Retrouvez la chronique d’Alexandre Malafaye sur le site de L’Opinion, via ce lien.
Renouveau démocratique ou pas, le Gouvernement d’Edouard Philippe n’échappe pas au casse-tête de ses prédécesseurs : comment concilier politique de long terme et logique budgétaire de court terme ? En temps normal, l’équation est déjà complexe. Mais cette fois, au vu de la double ambition affichée par Emmanuel Macron – la transformation du pays et le sérieux budgétaire –, elle est cornélienne, presque insoluble. Car la seconde prétention percute de plein fouet la dynamique de temps long de la première, et braque déjà ceux qui craignent d’en subir les effets, et ceux qui, au nom du jeu politicien, crient à l’injustice sociale. Le compte à rebours du temps d’action utile est enclenché. Avec d’un côté, les possibles dissensions au sein de la majorité, et de l’autre, le bal des mobilisations contestataires, les mâchoires de l’immobilisme peuvent se refermer plus vite que prévu.
Une fois encore, la question de la légitimité du pouvoir politique est sur la table. L’élection d’Emmanuel Macron, dans les conditions que l’on connaît, ne vaut pas approbation pleine et entière de son programme par les Français. Le répéter à l’envi ne sert à rien, et encore moins à justifier une politique dirigiste que nos concitoyens ressentent dictée par Bercy, Bruxelles et Berlin. Ces méthodes ont prouvé leurs limites. Combinées à la défiance qui caractérise la relation entre les Français et leurs dirigeants, elle pourrait avoir raison des velléités transformatrices du Président. Le moment n’est-il pas bien choisi pour admettre la réalité ? L’élection confère le droit de gouverner, mais plus celui de décider seul, ni de tout imposer par le haut.
Concrètement, s’il fallait aller vite pour réformer le Code du travail, l’adapter et le rapprocher de la moyenne des pratiques européennes, afin de créer cette étincelle de confiance tant attendue par le monde économique, le reste nécessitait davantage de profondeur dans l’analyse et de doigté dans l’action. Ici, le piège réside dans la confusion entre vitesse et précipitation. D’autant que, dans son ensemble, une grande partie des membres de l’exécutif n’a qu’une expérience encore très relative de l’art de gouverner. Il est une chose de gagner une élection en mode start-up, avec un projet séduisant mais sans véritable profondeur, il en est une autre de présider aux destinées d’un grand pays comme la France. Un grand pays fatigué et meurtri par les mensonges et les errements passés.
Ainsi, la précipitation fait commettre des erreurs dont le prix risque d’être élevé. La loi de moralisation a été votée, certes, mais l’histoire démontrera qu’un certain nombre de dispositions aura des effets contraires à celui recherché. Pourquoi avoir fait adopter cette loi si rapidement au lieu d’aborder l’enjeu du renouveau démocratique dans son ensemble ? Pourquoi mener la réflexion de façon si éparse ? En son temps, nous en avions appelé à un Grenelle de la démocratie, pour qu’une véritable refondation de notre système de gouvernance soit pensée avec les Français, puis engagée.
Dans un autre registre, celui lié à l’ensemble des annonces faites par le gouvernement depuis le début de l’été, si l’on se met à la place des Français, franchement, il y a de quoi se perdre. Entre ce qui va augmenter, ce qui va baisser, ce qui sera fait pour les uns et pas pour les autres, et tout ce qui est lancé simultanément, bien malin qui s’y retrouve. Même les CRS se sont sentis agressés par les comptables de Bercy.
C’est dans ce contexte qu’il faut situer, et aussi comprendre, le grand malaise qui secoue la fonction publique. À l’heure du renouveau démocratique, parvenir à faire si vite l’unanimité syndicale contre soi n’est pas très glorieux. Il faut peut-être en tirer leçon quelques leçons. L’enjeu est majeur et n’a échappé à personne : faire des économies. Compte tenu des déficits publics et de notre dette abyssale, l’intention paraît salutaire. Elle conditionne aussi notre crédibilité vis-à-vis de nos partenaires européens. Mais si nous nous mettons un instant à la place des 5,6 millions de fonctionnaires concernés par les projets du gouvernement, comment ne pas ressentir leur désarroi ? Eux aussi, depuis trente ans, ont été mangés à toutes les sauces. Ils se sont défendus, et dans l’ensemble, leur situation est plus envieuse que celle des salariés du privé. Ils n’en sont que plus mal aimés, et jalousés. Fort logiquement, ils redoutent que le régime de pain blanc appartienne au passé, et faute de savoir de quelle farine l’avenir sera fait, cela les fâche.
Or, il ne sera pas possible de transformer la fonction publique en le décrétant, ou en utilisant les méthodes du passé qui toutes, ont échoué. Le cycle est bien connu et, à l’issue des rapports de force et des mobilisations, la grande ambition se réduit en petite réforme.
Les chantres du renouveau démocratique seraient bien inspirés de commencer par transformer leurs méthodes d’action. Car personne ne transformera la France sans les Français, ni la fonction publique sans les fonctionnaires. Le temps est peut-être venu de réaliser, ou d’admettre, qu’on ne change pas un pays avec pour seules armes, la loi et les incantations du type « je veux ». L’omniscience est proscrite, et tout ce qui y ressemble dangereusement contre-productif.
Dans le cas particulier de la fonction publique, les crispations internes, les méfaits du copinage et le rejet par principe du « top down » imposent un aggiornamento des pratiques. Il ne suffit plus de tracer une trajectoire budgétaire. Il faut d’abord expliquer, sans ambiguïté aucune, le projet et ses objectifs, le but de la transformation et les effets attendus. Ensuite, et c’est là que réside la vraie « révolution copernicienne », il faut donner du temps au temps – quitte à l’expliquer à Bruxelles ! – et engager une concertation sans précédent, qui associe chacun des 5,6 millions de fonctionnaires. Seul un travail participatif, fondé sur l’intelligence collective, le décloisonnement et la confiance permettra de métamorphoser la fonction publique, pour développer son efficience et en même temps, la rendre plus économe. Tout doit être revu. Les organisations, les process, les habitudes, le management. Sur le terrain, au plus près des réalités, ce ne sont pas les leviers d’action qui manquent, mais les moyens de les activer, et la motivation. Un exemple parmi tant d’autres : si chaque fonctionnaire trouve une solution pour économiser cinq euros par jour dans son service, à l’échelle de la fonction publique, cela représente tout de même cinq milliards par an.
A condition de bien s’y prendre, tout devient possible. Entre la carotte – dont nous n’avons plus les moyens – et le bâton – qui se brise à chaque fois sur l’échine des plus résistants aux réformes –, une troisième voie existe. Celle qui repose sur le sens donné, l’engagement de chacun et la reconnaissance. Cette voie devrait être celle du carrosse présidentiel. Les autres passent par la case citrouille, et minuit approche…