Article de Florent Parmentier publié le 6 octobre dans EurAsia Prospective.
Comment interpréter le déplacement du roi Salmane à Moscou, le premier d’un souverain saoudien de l’histoire ?
Ce déplacement révèle trois choses essentielles. La première leçon est que Moscou est désormais en mesure de s’entendre avec n’importe quel protagoniste au Moyen-Orient : l’axe traditionnel Syrie-Iran-Russie n’est pas exclusif, tandis que la puissance protectrice des Chrétiens d’Orient ne se cantonne pas à ce rôle. En position de force sur le terrain syrien, le jeu russe actuel comprend un volet interne – les élections présidentielles de 2018 et la création d’un nouveau narratif de la puissance retrouvée – et un volet externe – redorer le blason de la Russie dans la perspective de l’accueil du Mondial 2018. La Russie montre qu’elle n’est isolée… que de l’Europe, son voisin proche, et de quelques pays anglo-saxons. Les BRICS sont aux côtés de la Russie, notamment la Chine, et à un degré moindre l’Inde, et de nouvelles perspectives s’ouvrent avec d’autres Etats traditionnellement éloignés de la Russie, l’Arabie saoudite étant un exemple spectaculaire.
La deuxième leçon est qu’un changement géopolitique est apparu à cette occasion, montrant incontestablement un affaiblissement du leadership américain dans la région. Et ce en dépit de la visite de Donald Trump en mai dernier, pour le premier déplacement à l’étranger de celui-ci, accompagné de nombreux contrats (380 milliards de dollars de contrats). Pour un roi qui ne se déplaçait plus guère, Salmane étant octogénaire, amener un millier de personnes à Moscou est un signe fort d’engagement. Mais cela ne signifie pas que Washington est pour autant marginalisé : cela reste le premier partenaire de l’Arabie saoudite, en dépit de la moindre relation pétrolière entre les deux Etats, les Etats-Unis étant à présent pleinement acteurs de ces flux d’hydrocarbures – les Etats-Unis livrent par exemple aujourd’hui du charbon en Ukraine, pays traditionnellement producteur.
Enfin, l’avenir des relations russo-saoudiennes montrent que si les résultats immédiats ne sont pas un changement d’alliance – il s’agit néanmoins d’un événement avec une portée importante, si on la combine avec l’amélioration récentes des relations russo-turques. Les ventes d’armes (notamment la défense anti-aérienne S-400) dans les deux pays, certes d’un montant limité (la Turquie se trouvant de plus au sein de l’OTAN), sont l’illustration de ce basculement. Au-delà de l’énergie et de la stratégie de diversification économique saoudienne « Vision 2030 », il existe donc une réelle marge de manœuvre pour le développement de ces relations. Il est également important de savoir que le prince héritier, Mohammad ben Salmane (photo), est également partisan d’un rapprochement avec la Russie, avec laquelle il a eu à négocier par le passé.