Retrouvez l’article de Alexandre Malafaye dans Atlantico
Chacun se souvient de cette instance à l’acronyme grotesque (Commission d’organisation et de contrôle des opérations électorales) dont les travaux ont occupé l’espace médiatique, au temps de la controverse Fillon/Coppé : pendant des jours, pour la plus grande joie des réseaux sociaux, le parti gaulliste s’était ridiculisé.
Alors certes, comparaison n’est pas raison. Mais nous sommes pourtant fondés à nous demander si le fiasco procédural qui avait semé la zizanie au sein de l’UMP ne guette pas la République en Marche. En effet, pour désigner ses candidats aux municipales, le parti présidentiel amis en place une commission nationale d’investiture (la CNI, donc) dont la ressemblance avec la feue COCOE saute aux yeux (sauf peut-être à ceux des marcheurs les plus galvanisés).
La plupart des membresde la CNI sont inconnus du grand public. Ils pourraient ainsi traverser Paris à pied sans que personne ne les reconnaisse. Et cependant, ce sont eux qui vont, par exemple, décider du candidat de LREM pour Paris, un choix qui intéresse les Parisiens, mais aussi les Franciliens et enfin tous les Français. Car Paris est leur capitale.
Aux inconnus de cette instance s’ajoutent d’autres membres de LREM bien placésdans l’appareil du parti.
En soi, une telle constitution n’aurait choqué personne voilà vingt ans. Personne n’était dupe et tout le monde acceptait le fait du prince, les boites noires et l’illusion de démocratie interne. Est-ce encore le cas aujourd’hui ? Il ne serait pas déraisonnable d’en douter, d’autant que le process mis en place par la CNI ne peut qu’engendrer de la suspicion.
La COCOE était chargée d’interpréter les résultats d’un scrutin contesté par les compétiteurs.
La CNI ne s’embarrasse pas d’élections internes : elle les remplace, et est censée désigner depuis Paris les têtes de liste aux municipales – un scrutin pourtant local par excellence – dans plus de 1500 villes de plus de 9000 habitants.
Nous percevons aisément les occasions de contester des décisions venues d’en haut, qui pourraient être vécues comme des diktats.
Et ça n’a pas manqué : à Paris, cinq candidats ont récemment pris la parole, dans une tribune commune, pour en appeler à une « consultation citoyenne ». La démarche des pétitionnaires n’est sans doute pas dénuée d’arrière-pensées : ils entendent conjurer la désignation annoncée de Benjamin Griveaux dont il se murmure que ses amis seraient nombreux au sein de la CNI. Mais qui pourrait leur donner entièrement tort ? Car si la geste macroniste trouve son origine dans le refus des primaires, elle est aussi nourrie de la promesse de nouvelles manières de faire de la politique. Et aujourd’hui, il ne faut pas s’y tromper : la méthode (ou la façon de procéder) est devenue aussi importante que projet. Aussi bien pour réussir que pour recréer de la confiance vis-à-vis des citoyens.
Par ailleurs, il convient de noter qu’aucun des candidats déclarés n’a de légitimité naturelle, ni même d’expérience pour exercer un tel mandat : aucun n’est élu de Paris. Aucun n’a été maire. Cette lacune mérite attention. Elle devrait obliger la CNI à proposer un système de désignation qui fabrique de l’adhésion et installe le vainqueur dans une dynamique de succès, qui permette de valider ses compétences, qui donne envie aux Parisiens et qui, par ricochet, aide à tenir la promesse du renouveau démocratique. Pour mémoire, il s’agit du 5ème pilier du programme du candidat Emmanuel Macron. « Faire de la politique autrement », ce n’est donc pas de « la poudre de perlimpinpin ». Ce n’est pas non plus imposer des candidats au terme d’un processus opaque qui rappelle davantage le « centralisme démocratique » si cher au PCF post-stalinien et nous éloigne encore un peu plus de la promesse d’une démocratie plus participative.
Mais il n’est jamais trop tard pour bien faire et il existe des solutions originales et simples à mettre en œuvre, que l’actuel gouvernement expérimente d’ailleurs : un jury de citoyens tirés au sort est en cours d’installation au CESE (Conseil économique, social et environnemental) pour travailler pendant six mois le sujet de la transition énergétique.
Fort de cette jurisprudence, la CNI pourrait constituer un jury de marcheurs parisiens, dix par arrondissements. Réunis sur une journée, ils auraient pour mission de choisir le candidat de LREM. Le matin, les 200 marcheurs entendraient les candidats déclarés et débattraient avec eux. Un premier vote interviendrait à midi. Les deux prétendants les mieux placés se retrouveraient l’après-midi pour un nouveau débat avec le jury, et un deuxième vote viendrait les départager à l’issue.
A l’évidence, une telle procédure rassurerait les adversaires de Benjamin Griveaux, les observateurs, les réseaux sociaux et les électeurs. Elle aurait le mérite de la novation et serait mise au crédit de la CNI et de LREM (qui pourrait la déployer ailleurs qu’à Paris). Enfin, elle donnerait au vainqueur une vraie légitimité pour affronter la maire sortante (rien n’est gagné), et conduirait les vaincus à accepter le verdict du jury, sans qu’il ne puisse y avoir de contestation ni de naufrage façon COCOE. Au contraire, tout compétiteur qui se respecte accepte d’être battu par meilleur que lui. Sauf si le vainqueur à triché. Et qu’il le veuille ou non, Benjamin Griveaux, s’il est le candidat de la CNI, risque bien de se voir coller une telle étiquette sur le dos. Et il n’est pas certain que cela lui rapporte des voix le jour su scrutin venu.
Bienvenue dans le nouveau monde !