Tribune publiée dans l’Opinion le 17 juillet 2017.
La mythologie romaine ayant fait irruption dans la vie politique française, avec un président « jupitérien » et un Premier ministre qui dit se « charger des travaux d’Hercule », nous serions fondés à poursuivre les analogies, avec par exemple, Lupercus, le dieu des troupeaux, pour François de Rugy, ou encore Mars, le dieu de la guerre, pour Jean-Luc Mélenchon.
Mais comparaison n’est pas raison, d’autant que celle d’Emmanuel Macron avec Jupiter nous semble à la fois erronée – à supposer que les réseaux sociaux aient existé à son époque, Jupiter ne se serait pas mis en scène – et constituer une impasse. C’est sur ce dernier point qu’il convient d’interroger la nature du pouvoir présidentiel, non pas telle que le Président la théorise de façon probablement égotiste, mais telle qu’elle devrait être.
Sur l’incarnation du pouvoir, jusque-là, rien à dire, et du point de vue de l’étranger, le Président français a su endosser les habits du chef de l’État. C’est une bonne nouvelle dont il faut se réjouir tant la France a besoin de restaurer son image, et sa parole, sur la scène internationale.
Mais cette partie de la fonction, même compliquée à exercer, ne saurait constituer un simple jeu de rôle. Il ne peut s’agir d’une illusion, mais d’un prolongement naturel et visible de ce qui anime le Président. Sans quoi, les failles apparaîtront vite, et si Jupiter ne nous semble pas figurer la bonne analogie, celle de « maître des horloges » ne convient pas non plus. Un Président n’est pas à la tête d’une armée de pendules dont on attend qu’il les fasse sonner à l’heure. Essayer de gouverner un pays n’a rien de « mécanique », et réussir à le gouverner dépasse les logiques de la physique pour renvoyer à une sorte de dimension surnaturelle, une « mystique », ou une « magie », comme l’a très bien dit Emmanuel Macron en février dernier.
Dès lors, une image apparaît, celle de l’alchimiste. C’est paré des attributs du chimiste métaphysicien qu’Emmanuel Macron pourrait s’imaginer, et son défi va consister à faire exactement l’inverse de ses prédécesseurs qui, en deux générations, ont transformé l’or de la France en plomb (dette abyssale, économie atone, chômage de masse, population exaspérée, nation sans cap).
Le défi est immense, car personne ne niera que la classe politique d’avant la révolution En Marche ! ne fut pas composée de personnalités remarquables. Pourtant, les résultats sont là, très mauvais. Comment autant de talents individuels ont-ils pu produire collectivement un si piètre résultat pour notre pays ? Il y a là un grand mystère. En guise d’explication, certains se réfugient derrière la fatalité démocratique, mais nous rejetons cette hypothèse en bloc. La démocratie ne saurait condamner à la médiocrité ! Une autre, plus tentante, est liée à la déviation de nos institutions et à cette absence d’éthique – encore une exception française – qui, avec le temps, a précipité les anciens tenants du pouvoir dans une sorte de gigantesque Koh-Lanta politique. Ils se sont neutralisés et éliminés à tour de rôle, faisant du jeu une fin en soi et de sa propre survie une nécessité destructrice. Curieux jeu qui ne récompense ni les meilleurs, ni ceux qui obtiennent de bons résultats, mais les plus roublards et les plus beaux parleurs. Espérons que les « survivants » en tireront leçon.
Le défi est immense car « Macron l’alchimiste » dispose des mêmes ingrédients que ses prédécesseurs pour transmuter le plomb dont il hérite en l’or qui redonnera harmonie et destin à la France. Car il ne faut pas s’y tromper, l’armada des membres du gouvernement, de ses conseillers et des députés de la République en marche (LREM) n’est pas composée de Français transfigurés par une nomination miraculeuse ou l’onction du suffrage universel. Ils ont leurs qualités, leurs défauts et leurs faiblesses ; peu ou prou les mêmes que leurs aînés. Ils sont tirés du même bois, et le temps se chargera de le démontrer.
Certains défendront l’idée que cette nouvelle classe politique, faite en grande partie d’hommes et de femmes qui n’en est pas issue, feront mieux que les autres au prétexte qu’ils n’en sont justement pas issus ; ils seraient donc, par définition, plus vertueux. Quel confort, ou plutôt, quelle faiblesse de le croire. S’il est sans doute vrai que les nouveaux venus sont mieux connectés aux réalités que les sortants, ces derniers l’étaient davantage à l’Histoire et à la complexité d’un système qu’ils connaissaient bien. Ce que nous gagnons d’une main, nous le perdons de l’autre, et la nature humaine n’aura de cesse de nous émerveiller, de nous décevoir, ou de nous terrifier.
C’est là que les pouvoirs de l’alchimiste Président entrent en jeu, ceux que la Constitution lui confère.
L’alchimiste n’est ni omniscient, ni omnipotent, ni sûr de lui, bien au contraire. Il attend tout de l’expérience, va pas à pas, tâtonnant souvent, et au final, lorsqu’il parvient à réussir son grand œuvre, à savoir la transmutation du métal ordinaire en or, c’est son extrême habileté qui se révèle, doublée d’une patience presque infinie.
Tel est le vrai pouvoir du président de la République. Non de tout connaître, de tout régir et de tout contrôler, mais de savoir choisir ses ingrédients, c’est-à-dire s’entourer des bonnes personnes, les placer aux bonnes fonctions aux moments opportuns, et les mettre en confiance et en marche afin qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes. C’est alors que le feu de l’action peut produire le résultat tant espéré. Car dans le grand chaudron de l’alchimiste, l’athanor, rien ne s’opère sans la combinaison des éléments, et le feu y tient une place centrale.
Moins de deux mois après son élection, à l’évidence, Emmanuel Macron a su démontrer qu’il savait s’entourer, se fabriquer une majorité et, ainsi, se donner les moyens de tenter le grand œuvre de la transformation du pays.
Il a réuni les ingrédients. Maintenant, tout va se jouer dans la façon de les mettre en œuvre et là, tout dépend de lui. Car le feu des prochains combats politiques, notamment dans le cadre des probables confrontations sociales à venir, va tout conditionner. S’il fait partie de la recette, si sa fonction est bien celle de l’assembleur, l’alchimiste doit se garder de croire qu’il est l’ingrédient suprême, ou principal. Chacun compte, même le plus anodin ; il ne faut en négliger aucun, à commencer par l’éthique.
L’alchimiste se doit de conserver la place qui est la sienne, à la fois très attentif à chaque étape et intervenant à bon escient, mais déterminé à faire confiance, pour que la magie du collectif fasse son œuvre. Faute de quoi, le feu peut tout consumer au lieu de tout sublimer, ou livrer un résultat de piètre qualité. Or, cette fois, la France attend que le plomb du passé se change en or, et en aucun cas, en un alliage de deuxième catégorie. Cette fois, il faut de vraies réformes et le courage de mener l’expérience à son terme. Le succès d’Emmanuel Macron – et le nôtre – est entre ses mains et dépend, pour l’essentiel, de l’usage qu’il fera de ses exceptionnels pouvoirs.
Nous verrons bien s’il tend vers l’alchimiste adepte du jeu collectif, ou bien s’il privilégie la dimension monarchique et personnelle que lui confèrent, en apparence, nos institutions. Il est trop tôt pour crier victoire ou jouer les Cassandre. Laissons le « charme » agir…