Retrouvez l’article de Joséphine Staron sur Widoobiz.com
L’Europe est aujourd’hui à la croisée des chemins. L’un d’eux, peut la conduire vers un regain de puissance, de prospérité et d’autonomie. L’autre, en revanche, la mènera tout droit à la dislocation et à la poursuite de son déclin déjà amorcé. Le premier chemin est celui de la solidarité, et cet essai a pour ambition de convaincre les Européens que c’est la voie à emprunter.
La solidarité en Europe est en crise. Les États s’assurent les uns contre les autres dans un climat de défiance peu propice à l’expression de solidarités et à la définition d’un projet politique commun. Depuis dix ans, les crises s’enchaînent et testent la solidité et la résilience des institutions européennes. Elles en révèlent aussi bien les forces que les faiblesses structurelles.
Surtout, elles induisent une prise de conscience nouvelle : les pays européens sont vulnérables face aux évolutions du monde qu’ils n’ont plus les moyens de maîtriser seuls. Les grandes puissances font fi des règles du multilatéralisme, l’ordre international devient de plus en plus conflictuel et concurrentiel, les États européens accumulent les retards en termes d’innovations technologique et industrielle, et leur dépendance s’accroît dans tous les domaines stratégiques (commerce, défense, santé, industrie, numérique, etc.). Pis encore, la guerre a fait son grand retour en Europe avec l’invasion de l’Ukraine menée par la Russie en février 2022, réaffirmant ainsi, de la manière la plus brutale qui soit, l’opposition des blocs que l’on pensait reléguée aux sombres heures de la Guerre froide.
L’Europe, dans cette réorganisation du monde, ne semble pas avoir encore trouvé sa juste place, celle qui lui permettrait d’assurer la protection, la défense, la prospérité et la liberté de ses citoyens qui subissent en premier les conséquences de cette vive concurrence. Deux fronts sont ouverts sur lesquels elle doit combattre en simultané : d’un côté, le maintien de l’unité pour survivre et prospérer et, de l’autre, la protection des Européens face à un monde extérieur belliqueux, concurrentiel, complexe.
La construction européenne est ainsi à un tournant de son histoire. Elle va devoir très vite faire un choix existentiel, un choix qui la définira pour les décennies à venir. Ce choix est celui de la solidarité qui, lorsqu’elle est bien utilisée, est un puissant vecteur de souveraineté et de prospérité. Mais qu’entend-on par solidarité ? Loin d’une vision angélique de ce concept, il faut l’appréhender comme la clé de compréhension de tout l’édifice européen. Car une chose est certaine : la construction européenne n’est pas une entreprise semblable à celles qui ont façonné la construction d’organisations internationales. Celles-ci se sont, en effet, construites selon le principe de coopération et non de solidarité, parce qu’elles se sont « contentées » d’organiser les conditions d’une coopération plus ou moins approfondie à partir d’une intégration minimale de leurs membres au sein d’un système commun.
L’aventure européenne a donc ceci d’original et d’inédit qu’elle n’attendait pas uniquement des États qu’ils coopèrent davantage ou mieux, mais qu’ils inscrivent de façon volontaire leurs relations dans un cadre plus exigeant : celui de l’intégration solidaire. À l’image du corps humain et de la solidarité biologique qui lie l’ensemble de ses cellules, la construction européenne devait bâtir une solidarité entre les États et entre les peuples si forte qu’elle deviendrait la condition de leur existence, de leur survie.
Mais une différence persistante entre le système du corps humain et celui du corps européen, explique toute la difficulté de cette entreprise de solidarisation historique : a contrario des organes et cellules qui n’ont pas d’autres choix que de faire partie de ce système intégré, les États, eux, sont tout à fait libres d’accepter, de refuser ou de discuter les termes de leur solidarisation. La construction européenne est celle de la quête permanente du consentement à la solidarité.
Aujourd’hui, cette quête semble être au point mort. Le processus européen de solidarisation souffre d’un procès continu aux multiples griefs. Par ailleurs, l’Union européenne est trop souvent perçue par les États membres comme une auberge espagnole inversée : ils viennent y chercher ce qu’ils ont envie d’y trouver (de l’argent, une monnaie unique, de la solidarité ponctuelle dans tel ou tel domaine…). Chacun voit midi à sa porte et voudrait piocher dans le pot commun uniquement ce qui l’intéresse. Mais la solidarité, ce n’est pas ça. C’est tout l’enjeu de mon premier essai intitulé « Europe, la solidarité contre le naufrage », publié en mars 2022 aux Editions Synopia.
Je propose ainsi une nouvelle manière de penser l’UE, comme un instrument de puissance et de prospérité à disposition des Nations, à l’opposé d’une machine à contraindre ou à créer des normes. Ce changement de paradigme est nécessaire aujourd’hui afin de susciter l’adhésion des États et des citoyens européens qui questionnent la plus-value de leur appartenance à l’UE. Il est d’autant plus urgent de mener cette transformation que des évènements extérieurs, notamment la récente guerre en Ukraine, aux frontières de l’Union européenne, nous y invite de manière pressante.
Une chose est sûre : tant qu’il répondait aux attentes des peuples et qu’il était jugé efficace, le projet européen faisait consensus. Or, les attentes ont évolué, en même temps que le contexte européen et international. Beaucoup estiment être des laissés pour compte dans cette évolution que l’UE ne semble pas avoir anticipé. Non seulement l’avenir ne fait plus rêver, mais il inquiète et chacun prend conscience que nous sommes devenus vulnérables dans ce nouveau monde. Face à cette nouvelle réalité, une réponse sans équivoque se dessine : nous devons aller vers davantage de solidarité. La solidarité européenne nous propose une ultime chance sur laquelle nous devons tout miser. Le démontrer est l’objectif de cet essai, en commençant d’abord par comprendre pourquoi nous en sommes arrivés là, et voir comment nous pouvons créer un chemin pour faire de la solidarité une chance pour tous.
Par Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales chez Synopia