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En phase avec la réalité, le gouvernement vient de mettre sur la table une réforme qui propose de revoir les conditions d’entrée à l’Université. Comme il fallait s’y attendre, le concert des partisans de l’immobilisme a joué son refrain bien connu : l’hymne à la défense du sacro-saint principe de l’universalité de l’Université. Mais dans quel but ? Défendre la liberté – le droit acquis ! – des bacheliers à accéder sans contraintes aux formations universitaires de leur choix, quitte à compter les points des échecs plus tard ?
Cette question obère la seule interrogation véritablement anxiogène : celle du devenir de ces millions de jeunes sans formation et sans métier, et de la nécessité de prendre acte d’un chômage endémique, qui n’épargne pas davantage les jeunes universitaires, que ceux qui échouent aux portes de l’Université.
Nous savons hélas que sur les 62 % d’étudiants français inscrits à l’Université, nombreux sont ceux qui n’y trouvent pas de passeport pour l’emploi. Ainsi, par exemple, 57 % des diplômés de master en sciences humaines et sociales n’ont toujours pas d’emploi stable trente mois après l’obtention de leur diplôme. Dès lors, quelle curieuse idéologie pousse tant de doctes savants à soutenir que la transmission d’un savoir est la principale, voire la seule, fin universitaire ? Pour ensuite refuser de poser la question de l’orientation.
Une autre question, plus brûlante encore, mériterait d’être adressée à tous les défenseurs du mammouth, ceux-là même dont on entend la voix à chaque fois que le bon sens s’invite dans le débat : si l’Education nationale avait mieux fait son travail, l’orientation, et la sélection, feraient-elle encore débat ?
Cette consternante réalité qui frappe notre jeunesse confirme que l’Université souffre, et ce n’est pas nouveau. Nul ne devrait en douter, et les classements internationaux ne cessent de le rappeler. Les maux qui affectent « l’autre mammouth » sont d’une double nature. Très irritable, il se met en crise dès qu’on tente de le réformer, même à la marge. De là à le transformer… Mais cette susceptibilité masque l’autre crise, celle d’un système qui ne « délivre » plus, qui ne remplit plus sa mission d’origine : offrir un apprentissage qui procure une somme de connaissances suffisantes pour appréhender le monde du travail en position de force. Face à la révolution numérique encore balbutiante, l’ambition républicaine doit consister à former des citoyens qui ont « appris a apprendre », capables d’adaptation et de créativité, et non des récitants qui reproduisent fidèlement des solutions éprouvées.
Mais au lieu de cela, pendant ces décennies influencées par l’interdit d’interdire, le confort du statu quo et la fuite en avant, les portes laissées grandes ouvertes ont repoussé plus loin le temps d’une nécessaire sélection que le marché du travail se charge d’opérer sans le moindre état d’âme. Au nom de quoi laisser tant de jeunes s’engouffrer dans des impasses ?
Arrêtons de dissimuler « l’affreuse » réalité ! La sélection s’opère tout au long de la vie, à travers les choix que l’on fait, ceux que l’on ne fait pas, et ceux qui sont fait à notre place. Ainsi va la vie, la sélection est permanente, elle est « naturelle », elle fait partie de l’équation, et s’il y a bien un enjeu pour la République, ce n’est pas de chercher à supprimer la sélection ou à niveler sur la base d’absurdes considérations, mais d’agir pour que chaque jeune ait la chance de jouer la ou les bonnes cartes qu’il a en main. Quitte à prendre le risque de l’orienter et de le « pousser » en fonction de ses aspirations, de ses aptitudes, et de ses compétences déjà révélées. Car est-il sérieux de considérer qu’avant la classe de terminale, chaque jeune est capable de savoir à coup sûr dans quel domaine il s’épanouira ?
La véritable promesse de notre République, c’est de donner sa chance à chacun, sans négliger de rappeler aux jeunes que pour réussir, sa vie ou dans la vie, il faut se dépasser, se « faire mal », prendre des risques ou même se mettre en danger, et persévérer.
Il est donc urgent de substituer à cette sélection « sauvage » et post universitaire, des critères de sélection équitables. Le projet de réforme présenté par le Premier ministre constitue une première tentative. Il ne nous semble pas qu’il soit ici question de « tuer dans l’œuf » les rêves d’avenir d’un jeune, mais de faire preuve d’un minimum de pragmatisme. Dans un pays comme la France, imbibée par l’idéal des Lumières, l’éducation, comme la santé, n’ont pas de prix. Mais elles ont un coût, et dans le cas spécifique du système éducatif et universitaire, le « retour sur investissement » est pour le moins médiocre. Une médiocrité qui rejaillit de plein fouet sur une autre promesse que la République se devrait de tenir, celle de permettre à chacun de saisir des opportunités tout au long de son parcours professionnel. Nous en sommes loin.
Ainsi, sur l’orientation, le projet de loi essaie de renforcer le temps qui sera consacré à l’orientation des lycéens. Mais la question des critères sur lesquels se fera cette orientation reste à étudier. Un jeune ne devrait pas entendre parler d’orientation pour la première fois en terminale. L’orientation, c’est-à-dire le choix d’une voie d’études – et plus largement d’un projet d’avenir –, doit être perçue comme un processus, un parcours qui commence dès le collège. L’enseignement supérieur et le monde professionnel doivent être impliqués tout au long de ce parcours, et ce pour deux raisons : fournir aux futurs étudiants les informations nécessaires pour guider leur choix d’orientation ; et faire connaitre les métiers en tension et émergents pour lesquels les offres d’emplois sont perpétuellement insatisfaites. En cessant enfin de mépriser les métiers de la main !
L’orientation ne s’arrête pas au bac. Pour respecter la diversité des choix et permettre des changements d’orientation en cours de route, des passerelles doivent être établies entre les filières universitaires elles-mêmes, et entre les filières universitaires et les filières professionnelles. La gouvernance de l’Université doit être plus souple, plus agile et permettre des parcours individualisés. Il faut aller au bout de l’ouverture et s’inspirer de ce qui se passe dans les grands pays de l’OCDE.
Pour que ces changements, ces améliorations, aient un impact réel et positif, il faudra lever un tabou : celui de la nécessaire flexibilité des filières au regard de l’économie de la connaissance. Ouvrir des filières, diminuer l’accueil dans d’autres lorsque les possibilités de débouchés fluctuent. En un mot, combattre ce qu’est devenu trop souvent l’Université, à savoir un passage obligé, dénué de finalité, bien loin des filières d’excellence qu’elle devrait offrir aux jeunes. Il ne s’agit, ni plus ni moins, de savoir si nous voulons relancer un véritable processus d’égalité des chances – celles « de réussir » –, ou bien si nous continuons à laisser agir les forces qui fabriquent cette déchéance de l’égalité.