Alexandre Malafaye, président fondateur de Synopia, un think tank indépendant qui vise à moderniser les institutions, défend l’idée d’un vaste projet de réformes dans l’espoir d’inspirer les candidats à la présidentielle.
Selon ce sondage, 62 % des Français déclarent qu’aucun candidat ne les enthousiasme vraiment et qu’ils iront voter par devoir. D’où vient le mal de la démocratie française ?
Les Français, en « bons citoyens », s’intéressent à la chose publique. Mais ils ont le sentiment d’être mal gouvernés. La classe politique française n’est plus à la hauteur des enjeux actuels, même si elle est de haut niveau et pourvue de talents. Elle est empêtrée dans les logiques d’appareils, politiciennes et électorales, qui prennent le pas sur l’intérêt général. La Constitution ne favorise pas non plus le renouvellement de la classe politique. On a vu l’ombre de Nicolas Sarkozy planer sur la primaire, on peut s’interroger sur un possible retour de François Hollande en 2022. De même, la Constitution ne contient pas réellement d’obligations de résultats en matière de déficit public ou de croissance. Comme un char formidablement équipé qui patine dans le sable, la France est une grosse machine « hors sol », qui produit de la règlementation sans capacité d’entraînement. Il faut réparer la mécanique institutionnelle pour raviver notre démocratie.
Qu’est-ce qui fait de l’échéance de 2017 un moment clé ?
Cette élection présidentielle est un moment historique, d’abord au regard du contexte politique. Le Front National est sur la marche de l’Elysée. C’est un risque car on ne bâtit pas une nation en divisant un peuple. Ensuite, la rénovation institutionnelle et le désir de transformer la politique sont devenus des sujets à part entière pour les Français. Des initiatives émergent : laprimaire.org, les pétitions pour Jacqueline Sauvage, le mouvement contre la loi El Khomri… Mais elles ne sont pas institutionnalisées. Au Royaume-Uni, si les citoyens se mobilisent autour d’une pétition et obtiennent 100 000 signatures, leur demande est traitée lors d’une séance de questions au gouvernement. Ce système d’interpellation citoyenne est un droit, sécurisé et institutionnalisé.
Les projets de réformes des candidats sont-ils à la hauteur ?
Les candidats sont dans la réaction plus que dans l’action. Certaine propositions sont innovantes mais lancées sans cadre structurant. Elles ne s’appuient sur aucun diagnostic : on propose la suppression du 49.3 par-ci, la comptabilisation du vote blanc par-là… A droite comme à gauche, aucun candidat ne présente de réflexion sur l’exercice du pouvoir au 21esiècle. A titre d’exemple, la réduction du nombre de parlementaires a été portée par Claude Bartolone et Michel Winock. Leur rapport Refaire la démocratie contient des propositions ambitieuses qui constituent un tout. Ce sont des sujets suffisamment fondamentaux pour justifier un débat transpartisan, une sorte de « Grenelle des institutions ».
Quels sont les grands principes d’une « nouvelle gouvernance » ?
Nous avons défini trois principes structurants. D’abord, « décarriériser » la classe politique : non-cumul des mandats dans le temps et septennat unique pour le Président de la République. Cela le (re)placerait dans un rôle d’arbitre, au-dessus de la mêlée. Et s’il brigue un second mandat, compte tenu de son poids dans la vie politique, il « fige » le renouvellement des forces. Deuxièmement, il faut renforcer l’efficacité de l’Etat. On peut imposer des gouvernements resserrés et des cabinets ministériels recentrés sur leur mission d’accompagnement politique des ministres. Comme un DG en entreprise qui communique avec son DRH et son DAF, un ministre doit pouvoir discuter directement avec ses patrons d’administration. Pour gouverner de manière lucide, on peut confier l’évaluation des projets de lois à une structure externe et indépendante. Enfin, il faut recréer du lien démocratique. Un moyen est de prendre en compte le vote blanc dans le calcul du résultat d’un scrutin. Au-delà d’un certain seuil, les candidats seraient renvoyés dos à dos pour ajuster leur projet.
Vous précisez que les « 200 jours d’avant » l’élection sont décisifs pour « formuler des engagements lisibles » et que les « 100 jours » de début de mandat permettent de « fissurer le mur des corporatismes ». Est-ce le seul moyen de réformer ?
Pour changer les choses, le Président doit proposer ces réformes et s’appuyer sur la volonté des Français qui l’élisent. Autrement, il n’a qu’une légitimité institutionnelle. Dans les mois suivant l’élection, il pourra traiter de grands sujets : le monopole syndical de 1946, la réforme de la fiscalité, le revenu universel… C’est ce que fait Emmanuel Macron. Il sent que rien n’est totalement binaire. Lorsque François Fillon propose de supprimer 500 000 postes dans la fonction publique, l’idée subliminale est qu’on a « trop de fonctionnaires ». Sa ligne est vécue comme brutale et réductrice. Macron dépasse les clivages partisans pour proposer des réformes. C’est plutôt intuitif et dans l’esprit des institutions de 1958. De Gaulle n’avait pas de parti, mais constituait des majorités de projets. Il avait la capacité à fédérer. Macron pourrait davantage incarner le renouvellement institutionnel et politique, mais il répond à un espoir. Selon le sondage Ifop, 43% des Français pensent encore que « voter, c’est le moyen de faire changer les choses ». Il faut tirer parti de cette opportunité et mener des réformes de fond. Une évolution plutôt qu’une révolution.
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