« Avec le combat des chefs, réinventons le débat démocratique ! », par Alexandre Malafaye

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C’est une bien triste semaine qui s’est achevée avec la victoire des nationalistes corses. En effet, si notre pays se retrouve pour fêter ses bleus, pleurer ses « héros » ou se serrer les coudes face à la barbarie islamiste, une fois le temps de l’émotion passé et les larmes séchées, notre propension à l’individualisme, sorte d’égoïsme de défiance, revient en force et le spectacle continue, comme avant. A chaque fois, avec toujours plus d’acuité, la même question se pose : en tant que Peuple de France, que faisons-nous ensemble ? Vraiment ensemble ? Peu de choses, en vérité, et la classe politique porte ici une lourde responsabilité. Pour asseoir son règne, elle a fait le choix d’attiser nos divisions, au point de fracturer notre Nation et de provoquer une rupture entre gouvernants et gouvernés. Qui se traduit par un chiffre inquiétant, à peine 10 % des Français accordent leur confiance aux politiques, et qui remet en cause le dispositif central de notre système de gouvernance, à savoir la démocratie représentative.

Pur produit de cette crise qui la frappe de plein fouet, l’élection d’Emmanuel Macron ne la règle en rien, et il serait dangereux de se laisser aller à le croire. Fragilisée dans ses fondations et chamboulée par la révolution numérique, la démocratie représentative se voit désormais challengée, et même menacée, par la démocratie participative, et par la démocratie directe. Le dégagisme qui a sévi lors de l’élection présidentielle, version politique de l’uberisation, en est l’illustration la plus criante. Or, dans un pays comme la France, le pouvoir central doit garder la maîtrise de l’appareil de gouvernance, ce qui impose de restaurer sa légitimité. Faute de quoi nous continuerons à perdre, année après année, des parcelles de souveraineté. Pour cela, les engagements doivent être tenus et surtout, produire des résultats visibles. Mais un autre écueil se dresse sur le chemin de ce vaste chantier : la qualité très relative du débat public dont la tonalité souvent polémique et la concurrence entre médias dénaturent les réalités et amplifient l’accessoire, au point d’éclipser l’essentiel. Le temps est donc venu d’adapter le débat public aux enjeux de notre époque et au numérique, pour l’amener au meilleur niveau possible, avec des formats adaptés, et en inscrivant cet effort dans le temps long. Il s’agit d’un véritable défi que le pouvoir exécutif doit relever s’il veut « faire de la politique autrement ».

Les douze derniers mois nous enseignent que le débat public peut produire le meilleur et le pire. C’est donc du meilleur qu’il faut tirer leçon. Deux types de débats sont parvenus à mobilier les Français en masse :

– Les débats des primaires de la droite et de la gauche, puis ceux opposants les candidats à l’élection présidentielle.

– Plus récemment, avec la participation d’Edouard Philippe à « L’émission politique » de France 2 et l’interview d’Emmanuel Macron sur TF1.

Dans le premier cas, il s’agissait d’une confrontation entre aspirants aux plus hautes fonctions exécutives. Dans le second, nous avons vu l’exécutif monter en première ligne. A chaque fois, ces débats obtiennent de fortes audiences, qui oscillent entre 4 à 16 millions de téléspectateurs.

Il en ressort que les confrontations « politiques contre journalistes » sont moins fécondes en termes de pédagogie politique ou de confrontation d’idées que les débats entre pairs. C’est ainsi, les journalistes mènent une bataille par nature asymétrique face aux grands leaders politiques. Leur déontologie leur interdit de se comporter comme des opposants, ce qui limite la contradiction. Il leur est par conséquent plus difficile de combattre la propagande des uns et le démagogisme des autres. C’est seulement lors des grands duels, d’égal à égal, que le meilleur de la lumière politique parvient à se manifester et que les opinions peuvent se forger. Nous le constatons à chaque fois de façon éclatante.

Par ailleurs, même si le cœur de la démocratie est censé battre à l’Assemblée nationale, les débats qui s’y tiennent ne permettent pas au pouvoir exécutif d’expliquer sa politique au plus grand nombre. Il l’a d’ailleurs bien compris et le Président de la République n’hésite plus à dialoguer directement avec les Français.

Alors avec Jacky Isabello*, « nous avons fait un rêve ». Ensemble, au début de l’année 2017, nous avions lancé une initiative baptisée « 3 débats sinon rien » et interpellé le CSA pour que soient organisés des débats entre les candidats à la présidentielles avant le premier tour, et entre les deux tours.

Notre rêve, cette fois nommé « 4 débats sinon rien », a pour ambition de placer quatre fois par an le pouvoir exécutif face aux forces de l’opposition représentées au Parlement, ou à celles de la société civile organisée. Chaque débat serait retransmis à une heure de grande audience sur les grandes chaines de télévision et de radios qui restent toujours très regardés et écoutés, et qui touchent toutes les couches sociales. Des journalises, choisis pour leur compétence et leur impartialité, arbitreraient ces débats. Les deux premiers seraient des « figures imposées » et les deux suivants des « figures libres » :

Le 1er débat, avec le Président de la République, porterait sur les grandes orientations du quinquennat, le projet de société, et la politique étrangère.

Le 2ème débat, avec le Premier ministre et des ministres choisis, traiterait du projet de loi de finance.

Pour les 3ème et 4ème débats, l’opposition, puis la société civile organisée, auraient le choix du thème.

Afin de permettre aux citoyens de se réapproprier les lieux qui concourent au bon fonctionnement de notre démocratie, nous proposons que ces débats soient alternativement organisés au Palais de l’Elysée, puis à l’Assemblée nationale, au Sénat et enfin, au CESE.

Au total, entre deux élections présidentielles, et en neutralisant les neuf mois précédant l’élection suivante, il serait possible d’organiser une vingtaine de débats de ce genre sur la durée d’un quinquennat. Tous les grands sujets pourraient alors être passés en revue : éducation, défense, endettement, sécurité, Europe, migrations, Afrique, révolution numérique, etc. Avec les temps, nous faisons le pari que les Français seraient mieux informés des réalités politiques, économiques, sociales, géopolitiques, etc. ; ils saisiraient mieux les enjeux de chaque sujet et, lors des élections, ils pourraient se déterminer en conscience et non en émotion, ou en fonction de la parole la plus forte, ou la plus audible du moment.

Cette fois encore, nous allons interpeller le CSA, et l’ensemble des parties prenantes, pour que soient instaurés de tels débats et qu’un cadre juridique leur soit donné afin d’éviter que des influences conjoncturelles liées à des intérêts particuliers n’en compromettent la tenue.

Nous sommes peut-être à l’aube du « renouveau démocratique », mais pour qu’un jour nouveau se lève sur la France, il faut réinventer la discussion publique, pour que la lumière jaillisse enfin.

* Jacky Isabello est co-fondateur de l’agence CorioLink.

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