Retrouvez l’interview de Joséphine Staron dans le cadre de cet article publié par Madame Figaro.
Elles sont à la fois le dernier rempart et en première ligne. Par coïncidence, six femmes dirigent de petits pays frontaliers ou proches de la Russie. Présidentes ou premières ministres, la plupart âgées de moins de 50 ans et en poste depuis 2020, elles tiennent tête à leur gigantesque voisin russe, que l’invasion de l’Ukraine, le 24 février, a rendu plus menaçant que jamais. «Poutine viendra nous mettre à l’épreuve et nous devrons résister», assure Kaja Kallas, 44 ans, première ministre de l’Estonie, vêtue d’une robe jaune, le col piqué d’un ruban aux couleurs de l’Ukraine, devant le Parlement européen, le 9 mars.
«Si Poutine décide d’envahir ces pays, les derniers remparts avant l’Union européenne tombent, souligne Joséphine Staron, directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia. Ces femmes portent une responsabilité historique, et leur attitude montre qu’elles en ont conscience.» Leurs voix comptent parmi les plus dures envers Moscou. Les unes envoyaient déjà des armes à l’Ukraine il y a des mois, les autres appellent aujourd’hui à muscler les moyens militaires européens, à durcir les sanctions contre la Russie ou à offrir à Kiev la perspective d’une adhésion à l’UE. «C’est notre intérêt, mais aussi notre devoir moral», affirmait ainsi Kaja Kallas devant les eurodéputés. Plus conscientes de la menace russe, plus promptes à défendre une liberté récente, ces femmes montent au front pour réveiller une Europe longtemps endormie, incapable d’agir de concert. Et ouvrent la porte à d’autres, plus menacées encore : Maia Sandu, 49 ans, présidente de la Moldavie, pays pauvre de 2,6 millions d’habitants confronté à un afflux de réfugiés ukrainiens, et Salomé Zourabichvili, 70 ans, la présidente géorgienne.
Comme l’Ukraine, leurs deux pays, dont des fragments de territoire sont aux mains de séparatistes prorusses, ont déposé une demande d’adhésion à l’UE. «Si la priorité va naturellement à l’Ukraine, nous ne devons pas être oubliés, au risque de devenir des maillons faibles», insiste Salomé Zourabichvili. Toutes n’ont pas la même marge de manœuvre. Mais ces dirigeantes, du nord au sud de l’Europe, partagent une certaine incarnation du pouvoir, contraire à celle de Vladimir Poutine. Lui déchaîne son armée et multiplie les outrances, elles gouvernent avec mesure et pragmatisme. Il est isolé, entouré de quelques conseillers dont pas un n’oserait le contredire, elles affichent leur unité et font bloc à l’Ouest, auprès, là aussi, d’une femme, Ursula von der Leyen, à la tête de l’exécutif européen. «Elles démontrent leur courage, leur maîtrise et leur puissance, résume Joséphine Staron. Ces femmes incarnent des valeurs dont on a peut-être oublié qu’elles n’ont rien d’évident.»
Surtout, leur fermeté sereine jure avec un Poutine brutal et machiste, amateur de parties de chasse, de photos torse nu et de mots fleuris. Comme cette allusion au viol à peine voilée adressée au président ukrainien, Volodymyr Zelensky, en février : «Que ça te plaise ou non, ma jolie, il va falloir supporter.» On ne peut qu’imaginer les sentiments profonds de Vladimir Poutine envers les femmes, et plus encore envers ces six dirigeantes, aux pays si petits, si proches, qui osent pourtant se dresser devant lui, dégonfler sa rhétorique belliqueuse, imposer des limites, contre-attaquer. Elles ne lui laissent pas le choix. À lui, cette fois, de supporter cet affront. Que ça lui plaise ou non.