« La démagogie peut-elle être la prochaine victime du dégagisme ? », Chronique par A. Malafaye

Retrouvez la chronique d’Alexandre Malafaye sur le site de L’Opinion, via ce lien

L’exercice auquel s’est livré le Président de la République dimanche dernier sur TF1 mérite que l’on y revienne un instant. D’abord parce que l’audience obtenue par Emmanuel Macron se situe dans le top 5 de l’année 2017. Avec près de 10 millions de téléspectateurs, il bat – de peu – le grand débat organisé le 20 mars 2017 entre les cinq candidats à la présidentielle (9,7 millions de téléspectateurs), il dépasse nettement le résultat des deux finalistes de la primaire de la droite et du centre le 24 octobre 2016 (8,5 millions) et pulvérise l’audience de son Premier ministre lors de « L’émission politique » du 28 septembre (3,2 millions). Il n’est certes pas au niveau de la grande finale de l’entre-deux tours de l’élection présidentielle (16,4 millions), mais l’enjeu était d’une toute autre nature, à la fois sur le fond et la forme. Et il n’y avait aucun suspense, pas de gagnant ni de perdant à l’issue. Pas de sang show sur les murs, donc.

Ensuite, parce que l’interview du chef de l’État peut être replacée dans la perspective du sondage Ifop pour Synopia récemment publié : 65 % des Français estiment que le débat public n’est ni au niveau des enjeux de la France, ni de bonne qualité.

Cette fois, les téléspectateurs n’ont pas dû être déçus. La qualité était au rendez-vous, et nul ne peut défendre sérieusement que le verbe présidentiel ne se positionnait pas au bon niveau des sujets. D’ailleurs, ses expressions ont provoqué moult débats dans les jours qui ont suivi. Notamment celle des « premiers de cordée ». Si de telles expressions font prendre des risques au Président de la République, elles révèlent ses raisonnements et permettent de décrypter les théories qui inspirent son action politique. « On ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens » disait le Cardinal de Retz. S’agissant d’un jeune chef de l’État qui a pris grand soin de dissimuler sa personnalité derrière sa foudroyante ascension politico-médiatique, rien n’est plus sain. Ainsi, nous commençons à faire connaissance avec Emmanuel Macron. L’homme se dévoile, une intelligence crève l’écran, un style de chefferie s’impose. Chemin faisant, au fur et à mesure que des décisions se prennent, souvent moins marquées par la maturité que le désir de s’imposer, une étonnante méthode se dessine : celui qui mise tout sur le futur ne prend aucun soin à se fabriquer un passé.

Dans le même temps, de tels questionnements sur les ressorts de l’inspiration présidentielle se situent à des années lumières des débats sans fin autour des outrances des Insoumis. Jean-Luc Mélenchon a-t-il compris qu’à force de tirer le débat vers le bas, il s’exposait à une possible démonétisation de son verbe ? Nul ne peut le certifier, mais toujours est-il que l’insoumis en chef fait preuve d’une surprenante retenue depuis sa paisible confrontation avec Edouard Philippe sur France 2. Rumine-t-il l’échec des récentes mobilisations sociales ? Ou bien, tente-t-il de passer du statut d’opposant bruyant à celui d’adversaire crédible ? L’avenir – à 5 ans – nous renseignera sur sa carrure de stratège.

Pour Emmanuel Macron, l’enjeu, on l’aura bien compris, consistait à remettre sa politique dans la bonne perspective. S’il avait été davantage expérimenté de la chose publique et imprégné des inquiétudes réelles des Français, le Président de la République ne se serait pas égaré dans cette posture jupitérienne avare de paroles. En filigrane, chacun a pu percevoir qu’il cherchait à se débarrasser de ce fichu bout de sparadrap à 5 euros des APL. C’est hélas raté. Pour éviter de se faire coller l’étiquette « président des riches », Emmanuel Macron aurait dû expliquer sa politique dès les premiers jours, tout en se détachant des influences gagne-petit de Bercy. Désormais, il est pris au même type de piège mortel que François Hollande avec sa fameuse « courbe du chômage ». A une différence prés : le « prédécesseur » d’Emmanuel Macron avait choisi son poison. Celui qui pourrait bien terrasser le successeur de François Hollande se nomme « écart de richesses ». Si, en 2022, les riches sont plus riches, les classes moyennes encore plus moyennes et les pauvres plus pauvres, nous serons forcés d’admettre que la théorie du ruissèlement a fonctionné, mais à l’envers…

Quoi qu’il en soit, le goût des Français pour la politique, même s’il s’accompagne d’un dégoût certain envers les politiques, ne se dément pas. C’est une chance dont il faut vite trouver le moyen de faire le meilleur des usages. Car la démocratie représentative, loin d’être tirée d’affaire avec l’arrivée d’Emmanuel Macron, est désormais bousculée, et même challengée, par la démocratie participative et la démocratie directe, l’essor de ces deux dernières étant boosté par le numérique. Saine concurrence entre différentes formes d’expression démocratique, ou menace de remplacement de l’une par l’autre ? Mieux vaudrait ne pas attendre de connaître la réponse à cette question pour se préoccuper de trouver un équilibre satisfaisant, qui garantisse le pilotage régalien du pays et la prise en compte de l’avis citoyen au quotidien, sans rien céder aux pulsions minoritaires, ni risquer de se faire dépasser par un mouvement dégagiste sauvage.

En pratique, moins les Français comprendront l’action de l’exécutif, plus ils militeront en faveur des formes de démocraties alternatives, sans trop chercher à savoir si le chaos ne se tient pas en embuscade, prêt à balayer tout ce qui n’est pas assis sur des fondations solides. Avec les dernières élections législatives, nous avons eu un avant-goût de la légèreté des Français quand ils expriment leur colère dans les urnes. Beaucoup considèrent que nous avons remplacé une majorité de députés aux résultats insuffisants, par une majorité de député.e.s aux compétences insuffisantes. Professionnels de la politique contre amateurs de la société civile. Insuffisance contre incompétence. Curieux match. Espérons que les Français n’en seront pas les grands perdants.

Plus que jamais, la pédagogie politique constitue la clé du futur. Elle passe par le débat public et ces grandes confrontations dont les Français sont friands. Elle suppose que les tenants de l’exécutif montent au feu aussi souvent que possible. Elle amène aussi à se demander si le format actuel des émissions politiques ne devrait pas évoluer pour aller vers davantage de débats directs entre l’exécutif et les oppositions, d’égal à égal. D’abord, pour tenir compte de la crise de la démocratie représentative qui nécessite d’inventer de nouvelles réponses. Et ensuite, parce qu’il apparaît nécessaire de confronter l’action politique à ses contradicteurs et ces contradicteurs aux réalités. Car les journalistes mènent une bataille par nature asymétrique face aux hommes et aux femmes politiques. Aussi talentueux soient-ils, ils ne disposent pas de toutes les armes pour combattre la propagande gouvernementale et les dérives démagogiques des opposants. C’est précisément cette propagande et cette démagogie que les Français rejettent.

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