et enfin, proposer un avenir à nos concitoyens et non un simple futur inéluctable. C’est à ce prix, avec des résultats et une perspective, que nous retisserons pas à pas la confiance et réparerons notre cohésion. Sans quoi, nous poursuivrons l’errance jusqu’à l’accident et l’esprit révolutionnaire des Français fera le reste. Il ne sera alors plus temps de philosopher sur une éventuelle « crise de régime ».
La ligne défendue par Synopia depuis sa création en 2012 est constante : gouverner, ce n’est pas promettre, c’est exécuter. Exécuter, ce n’est pas brutaliser ; c’est expliquer, associer, mesurer, corriger. La France n’a pas besoin d’un « maître des horloges » ni d’un Jupiter solitaire ; elle a besoin d’une équipe compétente et sincère qui engage l’action de l’État sur ses deux jambes : démocratie politique (à tous les niveaux) et démocratie sociale (dans toutes ses formes). Qu’on cesse les contre-feux et le bricolage ; qu’on mette enfin en mouvement l’État réel, les entreprises, les territoires, la société civile — et qu’on se donne enfin les moyens de refaire de la France ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : une grande Nation ! Une nation exemplaire. Nous sommes à ce carrefour.
Alexandre Malafaye,
Président de Synopia