Retrouvez la chronique d’Alexandre Malafaye sur le site de L’Opinion, via ce lien.
Emmanuel Macron a raison de préférer le mot transformation à celui de réforme dont la charge négative est patente. Le mot réforme évoque de nombreux échecs gouvernementaux. Tant de montagnes qui ont accouché de souris… Sur le plan de la sémantique, il véhicule la notion de « mise hors-service ». Surtout, il renvoie à l’idée de soumission et à la promesse d’une remise en cause d’avantages et de droits. Combien de nos concitoyens sont-ils enclins à anticiper les effets positifs d’une réforme ? De fait, la résistance au changement est érigée en devoir citoyen et se voit amplifiée par des combats idéologiques abstraits qui servent d’abord les intérêts politiciens au détriment de l’intérêt général.
Pour autant, notre pays n’est pas encore parvenu au seuil qui lui permet d’envisager sa transformation. Là encore, les mots ont un sens, et mal nommer, c’est ajouter de la confusion aux craintes. Effet contraire garanti. Car les Français ne sont pas « impatients ». Ils sont d’abord défiants et toujours très remontés les uns contre les autres. Après avoir été tant déçus et trahis par leurs gouvernants, ils ne comprennent pas ce qui les attend, et chacun a peur d’être la victime d’une politique qui profitera à d’autres. Le débat public est parvenu à un tel niveau de déliquescence que dans l’esprit des Français, il ne peut y avoir que des gagnants et des perdants, ce qui conduit chacun à s’arc-bouter sur ce qu’il détient.
Face à ce désarroi, il convient de saluer la volte-face accomplie par Emmanuel Macron depuis son retour de Marseille. Même s’il ne fait aucun mea culpa sur ses erreurs estivales de communication et ses inutiles démonstrations d’autorité, et regrette certainement d’avoir sacrifié en pure perte une partie non négligeable de son capital de sympathie, il vient de prouver qu’il savait se remettre en question.
Le premier signe de ce changement de pied ne vient pas de l’arrivée du chien Nemo à l’Élysée, mais des propos de Christophe Castaner qui a reconnu le dimanche 27 août « une difficulté » de l’exécutif qui n’avait pas su « donner suffisamment de sens » à son action. Dans la foulée, l’annonce du recrutement du journaliste Bruno Roger-Petit comme porte-parole de l’Élysée confirme l’aveu de faiblesse du chef de l’État : le maître des horloges ne maîtrise pas tout, et surtout pas la presse.
Depuis, c’est à un ballet médiatique bien orchestré – et plutôt réussi – auquel nous assistons, avec la montée au feu d’Edouard Philippe, de Murielle Penicaud et de Jean-Michel Blanquer.
Oui, l’exécutif est bel et bien rentré dans le vif du quinquennat et il se donne les moyens de réussir ce qu’il a entrepris. Le fait de ne pas être d’accord avec la politique du Gouvernement, ou de détester le style de gouvernance du Président, ne change rien à l’affaire : un nouvel Emmanuel Macron s’est mis « en marche ». Mais en définitive, seuls les résultats compteront, et les Français ne se feront plus avoir comme par le passé. Ils étaient déjà 40 % à voter FN ou FI au premier tour de la présidentielle, sans parler des votes blanc et des abstentions.
La conduite du changement – quel que soit le nom qu’on lui donne – impose de faire preuve d’une pédagogie adaptée et donc nécessairement soutenue en pareille période. Pour rassurer, pour expliquer, pour déminer, pour mettre en perspective. Surtout à l’ère de la révolution numérique qui bouscule tout et peut défaire ce qu’elle a contribué à porter aux nues. Et c’est justement là qu’il ne faut pas se tromper sur les mots. Car l’objectif n’est pas que pédagogique. Il faut entraîner les Français, les mobiliser, recréer la confiance perdue. Rien de profond et de durable ne se fera contre eux, ou sans eux. Dès lors, avant de parler de transformation de notre pays, une étape essentielle doit être franchie et bien expliquée : il faut commencer par adapter la France, son cadre légal, son économie, son marché du travail et son système éducatif, aux réalités du monde actuel. C’est essentiel si nous voulons nous mettre au niveau des défis du siècle, et pour tourner le dos à trente années de politiques publiques menées la plupart du temps à contre-courant des grandes tendances mondiales, et caractérisées par une absence de vision stratégique, une pensée courtermiste, le déni, et une inconstance législative irresponsable. Mais la France n’était pas une île, et nous sommes maintenant rattrapés par le tsunami de nos retards et de nos errements.
Au lieu, par exemple, de chercher à profiter de la mondialisation et de la révolution numérique, nous avons essayé de nous en protéger tant bien que mal. Sur l’emploi, les conséquences sont terribles. De moins de moins de CDI au profit d’un système précaire qui touche un nombre croissant de Français (CDD, auto-entrepreneurs, intérim) et surtout, six millions de chômeurs dont le plus gros bataillon provient des jeunes et des séniors qui survivent en marge du code du travail. Depuis dix ans, on a « vendu » aux Français le concept de flexisécurité sans développer la compétence ni l’employabilité ! Même l’État et les collectivités territoriales recourent de plus en plus aux contractuels (environ 900 000 sur 5,6 millions de fonctionnaires) et abusent des emplois aidés.
Soyons lucides, il nous faudra être en position de force pour imposer nos standards, y compris sociaux, à nos partenaires européens. Le cas des travailleurs détachés est à ce titre révélateur.
Il était donc nécessaire de réagir, et les ordonnances « Loi travail » constituent une première étape clé de l’adaptation de notre pays aux réalités actuelles. D’autres chantiers vont suivre. Voilà pourquoi ce dialogue avec les partenaires sociaux ne pouvait se solder par un échec global et une nouvelle fronde syndicale.
Cette période d’adaptation va durer plusieurs années. Si elle est concluante, notre pays pourra alors engager sa transformation. Le processus sera long, car il touche chacun de nous.
Dans bien des domaines, il faut raisonner à l’échelle d’une ou deux générations. Par exemple sur le respect de l’environnement et le tri sélectif, sur la cigarette ou la vitesse au volant, nous voyons bien que les changements de comportement ne se décrètent pas. Il en ira de même avec le monde du travail, l’économie et notre système éducatif, les transformations viendront de notre propre capacité à évoluer et à faire jouer à plein l’intelligence collective, pour fabriquer une nouvelle prospérité.
A l’évidence, il ne faudra pas tout attendre de l’État. La France de demain sera le produit de ce que nous choisirons de faire ensemble. Nous réussirons, à une condition, celle d’être des acteurs de ce grand dessein. Comme le disait si bien Gandhi, « Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde ». Le Président de la République a la responsabilité d’être le premier à l’incarner, pour nous entraîner, pour que tout un pays se mette « en marche ». S’il y réussit, il sera suivi. Il le faut.