« Décaler la présidence française de l’UE pour mieux la réussir ? », par Alexandre Malafaye et Denis Simonneau

Retrouvez cette tribune co-écrite par Alexandre Malafaye, Président de Synopia et Denis Simonneau, Président d’Europa Nova, publiée dans Atlantico le 22 février 2021.

La France devra, au cours des six premiers mois de 2022, assurer la présidence du Conseil de l’Union européenne. C’est un événement majeur qui, tour de rôle oblige, ne se produit désormais que tous les 13 ans.

En effet, chacun des pays membres de l’Union européenne préside, pour un semestre, les réunions des États membres, c’est-à-dire le Conseil de l’Union européenne, même si le Conseil proprement dit de l’Union européenne, c’est-à-dire la réunion des chefs d’État et de gouvernement, est présidé par Charles Michel.

C’est donc la représentation permanente de l’état en présidence qui préside le conseil des représentants permanents (CoRePer). Et ce sont aussi les ministres de l’État qui a la présidence qui président les conseils sectoriels, celui des affaires générales, de l’économie (Ecofin) de l’agriculture, de la justice et des affaires intérieures (JAI), et ainsi de suite à l’exception des affaires étrangères présidé par le Haut Représentant. En cascade, ce sont les hauts fonctionnaires concernés qui président les réunions de travail de leur niveau. Il revient aussi à l’État membre qui préside de représenter le Conseil dans les réunions du trilogue entre Parlement, Commission et Conseil.

C’est dire l‘importance d’une présidence pour l’état-membre qui en a la charge. Pendant six mois, il peut mettre en avant ses priorités, il peut impulser une méthode de travail, et d’une certaine façon, il parle au nom des 27. Mieux même, depuis le Traité de Lisbonne, a été institué un trio de présidences et c’est en fait pendant un an et demi qu’un état-membre peut exercer une influence profonde sur le cycle européen, la France étant associée à la République tchèque et la Suède jusqu’à l’été 2023.

Compte tenu de sa capacité d’influence, de ses moyens administratifs ou de son poids politique, la présidence d’un grand pays constitue donc un moment important de la vie de l’Union.

Dans ce contexte, le premier semestre 2022 tombe bien mal pour la présidence française et il serait intéressant de se demander pourquoi la France a accepté en 2016 un tel calendrier. En effet, en mai-juin 2022, se tiendront les élections présidentielles, puis les élections législatives françaises. Ceci signifie que pendant ces deux mois, et même pendant le mois d’avril, le gouvernement français sera un gouvernement chargé d’assurer les affaires courantes.

De plus, pendant les six mois précédant ce cycle démocratique majeur, la campagne battra son plein, et ne laissera guère de disponibilité au chef de l’État, pas plus qu’aux ministres concernés, de se consacrer aux affaires européennes. Au-delà de cette question, les campagnes électorales étant scrutées au plus près, cela aura aussi des conséquences sur le financement ou la communication afférente à certains évènements : un vrai casse-tête pour le secrétariat chargé de préparer la présidence française. Sans compter sur l’effet perturbateur de la crise sanitaire et de ses multiples conséquences économiques et sociales.

C’est pourquoi ce calendrier est très dommageable. D’abord pour la France, bien entendu, parce qu’il gâche une occasion majeure de peser pour faire avancer les conceptions et les priorités françaises au sein de l’Union. Mais aussi pour l’Europe, qui a un fort besoin d’impulsion politique, ce qui n’est pas du seul ressort de la Commission. Et cette impulsion ne pourra, à l’évidence, pas être donnée par une présidence en campagne, puis, le cas échéant, en train de constituer son gouvernement et d’organiser des législatives.

Certes, Clément Beaune, Secrétaire d’État en charge des Affaires européennes, et son équipe préparent minutieusement, avec l’aide du SGAE, cette présidence depuis de nombreux mois. Mais il y a fort à parier que les marges de manoeuvre de la France seront réduites et que ses partenaires européens ne seront pas enclins à négocier les dossiers mis sur la table par un gouvernement sur le départ ou, du moins, qui sera engagé dans un cycle électoral qui dissipera son énergie ou pourra le remettre en cause. Il se peut même que les autres pays de l’UE et certains candidats aux élections présidentielles françaises reprochent à Emmanuel Macron de se servir de cette présidence de l’UE comme d’un levier électoral, ce qui serait alors très contreproductif pour la présidence française.

Pour qu’elle soit un succès, la présidence française doit au contraire bénéficier de l’attention de tout l’exécutif et l’ensemble des administrations doivent être mises en ordre de marche. Si Emmanuel Macron est reconduit à l’issue du vote du mois de mai 2022, il profitera alors de la légitimité démocratique indispensable pour parler avec force au nom du peuple français – et être écouté par les autres pays – voire au nom des autres peuples, qui connaissent des débats politiques similaires.

C’est pourquoi il nous semblerait judicieux que la France demande aux institutions européennes et à ses partenaires de consentir à ce que sa présidence fût décalée d’un an, pour s’exercer au premier semestre 2023.

La France pourrait ainsi régler ses problèmes internes au premier semestre 2022, et passer de la première à la dernière place du trio. Ce serait alors une présidence pleine, forte, et légitime.

Cette demande est sans doute trop tardive mais alors que l’on reproche souvent à l’Europe son « déficit démocratique » et son manque de leadership, respecter autant que possible le cycle électoral du pays en présidence semble un minimum pour assurer le caractère démocratique du Conseil, qui est une institution majeure de l’Union. Les institutions seraient bien avisées d’en tenir compte car le reste du monde, lui, n’attend pas.

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