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Pour peu que l’on soit un tantinet réaliste et lucide sur les enjeux géopolitiques auxquels nous devrons faire face au cours des prochaines décennies, on ne peut que souscrire pleinement aux propos du Président de la République sur l’Europe. Que ce soit lors de ses vœux aux Français, ou ceux prononcés devant le corps diplomatique, Emmanuel Macron fait preuve d’un volontarisme européen dont nous avions déjà pu mesurer l’épaisseur lors de son « discours fondateur » à la Sorbonne, ou lors du sommet européen de décembre 2017.
Comment, en effet, ne pas rêver d’une « Europe forte et souveraine » et d’une « Europe qui protège » ? Oui, « l’Europe est bonne pour La France ». Et oui encore, « il ne faut rien céder ni aux nationalistes ni aux sceptiques ».
Il n’est bien sûr pas évident que ce volontarisme soit aussi bien accueilli dans toutes les capitales européennes qu’à Paris. Et au sein même de notre pays, notamment dans cette « France périphérique », il n’est pas non plus certain que la fougue européenne du Président Macron soit appréciée, voire comprise.
La force de cette ambition doit cependant être replacée dans la dynamique actuelle, peu favorable à l’Union européenne. Sans jouer les Cassandre, en prenant un peu de recul sur le quotidien, le détricotage de l’Union européenne est en marche, aussi bien dans son projet que dans sa constitution.
« Il suffira d’un signe… » dit la chanson. Mais le Brexit constitue bien plus qu’un signe. C’est une sirène d’alarme. Et depuis, les « signes » s’enchaînent : crise en Catalogne, victoire des indépendantistes en Corse, bras de fer entre la Commission et le gouvernement polonais (application de l’article 7), arrivée au pouvoir de l’extrême droite en Autriche, en Italie, revendications autonomistes des riches provinces lombardes et vénitiennes, etc. En France aussi, en sus de la Corse et de l’Outre-mer, nous avons prétexte à inquiétude. N’oublions jamais que les partis dits populistes ont obtenu plus de 40 % au premier tour de la présidentielle. Cet électorat n’a pas disparu et n’est pas tombé sous le charme du macronisme.
Dans ce contexte, que « la France soit de retour » – ce qui reste à confirmer dans les faits et les résultats – et qu’elle cherche à ouvrir la voie d’une « refondation de l’Europe » constitue une bonne nouvelle. Ainsi, tel un Don Quichotte cervelé, Emmanuel Macron s’apprête-t-il à livrer bataille contre les moulins populistes et les géants de l’Eurexit. Le défi est immense, à la mesure de notre Continent et des déceptions accumulées par les Européens depuis la disparition de l’Union soviétique. C’est en effet à partir de ce moment que, faute de menace qui nous forçait à converger pour être plus fort, chaque pays a choisi de privilégier son agenda national, laissant souvent libre cours aux dérives politiciennes et clientélistes, et à toutes les folies, à commencer par celles de l’endettement et d’un élargissement irraisonné, tout en tapant sur l’Union européenne pour se défausser de ses propres turpitudes.
Le mal est fait. Inutile de nous y attarder, mieux vaut se tourner vers le futur. Par chance, la période est propice aux bonnes résolutions, et nous en voyons deux que l’exécutif serait bien inspiré de reprendre à son compte.
La première concerne l’idéologie anti-européenne qui alimente ces courants nationalistes et « asolidaires », et fait des frontières, du protectionnisme et de l’exit une perspective d’avenir crédible et souhaitable. Il faut la combattre avec la plus totale détermination, car le poison indépendantiste cause déjà de sérieux dégâts.
Revenons sur terre ! Face « aux USA et à la Chine », ainsi associés dans ses vœux de la Saint-Sylvestre par le Président Macron, qui a une chance de rivaliser ? L’UE ? Peut-être. La France avec son 0,9 % de la population mondiale ? N’y pensons même pas. Alors la Corse, la Nouvelle Calédonie ou la Catalogne… absurde ! Face aux géants du web – aujourd’hui américains (les GAFA), et demain chinois (les BATX) – à la vampirisation des données, des contenus et de la valeur ajoutée, à cette guerre numérique mondiale qui ne dit pas son nom, et face au péril potentiellement mortel pour l’humanité de l’intelligence artificielle, prétendre que le repli sur son « soi national » est une option, relève au mieux de l’inconséquence.
En Corse, par exemple, laisser infuser dans les esprits que l’indépendance serait envisageable, peut-être dans cinq ou dix ans, est d’une irresponsabilité qui frise la correctionnelle. Il devrait y avoir un délit de crétinerie en bande organisée ! Ou alors, il faut dire la vérité au peuple corse, tout de suite. La seule voie d’avenir pour une « Corse libre », c’est de devenir un paradis fiscal.
Le rare mérite des mouvements indépendantistes – comme des partis populistes – est de poser quelques bonnes questions. Qui auraient dû, depuis longtemps, interroger et faire réagir les dirigeants français, comme ceux des pays de l’Union. Les politiques de l’autruche se terminent toujours mal. Alors Cessons de tergiverser. La France métropolitaine est en position de force par rapport aux indépendantistes. Elle a bien moins à perdre que les peuples qui se retrouveraient soudain seuls face à leur destin. A contrario, elle aurait beaucoup à gagner à prendre l’initiative lorsqu’il s’agit de répondre à des attentes légitimes et d’imaginer le mode de gouvernance adapté à chaque territoire éloigné de Paris.
Par ailleurs, qu’il faille améliorer l’UE et corriger ses travers, c’est évident. Comme il est pertinent de chercher à lui donner les moyens – qu’elle n’a pas – de protéger. Mais tout cela doit se conduire de façon hautement responsable, visionnaire, et avec la ferme volonté de consolider et renforcer le bloc européen.
La seconde résolution touche à la formulation de notre nouvelle ambition européenne. Cette fois, il faut placer la barre au bon niveau et ne plus décevoir. Faire croire qu’un sportif peut sauter une barre à deux mètres et découvrir qu’il peine à dépasser un mètre conduit les spectateurs à de vives désillusions.
De la même façon, il est maintenant nécessaire de cesser de nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Les effets de manche ne sauraient constituer la base d’un langage de refondation. Donner envie, oui. Bercer d’illusions, non. Les peuples ne s’y laisseront plus prendre. Ainsi, sur l’Europe de la défense, sur les coopérations structurées, comme sur les travailleurs détachés, évitons d’amplifier les réalités. La communication se doit d’être juste.
Un petit pas dans la bonne direction doit être présenté comme tel, et non comme une grande enjambée. Car en définitive, pour relancer l’UE puis la refonder, en l’état des positions des 27, des traités et du système gouvernance mou qui en découle, seule comptera la politique des pas que l’on peut accomplir. Ces petits pas réussis et l’absence de grand écart entre les paroles et les faits, façonneront la nouvelle crédibilité de l’UE et feront que les élections de 2019 ne seront pas les dernières du genre.