« Affaire de Rugy ou affaire Mediapart? Les communications contre-attaquent », par Jacky Isabello

Retrouvez l’article de Jacky Isabello, administrateur de Synopia, publié dans le Huffington Post le 24 juillet 2019.

L’inspection diligentée par l’Assemblée nationale a rendu son rapport. Il va dans le sens de ce que François de Rugy avance depuis plusieurs semaines. Il s’est considéré blanchi en direct à 20h sur le plateau de France 2. Son avocat Me Olivier Sur a détaillé sur France info et dans le Figaro que les accusations proférées contre lui par Mediapart n’avaient aucun fondement. Ce dernier a même précisé que le parquet a décidé de ne pas lancer d’enquête préliminaire, point essentiel dans la hiérarchie des griefs permettant d’évaluer l’importance de “l’escadrille des emmerdements” si le lecteur me permet d’emprunter Président Chirac cette formule célébrissime. 

Désormais, le temps presse. À l’instar des méthodes que chaque communicant formé aux méthodes des PR litigation connaît, il s’agit d’aller vite pour lancer la contre-attaque et installer dans les opinions publiques l’innocence de M. de Rugy. Et retourner de fait la charge de la culpabilité sur Mediapart en le drapant des atours de l’indigne délateur. Une plainte en diffamation a été déposée en ce sens et ne manquera pas de nourrir les manchettes des gazettes et les indignations sur les réseaux sociaux dans les prochains mois.

Il était urgent de conquérir l’ensemble des espaces à très forte audience des médias français pour que le peuple doute avant de savourer des vacances bien méritées.

La jurisprudence Balladur, en son temps appliquée à M. Rousset, voulait qu’un ministre mis en examen accepte de renoncer à sa présomption d’innocence d’un point de vue médiatique, en démissionnant de ses fonctions. Puis il pouvait se défendre et retrouver la sérénité puisqu’il disparaissait instantanément des radars médiatiques. Étonnamment, les grandes démocraties ont inventé une nouvelle forme de “suffrage censitaire médiatique”. Seuls les citoyens d’une certaine élite peuvent prétendre à l’attention d’une accusation médiatisée. Déchu de son titre l’accusé n’en perd par moins la qualification judiciaire, lorsque c’est le cas. Et ce n’est pas le cas pour M. de Rugy. Mais il retrouve la paix et la vindicte s’adoucit soudainement.

Depuis, le temps numérique est advenu et s’est imposé. Le temps poursuit son accélération lorsqu’il s’agit de révélations touchant des membres du gouvernement. Désormais on démissionne lorsque la vraisemblance des accusations place sur la sellette le mis en accusation. La stratégie de M. de Rugy et de son avocat tente de procéder à un revirement de jurisprudence et d’imposer l’idée d’une réintégration du ministre déchu à l’instar de ce qui se fait dans le privé en application du droit du travail suite à la décision d’un conseil de Prud’hommes.

Vont désormais s’ouvrir cinq séquences de communication concomitantes, très intéressantes à observer d’un point de vue médiatique: 

1. De Rugy pourrait-il retrouver son rang au sein du gouvernement?

Si M. de Rugy est blanchi, comme semblent le prouver les éléments apportés par sa défense, le pays des droits de l’homme et d’un code du travail dont la surcharge pondérale est célèbre dans les échanges politiques devrait s’interroger sur la légitimité de la demande d’un homme, qui serait injustement accusé, à être réintégré dans ses prérogatives.

2. Comment Mediapart va-t-il se défendre (devant l’opinion publique et dans l’enceinte d’un tribunal)?

S’il était avéré que l’enquête fait pschitt. Ce média autant honni qu’admiré verra se renforcer l’accusation qui lui est souvent lancée d’être davantage un organe politique qu’un média indépendant. La posture de communication, pour défendre ses enquêtes et vanter l’intérêt d’un abonnement à Mediapart, qui est désormais la sienne, pourrait desservir cette entreprise de presse. MM. Plenel et Arfi adoptent les armes de la rhétorique de Schopenhauer. En panne de révélations ils choisissent de condamner la crédibilité de l’enquête en récusant l’indépendance de l’inspection. Schopenhauer parlait de la technique de l’attaque ad hominem. Notons que d’autres experts remettent également en question l’indépendance des enquêtes de l’assemblée. Selon Jean-François Kerléo, directeur scientifique de l’Observatoire de l’éthique publique, interrogé sur Europe 1, ces rapports “donnent la sensation d’un entre-soi”.

L’investigation est indispensable en démocratie, chacun le sait. Or lorsque M. Arfi indique sur LCI que le homard était “géant”, le désir de communiquer dépasse l’impératif d’objectivité qui s’impose à tout média sérieux. Là est le risque pour Mediapart dans ce dossier que Me Sur souhaite voir rebaptiser l’affaire Mediapart et non plus de Rugy! Là aussi le prestigieux homme de loi maîtrise les règles de la communication de crise telles qu’elles nous ont été enseignées par les Américains dont les sujets judiciaires sont un temps “d’entertainment” audiovisuel comme un autre.

3. Comment Premier ministre et Président de la République vont-ils agir à la lecture de cette affaire inédite?

Pour l’instant leur communication a été parfaite. Les leçons de l’affaire Benalla ont été retenues. Les deux têtes de l’exécutif n’ont tissé aucun lien maladroit avec ce dossier. Jusqu’à faire indiquer dans le décret de nomination de Mme Borne, successeur de M. de Rugy, qu’il s’agissait d’un remplacement sur décision personnelle de démission du ministre de la transition écologique et solidaire. Pour preuve, malgré cette affaire, qui a empoisonné ces derniers jours, Emmanuel Macron et Édouard Philippe se maintiennent à un niveau de popularité identique à celui de la précédente mesure selon le dernier baromètre de popularité IPSOS-Le Point.

S’ils décidaient de proposer un nouveau poste au gouvernement à M. de Rugy ce serait un acte politique d’une ampleur inégalée. Si certains ministres démissionnaires ont ensuite retrouvé les joies de l’exercice gouvernemental (Longuet, Tapie) ce fut à l’issue d’une période d’apaisement des opinions publiques. Pour l’instant, Matignon adopte une simple posture technique en indiquant qu’“une nouvelle circulaire” viendra compléter les règles déjà édictées “pour renforcer le process de contrôle des travaux dans les logements de fonction”. Le risque de voir réapparaître le ministre Rugy en vaut-il la chandelle politique à quelques mois d’une longue séquence de plusieurs élections locales?

4. Comment les principaux accusateurs de M. De Rugy, parfois dans son propre camp politique, peu amènes avec lui lors de la publication des accusations de Mediapart, vont-ils justifier leur attitude expéditive vis-à-vis du principe le plus bafoué de la République, celui de la présomption d’innocence? Je dirais sans trop miser sur mes compétences de communicant, que certains de ses anciens collègues doivent attendre avec impatience que la vague des vacances balaye le sable des accusations.

Cinquième point: restera pour M. de Rugy à expliquer aux Français, dès lors que Mediapart n’a rien d’autre à déverser dans la corbeille de l’accusé, pourquoi un acte de démission aussi précipité. Nombreux sont les citoyens, attentifs aux sujets politiques sans être spécialistes, à se poser la question! J’ai tenté sans grand succès d’expliquer que la succession des révélations ne lui permettait plus de se défendre efficacement et sereinement. De facto son dossier perturbait les annonces de son gouvernement à propos de la réforme des retraites, de la loi bioéthique. Ces dernières productions législatives auraient été éclipsées par ces affaires sur lesquelles l’opinion aime tant s’attarder et s’offusquer, tout en regrettant que le reste des réformes techniques passent sous le radar des médias.

Ce point de détail trotte dans la tête des gens comme une ritournelle. En effet, si le personnel politique est forcé à démissionner avec autant d’insistance à chaque révélation sulfureuse, ce n’est pas du fait de l’accélération des processus de transparence généralisée qui sont la conséquence de l’hyper-présence des médias numériques et des réseaux sociaux. C’est avant tout le produit d’une dégradation régulière et désormais abyssale de l’image des hommes politiques. Ne confondons pas conséquence et causalité comme aiment à le rappeler les scientifiques. Dans le dernier baromètre CEVIPOF/Science Po sur la confiance politique, à la question de la confiance des Français dans certaines organisations: 78% de nos concitoyens répondent avoir confiance dans leurs hôpitaux et leurs PME… ils ne sont que 9% lorsqu’il s’agit des partis politiques!

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