« La fin d’un monde, le début d’un autre : quelle géopolitique pour demain », par Joséphine Staron

La géopolitique mondiale est en pleine mutation, précipitée par l’arrivée au pouvoir de Donald Trump. À peine un mois après son investiture, le nouveau président américain a déjà provoqué une accélération de l’Histoire, suscitant autant d’inquiétudes que de fascination. En remettant en cause le soutien des États-Unis à l’Ukraine et en faisant de son slogan « America First » un véritable « America Alone », il a semé le trouble sur la scène internationale. Face à cette rupture brutale, le monde oscille entre désarroi et réorganisation

Les ambitions impérialistes de Donald Trump

Depuis son retour à la présidence en 2025, Donald Trump a manifesté des velléités expansionnistes qui rappellent des époques révolues. Parmi ses initiatives les plus notables figure l’intérêt renouvelé pour l’acquisition du Groenland, territoire autonome du Danemark. Cette ambition, déjà évoquée lors de son premier mandat, a été réaffirmée, suscitant des réactions mitigées sur la scène internationale.

Parallèlement, les relations avec le Mexique et le Canada, deux partenaires commerciaux majeurs des États-Unis, se sont détériorées. Le 31 janvier 2025, le Président américain a annoncé l’imposition de droits de douane de 25 % sur tous les produits mexicains et canadiens, avant de faire marche arrière aux vues des réactions négatives des marchés financiers.  

Le Panama aussi est victime des ambitions « trumpiennes ». Le 3 février 2025, le Secrétaire d’État américain Marco Rubio a rencontré le Président panaméen et exprimé les préoccupations des États-Unis concernant l’influence croissante de la Chine sur le canal de Panama. Résultat : quelques semaines plus tard, l’américain BlackRock annonce acquérir deux des ports principaux du Canal. 

Le vote au Conseil de sécurité et l’humiliation du Président ukrainien 

C’est sur la guerre en Ukraine que les déclarations de Donald Trump ont le plus ébranlé les alliés des États-Unis. La rencontre entre Volodymyr Zelensky, le président américain et son vice-président, J.D. Vance, a laissé place à une scène de sidération absolue. Quelques minutes de l’échange, soigneusement mises en scène et diffusées sur tous les écrans, avaient un objectif clair : humilier le président ukrainien. Le Président Trump et son vice-président ont brisé non seulement les codes de la diplomatie, mais aussi ceux de la décence et du respect, en orchestrant une véritable tentative d’extorsion en direct. Le message était brutal : l’Ukraine devait accepter la mainmise américaine sur ses minerais et terres rares, sans aucune garantie de sécurité supplémentaire. Le refus signifierait l’abandon pur et simple du pays à son sort.

Si cette scène a choqué par sa brutalité, elle n’aurait pourtant pas dû surprendre. Les signes avant-coureurs étaient nombreux. Le fait que Donald Trump ait entamé des négociations directes avec la Russie, en excluant l’Ukraine du processus, annonçait déjà cette mise à l’écart et cette volonté de redéfinir les rapports de force sans tenir compte des premiers concernés. 

Mais ce qui aurait dû retenir davantage encore notre attention, c’est ce qui s’est déroulé aux Nations Unies lundi 24 février 2025. Pour la première fois depuis le début du conflit, les États-Unis ont présenté une résolution au Conseil de sécurité des Nations Unies sur la guerre en Ukraine. En voici le texte :

« L’Assemblée générale,

  • Déplorant les pertes humaines tragiques causées par le conflit entre la Fédération de Russie et l’Ukraine,
  • Rappelant que l’objectif principal des Nations Unies, tel qu’exprimé dans sa Charte, est de maintenir la paix et la sécurité internationales et de régler les différends de manière pacifique,
  • Implore une cessation rapide des hostilités et exhorte à l’établissement d’une paix durable entre l’Ukraine et la Fédération de Russie. »

Cette résolution a été adoptée par le Conseil de sécurité avec le soutien des États-Unis, de la Russie et de la Chine, tandis que le Royaume-Uni et la France ont choisi de s’abstenir.

Que révèle ce vote ? Avant tout, il consacre le narratif que Vladimir Poutine s’efforce d’imposer depuis le début de l’invasion : il ne s’agit plus d’une agression unilatérale de la Russie contre l’Ukraine, mais d’un simple « conflit » entre deux États. La résolution appelle bien à la paix, mais sans évoquer la nécessité de restaurer l’intégrité territoriale de l’Ukraine, ce qui signifie que la reconnaissance des frontières souveraines n’est plus une priorité pour les Nations Unies.

En approuvant ce texte, les États-Unis et la Russie, avec l’aval tacite de la Chine, ont ainsi trié parmi les principes de la Charte de l’ONU ceux qu’ils entendent faire respecter. La souveraineté des États n’en fait visiblement plus partie. Le message est clair. 

Un nouvel ordre mondial en perspective

Que peut-il sortir de cette séquence chaotique ? De la brutalité des rapports de force au désordre sidérant de la scène internationale, tout semble indiquer que la loi du plus fort l’emporte désormais sur le droit international. L’impérialisme, que l’on croyait relégué au passé, fait son retour en force, porté par des puissances comme la Russie, la Chine et les États-Unis de Donald Trump.

Mais ce basculement ne se fait pas sans résistance. En réponse à cette logique prédatrice, de nouvelles dynamiques émergent. L’Europe, bousculée par l’unilatéralisme américain, prend enfin le chemin du réarmement et de l’autonomie stratégique. Elle n’est pas seule : des alliés comme le Canada et la Turquie étaient présents à Londres le 2 mars, témoignant d’un début de convergence sur les questions de défense. Sur le plan économique, la politique protectionniste de Donald Trump pousse d’autres blocs à resserrer leurs liens : l’Inde s’apprête à conclure un accord de libre-échange historique avec l’Union européenne, et le Mercosur, en suspens depuis des années, devrait enfin être signé. 

Réarmement, autonomie stratégique, consolidation des alliances : le Vieux Continent se voit contraint de devenir un acteur géopolitique à part entière, et non plus un simple spectateur des décisions américaines. Au sein du monde arabe aussi une dynamique régionale semble se mettre en place, avec la Ligue arabe qui cherche des alternatives au plan de reconstruction de Gaza proposé par Washington.

Cependant, une question demeure : cette réorganisation suffira-t-elle à restaurer un équilibre durable, ou ne fera-t-elle qu’accélérer la fragmentation du monde en sphères d’influence rivales ? Pendant que Donald Trump agite le spectre du protectionnisme et des rapports de force brutaux, la Chine avance méthodiquement ses pions, patiente et opportuniste. Son silence face aux bouleversements actuels n’est pas une absence, mais un calcul. Car dans ce grand jeu de puissance, le vrai gagnant pourrait bien être celui qui parle le moins, mais agit le plus.

Joséphine Staron 

Directrice des études et des RI, Synopia

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