Retrouvez l’article de Joséphine Staron, administratrice de Synopia, sur Atlantico.
Alors que les élections européennes se rapprochent à grands pas, les formations politiques de tous bords commencent à dévoiler leur vision sur le futur de l’intégration européenne.
Dans sa lettre aux Européens, le Président français donne le ton de la campagne électorale qui s’annonce : « c’est le moment de la renaissance européenne » dit-il. Par ces mots, Emmanuel Macron exprime l’enjeu de ces élections : sortir enfin de la panne sèche dans laquelle se trouve la construction européenne depuis bientôt 20 ans.
En effet, à l’aune du Brexit et des conséquences de la crise migratoire sur la solidarité européenne, conjugués à l’arrivée au pouvoir de partis politiques ouvertement eurosceptiques et nationalistes, ces élections apparaissent comme celles de la dernière chance pour le projet européen, son heure de vérité.
L’UE : un objet politique non identifié
Le statu quo a longtemps prévalu dans la construction européenne pour des raisons avant tout pragmatiques et réalistes. L’UE est un o.p.n.i – objet politique non identifié – sur lequel chaque pays, chaque formation politique, chaque citoyen projette une vision particulière des finalités à poursuivre et de la forme institutionnelle à privilégier.
L’UE, c’est un peu ce brouillon institutionnel qui, en dépit de son jeune âge, a d’ores-et-déjà éprouvé une multitude de modèles sans jamais pouvoir se réduire à un seul d’entre eux ; un brouillon qui évolue et tente de trouver sa place parmi les -ismes qu’on souhaite lui voir incarner (fédéralisme, supranationalisme, intergouvernementalisme, cosmopolitisme, universalisme, fonctionnalisme, etc.) ; un brouillon qu’on accuse d’être de bric et de broc mais qui a pourtant permis des réalisations politiques, économiques, juridiques que l’on croyait impossible.
La construction européenne a surpris. Elle a suscité l’étonnement des philosophes, des historiens, des économistes, des juristes, etc. Quoi qu’on en dise, pendant près de 50 ans, la méthode dite « des petits pas » a fait ses preuves. Et, en dépit d’un essoufflement de cette dynamique, l’on voudrait croire encore à la validité de cette méthode, celle des pionniers de l’Europe.
Mais aujourd’hui, dans le contexte d’une Union européenne élargie et en panne, aussi bien en termes d’idées, de projets que de réalisations concrètes, les conditions et les justifications de l’intégration doivent être renouvelées et clairement énoncées au travers d’un nouveau projet européen. Sans cet aggiornamento, nous risquons d’assister sous peu au délitement de l’Union.
En effet, les rapports de force au sein du Parlement européen qui émergeront des élections détermineront la tonalité et l’orientation de la prochaine gouvernance européenne. Il est très probable que les partis politiques les plus eurosceptiques ou « populistes » obtiendront un nombre de sièges important, sans doute pas assez pour prétendre à la présidence de la Commission européenne(mais qui sait ?). Dans tous les cas de figure, la reconfiguration politique du Parlement européen et, plus généralement, celle que vivent les États nationaux, imposeront un changement de cap à la construction européenne.
Toute la question est de savoir de quel côté penchera la balance ?
Une Union européenne en panne sèche
Si l’UE souffre d’un déficit de légitimité et de confiance, c’est parce qu’elle ne protège pas ou pas assez. Alors que l’échelon européen de gouvernance était présenté comme plus protecteur que l’échelon national, les peuples ont le sentiment que l’Union européenne les pousse à baisser la garde face à un monde perçu comme menaçant et agressif.
C’est un constat partagé par toutes les formations politiques : la campagne électorale aura au moins permis de revaloriser l’idée nécessaire d’un protectionnisme européen, bien loin des aspirations universalistes et des questionnements autour d’une démocratie postnationale qui ont longtemps dominé les débats en Europe.
Pourquoi la construction européenne s’est-elle, peu à peu, éloignée de son rôle premier – la protection des intérêts stratégiques et vitaux de l’Europe et des Européens ? Tout simplement parce que cette protection nécessite d’identifier et d’obtenir un consensus sur le contenu de l’intérêt général européen. Or, si la recherche du consensus est caractéristique de l’identité institutionnelle de l’UE, celle-ci s’est heurtée à la diversité croissante des intérêts particuliers des États, et elle n’a pas su – ou voulu – transformer ses méthodes de gouvernance. Aujourd’hui, ce sont justement ces méthodes qui sont à l’origine de la panne sèche du projet européen et de son ingouvernabilité chronique.
Depuis presque 20 ans, les citoyens Européens n’ont cessé de tirer le signal d’alarme: d’abord en 2005 en France et aux Pays-Bas, et en 2008 en Irlande ; puis, de manière fracassante en 2016 au Royaume-Uni. La contestation qui s’est exprimée à chacune de ces occasions n’a pourtant pas été entendue. Le scrutin européen du mois de mai agira-t-il comme un coup de semonce supplémentaire aux oreilles de nos dirigeants ? C’est à espérer.
Protéger les Européens : la recherche d’un nouvel équilibre
Protéger l’Europe, oui, c’est une évidence. Mais la protéger comment, de quoi, et de qui ? Lorsqu’il est question de protection européenne, les débats s’organisent autour de l’idée d’une défense et d’une politique extérieure commune, faisant oublier que la protection ne se réduit pas aux menaces externes. Or, avant de penser une protection du « dehors », il faudrait déjà se préoccuper de celle du « dedans » : le modèle économique et social de l’Union européenne ne fait plus consensus. Celui-ci, fruit d’un compromis entre 28 modèles différents, est définit à l’article 3 au Traité sur l’UE comme étant fondé sur une « économie sociale de marché hautement compétitive ».
Ce modèle hybride a engendré une série de déséquilibres qui ont fini par dissoudre les solidarités entre les États et entre les citoyens. Parmi ces déséquilibres, on pense bien sur au dumping fiscal et social pratiqué par un certain nombre d’États européens qui refusent de jouer le jeu de la coopération loyale, au profit de celui de libre concurrence. On pense également aux États qui disposent de passe-droits que le jargon européen appelle des options d’« opt-out », et qui ont bénéficié au Royaume-Uni bien sûr, mais aussi à l’Irlande, au Danemark et à la Pologne. En somme, les règles du jeu ne sont pas les mêmes pour tous ce qui créé les conditions d’un déséquilibre et un sentiment d’injustice. Plus encore, cette dérive a fait perdre en chemin la sens de l’intérêt général commun aux Européens, qui est la condition de toute construction politique.
Ainsi, le renouvellement du projet européen doit passer par l’identification des déséquilibres et de leurs causes, afin de repenser le modèle économique et social européen – condition nécessaire pour que les citoyens retrouvent le chemin de l’Europe.
Comment sortir de l’impasse ?
La crise de légitimité de l’Union européenne n’a que trois issues possibles : le saut fédéral ; l’ « exit » généralisé ; ou bien, un nouveau projet politique ambitieux, fondé sur une économie sociale de marché qui bénéficie aux populations et qui protège les intérêts de chacun face aux menaces de notre temps (migrations de masse, réchauffement climatique, guerre commerciale, approvisionnements énergétiques, terrorisme, nouvelle crise économique, etc.)
Cette troisième voie est celle qu’une majorité d’Européens – eurosceptiques mais pas europhobes – semblent plébisciter : non pas « plus d’Europe » ou « moins d’Europe », mais une autre Europe.Autrement dit, « mieux d’Europe ».Toutefois, cette nouvelle construction ne se fera pas sans sacrifices, sans heurts, et surtout sans volonté politique forte. Elle ne pourra sans doute pas inclure les 28 – bientôt 27 – États membres qui ne partagent pas les mêmes intérêts à la coopération, et devra probablement passer par le mécanisme des coopérations renforcées déjà prévues par les traités européens. Ce projet ambitieux devra faire converger les systèmes fiscaux et sociaux pour répondre au besoin de justice de social, et trouver des réponses communes et fermes aux défis transnationaux.
Ne plus avancer, accepter le statu quo, c’est inévitablement courir à sa perte : les rivalités entre les États s’exacerbent et les opinions publiques ne supportent plus cet état de fait. La troisième voie n’est pas un choix, c’est une exigence : celle d’un compromis ambitieux à la hauteur des enjeux et des défis que les Européens auront à relever dans les années à venir. La troisième voie, c’est la voie de l’Europe puissance, et non plus de l’Europe à la carte, c’est la voie de l’intérêt général européen, la voie de la solidarité. Mais cette « autre Europe » ne pourra voir le jour sans qu’elle soit portée par un État, ou mieux, une coalition d’États ou de formations politiques paneuropéennes. Pourquoi pas également imaginer que ce projet émerge de la société civile elle-même.
Toute la question est de savoir qui aura le courage d’incarner cette troisième voie ?