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L’affaire récente du « traquenard médiatique » dont M. Mélenchon prétend avoir été victime lors de son passage à « l’Émission politique » sur France 2 (30 novembre 2017) présente un double intérêt : d’abord par la question qu’il a posée, et ensuite par les réactions qu’elle a suscitées.
La question posée était celle de savoir s’il était toujours acceptable que les journalistes ne répondent devant personne d’une éventuelle atteinte à leur déontologie. M. Mélenchon en appelait donc à la création d’un « tribunal professionnel » de la presse.
En préambule, il convient de rappeler que la responsabilité d’un journaliste ne peut, en principe, être engagée par un plaignant qu’en cas d’abus de la — sa — liberté d’expression. En résumé, c’est essentiellement la diffamation (atteinte à l’honneur et à la considération d’une personne), l’injure, la diffusion de fausses nouvelles ou l’incitation à la haine. En dehors des cas prévus par la loi sur la presse du 29 juillet 1881, la responsabilité du journaliste ne peut pas être engagée. C’est une protection indispensable pour garantir la liberté de la presse.
Reste la question d’une possible entorse par un journaliste à sa déontologie et notamment à « la vérité, la rigueur et l’exactitude, l’intégrité, l’équité et l’imputabilité1 » de l’information. Force est de constater qu’il n’existe pas de juridiction, en France, qui puisse se prononcer sur une éventuelle faute déontologique. M. Mélenchon a donc proposé de créer une instance professionnelle dédiée à cette mission. Ce qui est intéressant, c’est la réaction offusquée de nombreux professionnels de la presse qui s’opposent à une telle évolution en brandissant une atteinte à la liberté de la presse.
Loin de nous l’idée de remettre en cause ce dogme qui constitue effectivement la pierre angulaire de notre démocratie. Mais un tel organe de contrôle existe dans des pays qui ne tournent pas manifestement le dos à la démocratie. Il existe en Belgique, qui s’est dotée d’un conseil de déontologie journalistique composé de six journalistes, six éditeurs de presse, deux rédacteurs en chef et six représentants de la société civile. De son côté, le Québec a instauré un « tribunal d’honneur du Conseil de presse ». Sa mission est la « protection de la liberté de la presse et à la défense du droit du public à une information de qualité. Son action s’étend à tous les médias d’information distribués ou diffusés au Québec, qu’ils soient membres ou non du Conseil, qu’ils appartiennent à la presse écrite ou électronique. »
Alors bien sûr, tout cela se passe hors de France, et il est possible que de telles institutions soient incompatibles avec les gènes d’un pays qui a tout de même inventé les Lumières et apporté la civilisation à l’humanité ! Et pourtant, ce principe est bel et bien prévu dans la charte d’éthique professionnelle des journalistes. Extrait : « un journaliste digne de ce nom (…) n’accepte en matière de déontologie et d’honneur professionnel que la juridiction de ses pairs ; répond devant la justice des délits prévus par la loi ».
Ajoutons que la création d’un tel conseil a été appelée de ces vœux, en France, par une partie de la profession, notamment en 2013. Le Syndicat National des Journalistes avait annoncé d’ici trois ans la constitution d’une instance de déontologie des médias, afin d’enrayer la défiance vis-à-vis du public. Ce projet ne semble pas avoir abouti.
Une information de qualité est un bien infiniment précieux dans notre société. Et ce, d’autant qu’avec la révolution numérique, la qualité de l’information tend à baisser, et la rumeur comme la manipulation (type fake news) prennent une ampleur inédite. Dans le même mouvement, la défiance entre le public et les médias s’accentue de plus en plus.
Que ce soit pour mettre fin au discrédit porté contre la profession de journalistes, ou pour sanctionner des dérives possibles, il serait utile qu’une instance de déontologie paritaire (moitié professionnel et moitié public) soit effectivement créée en France. Ce tribunal d’honneur (le nom est si joli) ne pourrait être assimilé à un tribunal civil car il ne possèderait aucun pouvoir judiciaire, réglementaire, législatif ou coercitif, et il n’imposerait aucune autre sanction que morale. Il aurait aussi le mérite de faire une place à un grand absent de l’information en France, le public. N’oublions pas que le droit à l’information des journalistes doit avoir pour corolaire le droit du public à être bien informé. Dans ces conditions, il est normal que ledit public puisse participer au jugement éthique de l’information qu’on lui présente.
Il serait bien utile pour stimuler un rehaussement de la qualité de l’information dans un cadre plus éthique, et ainsi amorcer le retour de la confiance du grand public. Sa création permettrait notamment de mettre un terme aux suspicions lancées contre les journalistes. Si un tel organisme avait existé, M. Mélenchon aurait pu le saisir, mais rien n’indique qu’il lui aurait donné raison. À ce jour, seules demeurent ses accusations et le doute consécutif.
Au moment où l’audiovisuel — à commencer par le service public — est tant stigmatisé, les journalistes auraient tout à gagner avec l’instauration d’un tel « tribunal d’honneur ». La confiance du public reste le meilleur protecteur de l’information, et donc des journalistes. C’est probablement du fait de ce manque de confiance que le Président aurait déclaré, en petit comité, que « l’audiovisuel public est la honte de la République ».
Que ce soit M. Mélenchon ou notre Président, force est de constater que c’est l’information produite par l’audiovisuel public qui, à ce jour, se trouve dans l’œil du cyclone. Serait-elle devenue une victime expiatoire ? Une sorte d’offrande sacrificielle à l’initiative du personnel politique ? Ce qui est sûr, c’est que les propositions de réforme de l’audiovisuel public concoctées par le Gouvernement ne tarderont pas à venir. Ce serait une belle occasion pour créer ce tribunal d’honneur mais il est probable que cela ne soit pas la priorité des réformateurs. Dans tous les cas, le récent entretien élyséen entre le Président et Laurent Delahousse (17 décembre 2017 France 2) illustre là encore, la nécessité de réinventer les formes du débat politique. Synopia s’engage en ce sens2.
En attendant, saluons les hommes et les femmes de l’audiovisuel public qui se battent au quotidien avec la même passion d’informer le public et ce, même lorsque les crédits baissent (en 2018, une nouvelle économie de 80 millions d’euros a été demandée). Après le « travailler plus pour gagner plus » de 2007, Emmanuel Macron invite à « travailler mieux mais avec de moins en moins de moyens », ce nouveau cap ne doit pas être au détriment de l’information du public. Nous y veillerons.
Fabrice Lorvo, Avocat et Administrateur de Synopia
1 Marc-François Bernier, Ethique et déontologie du journalisme, Presses de l’Université de Laval, Québec, 2004
2 « 4 débats sinon rien » : Une nouvelle gouvernance, réinventer le dialogue politique !