« Fitch : et soudain, la performance extra financière s’invite dans la notation d’un État ! », par Alexandre Malafaye

Retrouvez cette tribune publiée le 12 mai 2023 dans la Revue politique et parlementaire.

Si ce n’était pas problématique pour nos finances publiques, nous pourrions nous réjouir du message adressé par l’agence de notation FITCH aux dirigeants politiques de notre pays. Et peut-être pas seulement que du nôtre.

De nombreux observateurs de la vie publique l’ont en effet commenté. Pour le Gouvernement, cette baisse de la notation (de AA à AA-[1]) est un camouflet qui porte en germe un coûteux effet boomerang.

Alors que cette réforme a été conduite sur l’autel de la rigueur budgétaire et menée à son terme sans concession aucune, jusqu’à la promulgation immédiate de la loi après la validation du Conseil constitutionnel, la France se voit tout de même sanctionnée. Avec comme probable conséquence, l’annulation du seul intérêt de cette réforme, à savoir sa rentabilité financière face au risque de hausse du coût de l’argent pour les emprunts d’état français.

Avant de passer au fromage de cette leçon, il est utile de revenir sur les motivations de l’agence FITCH.

À l’évidence, le contexte social et les manifestations à répétition contre la réforme des retraites ont été suivis et analysés de près, ce qui conduit Fitch à écrire que « l’impasse politique et les mouvements sociaux (parfois violents) représentent un risque pour le programme de réformes d'(Emmanuel) Macron et pourraient créer des pressions en faveur d’une politique fiscale plus expansionniste ou d’un renversement des précédentes réformes. »

L’utilisation de l’article 49-3 est lui aussi pointé du doigt : « Cette décision a donné lieu à des manifestations et à des grèves dans tout le pays et renforcera probablement les forces radicales et anti-establishment ».

Directes et sans ambiguïtés, ces critiques mettent en lumière un enjeu majeur de plus en plus écarté par les dirigeants politiques nationaux : la fabrication du consentement et de décisions collectives acceptées.

Bien sûr, l’intérêt général peut commander de prendre des décisions difficiles, mais tout dépend du contexte. Une grande majorité de nos compatriotes ont ainsi accepté les difficiles privations de liberté imposées par la crise sanitaire.

Il ne faut donc pas se tromper de grammaire. Gouverner ne se réduit pas à gérer en comptable ou décider d’en haut en affirmant « c’est mon programme » ou « c’est pour votre bien ».

Le consentement constitue la clé de voûte du bon fonctionnement de la démocratie dans la durée.

Il est le principe qui permet à chacun de participer librement à la vie de la Cité. Il raccroche le citoyen à l’intérêt général et l’y associe. Il repose sur la confiance accordée envers celui qui édicte des règles, qui les met en œuvre et contrôle leur juste application. Il est aussi adossé à l’exemplarité des décideurs et à une pratique maîtrisée et sans cesse entretenue de l’autorité.

Lorsqu’un citoyen consent à une réforme, à une loi ou à une disposition d’ordre public, cela ne veut pas dire qu’il est en plein accord ou satisfait de la mesure, mais cela signifie qu’il est prêt à l’accepter en confiance, voire à la supporter même si elle ne lui convient pas ou peu.

Il en va ainsi du code de la route et de ses sanctions. Le consentement à l’impôt était établi sur le même principe. Payer un impôt n’est pas forcément réjouissant mais le contribuable savait que son argent était utile à la société. Depuis la mise en œuvre du prélèvement à la source, ce principe est hélas vicié, et d’un point de vue ontologique, nous ne pouvons que le déplorer. Car le verbe consentir a pour antonyme subir. C’est exactement ce qui s’est passé avec la réforme des retraites, et avec bien d’autres avant elle. Réforme après réforme, le refus de subir de la part des Français ne cesse de gagner du terrain. Dans une démocratie, ce danger est considérable, véritable prélude à une crise de régime.

Mais le plus intéressant dans l’histoire, c’est qu’en taclant l’exécutif français sur sa façon de gouverner, FITCH fait évoluer la jurisprudence de son système de notation. La performance économique et financière d’un État n’apparait plus comme le seul critère déterminant.

Le concept de performance devient global. En agissant ainsi, FITCH applique, peu ou prou, les règles de RSE qui s’imposent lentement mais sûrement aux entreprises françaises et européennes, à savoir l’obligation de prendre en compte l’intérêt de l’ensemble de leurs parties prenantes, de bien mesurer les impacts de leurs décisions, d’intégrer dans leur modèle économique le respect de l’environnement et l’impératif de construire un partage de la valeur équitable, à court comme à long terme, et de penser par-delà les seuls critères de rentabilités monétaires.

En Europe, les entreprises et leurs dirigeants en ont désormais conscience. Leur destin est lié à celui de toutes leurs parties prenantes (les collaborateurs bien sûr, mais aussi les clients, les fournisseurs, les territoires et l’environnement).

Celles qui, de façon volontaire et durable, choisissent d’en négliger une ou plusieurs prennent le risque de décliner, voire de disparaître. Même si la théorie de Milton Friedman qui expliquait en 1970 que « la responsabilité sociale de l’entreprise était d’accroître ses profits » continue d’avoir la peau dure, les temps changent et les générations actuelles ne toléreront plus ce que les précédentes acceptaient ou subissaient.

Il en va de même pour un État. Encaisser, gérer et dépenser « un pognon de dingue » ne suffisent plus. Le climat social, les inégalités réelles ou perçues, le ressenti, les inquiétudes et les peurs, tout comme le fameux « time to market » et la façon d’agir et d’associer les parties concernées à un projet comptent autant dans la réussite du projet que le projet lui-même, peu importe son intérêt, sa qualité ou sa rentabilité. Au-delà du discours, la méthode doit acter l’appropriation.

Demain, pour convaincre les agences de notation de remonter la note de la France, ou surtout de ne pas risquer de la dégrader davantage, il est probable que l’État français doive modifier ses pratiques et méthodes de gouvernance et de revoir les critères d’évaluation de son action. De façon spécifique bien sûr, il lui faudra s’imposer ce qu’il exige des entreprises. Voilà enfin une petite brèche entrouverte dans le « deux poids deux mesures » qui caractérise trop souvent l’action publique face au secteur privé, qu’il soit lucratif ou non. Ce n’est que justice.

Alexandre Malafaye,
Président de Synopia

[1] Notons au passage que la note de la France est passée de AAA en 2010 à AA- en 2023.

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