Tribune publiée dans L’Opinion, le 31 mai 2017.
Du premier face à face entre Emmanuel Macron et François Bayrou sur TF1 le 8 mai, au cours duquel les deux hommes nous ont expliqué qu’il n’y avait aucun accord politique entre eux, à « l’affaire Ferrand » avec cette défense collée sur celle de François Fillon, sans oublier la mise en examen sans démission du maire de Pau devenu ministre de la Justice – même si les enjeux de cette procédure peuvent sembler dérisoires –, nous voyons bien que la promesse du renouveau des pratiques démocratiques doit s’apprécier avec les nuances d’usage.
Il en va de même avec ce gouvernement resserré – engagement tenu – et l’excellente circulaire du 24 mai 2017 relative à « une méthode de travail gouvernemental exemplaire, collégiale et efficace ». Ils sont quand même six ministres à avoir choisi de concourir pour les législatives. Pourtant, ils disposent d’un nombre de conseillers réduits et sont tenus à l’obligation de produire, avant le 15 juin, la feuille de route qui engagera leur administration. Mais se disperser dans son action à ce moment clé de prise de fonction pour, au final, envoyer six suppléants à l’Assemblée nationale, paraît plus important.
Est-ce bien moral ? De la même façon, sur les affiches des candidats LREM, les Français ne découvrent pas le visage du suppléant, mais celui d’Emmanuel Macron, au côté du candidat investi. Le code électoral ne l’interdit pas et les images parlent mieux que les noms de candidats inconnus. Joli coup.
Mais nous sommes bien forcés de constater qu’il a « fallu que tout change pour que rien ne change », ou presque. Quelles que soient les règles ou les déclarations, en politique, il y aura toujours une bonne raison pour défendre le principe du « deux poids deux mesures », pour justifier l’exception, pour tenter le coup du « plus c’est gros, plus ça passe », ou pour conserver et améliorer les bonnes vieilles recettes électorales, même si l’on se présente comme le chantre du renouveau démocratique.
Qu’importe ! L’essentiel n’est plus là. Sur le fond, ce qui a vraiment changé, ce n’est pas – encore – la façon dont nous sommes gouvernés, mais l’intransigeance des Français à l’égard de leurs dirigeants et surtout, cette exigence absolue de résultats. C’est le sens même du message envoyé par les Français lors de l’élection présidentielle. Leur patience est à bout, et le projet de loi de moralisation, déjà présenté comme l’alpha et l’oméga du renouveau démocratique, ne doit pas se tromper de cible. Il ne s’agit pas de satisfaire à bon compte un électorat en colère d’ici les élections législatives, mais de créer le cadre et les conditions qui permettront au travail politique de devenir enfin fécond. Ce qui se joue là, ce n’est pas la composition de la prochaine Assemblée nationale, mais l’avenir de la Ve République. Car les Français se lasseront vite de regarder les bons indicateurs du renouveau démocratique si leur situation personnelle ne change pas.
François Hollande en a fait l’amère expérience. En 2017, sa loi sur le non cumul votée en 2012 produit de vrais effets sur le renouvellement de la classe politique (dont LREM profite à plein). Mais le bilan de son quinquennat lui a été fatal.
C’est donc le sens même de ce projet de loi de moralisation qu’il convient de questionner, autour de trois grands objectifs intimement mêlés : l’efficacité, l’éthique et les effets à long terme. En se gardant bien de recourir au simplisme, ou en se réfugiant derrière des formules définitives telles que « ce qui était toléré hier ne l’est plus ». L’enjeu est d’une toute autre portée. Le système politique dans son ensemble doit être repensé, en prenant bien en compte la réalité de la nature humaine, pour en stimuler le meilleur (créativité, performance, fraternité, sens de l’intérêt général) et combattre ses travers (cupidité, égoïsme, carriérisme, vanité).
La moralisation à des seules fins morales trouvera vite ses limites car, ce n’est pas nouveau, « la lettre tue ». D’autant qu’à l’heure du numérique et de la mondialisation, le droit national sera toujours « en retard d’une guerre » et en décalage avec la soft law.
Ainsi, par exemple, si l’un des fondements de cette loi de moralisation repose sur l’interdit, n’ayons aucun doute sur l’issue, elle nous fera entrer en rémission, jusqu’à la rechute, et rien ne changera en profondeur. Seul « l’esprit vivifie ». Dit autrement, sans intelligence, cette loi de moralisation ne s’attaquera pas aux causes du mal.
Pour s’en convaincre, il suffit d’observer le monde de l’entreprise, contraint d’appliquer à la lettre les sacro-saints principes de la compliance inventée par les Américains. L’activité économique moderne se doit désormais de cocher toutes les cases de la « conformité ». Pour autant, le capitalisme ne s’en trouve pas plus vertueux, et rien n’entrave vraiment ses dérives, ni l’hyper enrichissement d’un nombre très restreint d’êtres humains.
Ce ne sont donc pas les verbes interdire, punir, culpabiliser, restreindre ou contraindre qu’il faut décliner avec cette loi, mais des principes qui sont de nature à donner du sens à l’action politique et qui, en même temps, relèveront le niveau de notre légitime exigence vis-à-vis des élus et des gouvernants. Sans prétendre être exhaustif, voilà ce que pourraient être ces principes :
– Favoriser l’engagement en politique (statut de l’élu, formation).
– Clarifier les rôles et les missions des élus.
– Encadrer ces rôles et ces missions de façon cohérente et efficace.
– Sacraliser l’entrée en fonction des nouveaux élus par une prestation de serment.
– Responsabiliser leur action par la mise en place d’indicateurs.
– Contrôler leur travail et leur emploi des deniers publics.
– Sanctionner de façon exemplaire les fautes et les manquements.
Quant à la rémunération des élus, il ne doit pas s’agir de les payer moins, mais de les rémunérer « au prix du marché » et au regard des responsabilités exercées, et de leur donner les moyens de bien travailler.
L’important, ce n’est pas de se réfugier derrière une gouvernance morale et l’application « à la lettre » de textes toujours plus contraignants les uns que les autres, c’est de faire naître une véritable éthique de gouvernance, qui inspire les gouvernants et les élus, et les mobilise au service de l’intérêt général. Seul cet état d’esprit permet d’anticiper, d’être en avance sur son temps. Ni M. Fillon, ni M. Ferrand ne l’ont été. Ce n’est pas le vent du changement qu’ils ont senti pendant la campagne.
Si la moralisation bien pensée et le renouvellement des visages constituent des préalables indispensables à l’émergence du renouveau démocratique, et si le renouveau démocratique représente à lui seul une fin en soi, ne nous leurrons pas, les Français attendent d’abord, et avant tout, que leur situation, et celles de leurs enfants, s’améliorent. Sans quoi, la morale de l’histoire se lira dans les urnes, en 2022…