« «Gilets jaunes» sur les Champs-Elysées : comment le gouvernement est devenu inaudible »,
retrouvez l’article de Jacky Isabello, Co-Fondateur de l’agence CorioLink et administrateur de Synopia.
FIGAROVOX/ANALYSE – Jacky Isabello analyse les déboires de la communication de l’Exécutif lors de l’acte XVIII des «gilets jaunes».
Quel nom barbare, «cinématique». Pourtant c’est un fondamental dans la gestion des situations de crise. Il s’agit d’un terme de physique: l’étude du mouvement des corps, c’est-à-dire l’analyse de leurs translations, de leurs rotations et de leurs déformations, dans l’espace au cours du temps. En bon français comprendre qu’une crise évolue en permanence. Il est dévolu aux professionnels désignés pour diriger une cellule de crise, la mission de prendre les décisions correspondant aux problèmes du moment et non aux origines de la crise.
Dans le cas du mouvement des «gilets jaunes», le gouvernement et le Président de la République misaient sur un tassement de la colère à travers des indicateurs montrant la diminution graduelle de la sympathie des Français vis-à-vis d’un mouvement trop étalé dans la durée. La réponse du berger grand débat à la bergère manifestante sur le pavé des grandes artères des capitales et capitales régionales avait convaincu le pouvoir que la partie était gagnée.
Samedi 16 mars, l’acte XVIII des gilets jaunes placé intentionnellement de la part des mouvements «ultra» sous le signe d’une résurgence de la violence telle qu’elle s’était exprimée début décembre a porté un mauvais coup à l’impression de sérénité qui transpirait ces derniers jours dans les signes de communication distillés par le pouvoir. En moins d’une semaine, le gouvernement a montré une forme de désorganisation tactique, accumulé les erreurs stratégiques donnant un sursaut d’énergie à la face démoniaque du mouvement bifrons (à deux têtes) qui caractérisent les deux publics constitutifs du mouvement des «gilets jaunes». La perte de contrôle de la cinématique de la crise s’est illustrée notamment à travers cinq points .
D’une part, en matière de maintien de l’ordre «les cervelles» au service d’un calme républicain ont dysfonctionné. Les médias ont rapporté, confirmé par l’exécutif, une mauvaise interprétation des renseignements remontés par les renseignements territoriaux sur les risques d’excès de violence qui se préparaient dans les mouvements ultraviolents ; ces derniers souhaitant «marquer le coup» à la date anniversaire de la fin du grand débat voulu par le Président . De surcroît, la doctrine plus laxiste sur le terrain en matière de maintien de l’ordre a donné de la puissance à la fièvre des déchaînés du samedi soir.
D’autre part, le Président et son ministre de l’intérieur affichent et conjuguent dans l’opinion publique des attitudes désinvoltes. En soi rien de scandaleux de savoir que des responsables tout à leur tâche s’accordent un temps de détente. C’est plus grave lorsqu’il s’agit des deux plus importantes autorités garantes de la sécurité des Français et que leurs amusements s’affichent aux côtés d’image de désordre, d’incendie, de violence. L’asymétrie de communication envoyée par médias interposés dans les foyers français laisse planer un doute sur l’intérêt des capitaines à piloter un navire France qui se désespère des révoltes immarcescibles du samedi.
En outre, aux déhanchés d’un skieur et d’un nightclubber s’ajoute un sentiment de mou dans la coordination entre les hauts fonctionnaires en charge de la sécurité au sein du ministère de l’intérieur – le remplacement du patron de la DOPC (direction de l’ordre public et de la circulation, en pointe sur le sujet) et maintenant le limogeage du Préfet de Police, tous deux très critiqués lors des errements dans l’affaire Benalla. Ce qui fait dire à l’opposant Éric Ciotti chargé des questions de sécurité au sein du mouvement LR que «La place Beauvau est un bateau ivre».
À cela il faut ajouter la saisine du Conseil constitutionnel sur la loi anticasseur, demandée par la plus haute autorité de l’état. Une décision pleine de bon sens d’un point de vue politique mais dans l’état contre-productive puisqu’elle retarde de facto son entrée en application. Elle ôte des moyens d’action aux forces de l’ordre sur le terrain et notamment la mesure visant à réprimer celles et ceux qui dissimulent leur visage. Les Black Blocs sont majoritairement ciblés par cette mesure.
Enfin un grand débat qui n’en finit pas de recourir à des techniques dilatoires, les unes réunissant comme hier, des intellectuels, les autres rassemblant des conférences citoyennes. Tout le monde reconnaît que la réponse tactique du grand débat à permis de contrarier l’emballement d’un mouvement des «gilets jaunes» à son apogée au début du mois de décembre 2018. Le contre-feu s’avère n’être qu’une bougie bien consommée. L’intense lumière qui devait s’en dégager pour sortir la société d’un avenir pressenti par nombre de Français comme très obscur, enfante une étincelle faiblarde et sans oxygène.
La communication autour de cette crise, dont il serait inconscient de penser qu’elle se tarit, est essentielle. D’autant plus que le mouvement se nourrit dans des espaces numériques auxquels personne ne parvient à s’adresser et que le gouvernement tarde à montrer sa capacité à renouer le dialogue puisque le corps gazeux de la révolte repose sur cet aspect inédit de se réclamer sans leader. Il est urgent de reprendre la main auquel cas l’exécutif verrait repartir le feu qui sommeillait et subir ce que les spécialistes de l’urgence redoutent le plus: le suraccident.
La posture sécuritaire et le ton solennel adoptés de la part d’un Premier ministre agacé par le retournement de tendance dans la énième convulsion en jaune auront-ils un effet performatif sur la résorption du marasme en cours? Le gouvernement l’espère! Échouer à quelques semaines des élections européennes serait fâcheux. Ce serait un coup de main inespéré offert aux oppositions politiques elles-mêmes dans un piteux état.