Retrouvez la tribune d’Alexandre Malafaye dans l’Opinion du 27 février 2024
La crise actuelle du monde agricole, qui monte depuis des années, occupe le devant de la scène et confirme le manque d’écoute et d’anticipation des pouvoirs publics, en France, comme en Europe, et leur déconnexion avec leur réel.
Tout a été répété à l’envi sur les injonctions contradictoires que subit l’agriculture depuis des décennies. Tout a été montré de l’absurdité normative européenne que la France a choisi d’amplifier lors de chaque transposition. Dans les débats, tout a été simplifié et exploité à l’extrême, au point de faire des paysans des « écocidaires » et de les opposer de façon irresponsable aux écologistes. Jusqu’à décourager les jeunes générations de reprendre le flambeau des anciens.
Et « en même temps », l’essentiel été perdu de vue, à savoir l’importance vitale de l’agriculture pour notre pays. Nos paysans, par leurs implantations jusqu’au plus profond de la France, participent de la vitalité de nos territoires dont ils assurent l’entretien ; ils prolongent nombre de nos traditions et font vivre l’excellence agricole française ; enfin, et l’enjeu n’est pas des moindres en cette époque troublée, ils assurent une grande partie de notre subsistance alimentaire.
Quelle que soit sa taille et son mode d’exploitation, chacun y prend sa part : le grand céréalier de la Beauce, le producteur de lait ou l’éleveur breton, le maraîcher bio du Poitou, le viticulteur du Médoc ou alsacien, le pomiculteur normand ou encore l’apiculteur des Alpes.
Certes, l’enjeu écologique est bel est bien réel et nul ne niera l’impact environnemental de l’agriculture, mais peut-être aurait-il fallu ne pas oublier si souvent l’importance du mot transition pour passer d’un modèle à l’autre. Au point de tendre la corde et de la faire craquer. Au nom de « la fin du monde », on a oublié « les fins de mois » de nos paysans et leurs dures réalités.
Il aura fallu cette nouvelle crise et la prise de conscience politique des enjeux de souveraineté alimentaire pour que le Gouvernement se penche sur le monde agricole et tente de corriger à grand renfort de mesures et d’annonces 30 années d’insuffisances et de fuite en avant. Dans sa conférence de presse du 21 janvier 2024, le Premier ministre a même « placé l’agriculture au rang des intérêts fondamentaux de la Nation, au même titre que notre sécurité ou notre défense nationale ».
Après la séquence consternante à laquelle nous avons assisté à l’occasion de la venue du Président de la République au salon de l’Agriculture, il n’est donc pas impossible de penser que cette fois, le sujet sera traité.
Mais tout sera long, les lois EGalim 1 et 2 tardent à produire tous leurs effets, la prochaine mouture n’est pas encore votée, et en pratique, par-delà les défis que posent la simplification réelle et la mise en œuvre d’une transition écologique soutenable, il manque l’essentiel : de l’argent. Des sous ! A un moment critique pour nos finances publiques qui sont exsangues. Le Président de la République le sait bien et a d’ailleurs déclaré qu’on ne réglerait pas le problème « en 3 semaines », même s’il semble mesurer l’urgence de la situation. Pour preuve, cette idée lancée lors du salon d’un « plan de trésorerie d’urgence » pour les agriculteurs qui « sont dans le mur ». Mais quand une exploitation est structurellement déficitaire, les avances de trésorerie ne règlent que pour un temps les difficultés de fin de mois.
Alors que faire ? Car il y a urgence : un agriculteur se suicide tous les deux jours ; 18 % des ménages agricoles vivent sous le seuil de pauvreté ; en moyenne, un agriculteur gagne chaque mois 1.475 euros brut (données Insee) quand le Smic s’élève à 1.766 euros, un revenu qui a chuté de 40 % en 30 ans selon une récente note du ministère de l’Agriculture. Sans parler du temps de travail, souvent supérieur à 50 ou 60 heures par semaine.
Il faut donc trouver des sous, et vite.
A court terme, et avant que les promesses gouvernementales ne produisent vraiment leurs effets, il pourrait bien y avoir un moyen simple, qui consiste à faire appel à la générosité des Français et qui pourrait se déployer sans tarder.
Aujourd’hui, dans la plupart des grandes surfaces et des commerces alimentaires, grâce aux terminaux de paiement par carte de crédit (TPE), il est possible d’effectuer un arrondi à l’euro ou au demi-euro supérieur pour soutenir telle ou telle cause.
Il serait donc tout à fait envisageable de proposer pendant un temps donné que les arrondis de caisse soient effectués au profit des agriculteurs.
La technologie le permettant, chacun pourrait, lors de son passage en caisse, faire le choix de donner ce qu’il veut en fonction de ses moyens, de quelques centimes à quelques euros.
Les petits ruisseaux de micro-dons faisant les grandes rivières, des millions d’euros pour être ainsi récoltés chaque mois. Et si les industriels de l’agroalimentaire et les distributeurs étaient réellement sincères dans leur intention d’aller vers un meilleur partage à la valeur avec les agriculteurs, ils pourraient s’engager à doubler la mise des dons réalisés par les Français. Nous pourrions même imaginer que cet appel à la générosité des entreprises puisse s’étendre à toutes celles qui le souhaitent et se sentent concernées.
Reste bien sûr à imaginer le dispositif de redistribution de ces Dons pour nos Agriculteurs (acronyme : DonA), mais dans un pays bien organisé comme la France sur le plan administratif, il ne doit pas être très compliqué d’identifier les agriculteurs dont le revenu est, par exemple, inférieur au SMIC et de leur reverser chaque mois un complément de revenu provenant de la collecte du DonA.
Dans tous les cas, si nous voulons préserver notre tissu agricole et assurer notre souveraineté alimentaire, il faudra accepter de payer le juste prix à ceux qui en constituent le maillon essentiel.
C’est également à cette condition de dignité que l’ensemble du monde agricole pourra s’engager sereinement dans la transition écologique.
Alexandre Malafaye
Président de Synopia