Cette tribune est signée par une quinzaine de magistrats, militaires, préfets et réservistes.
Les récentes déclarations du Président de la République, à l’occasion d’un discours rendant hommage aux victimes de l’attentat à la Préfecture de Police de Paris, sur la nécessité de bâtir une «société de vigilance» ont alimenté les débats sur la participation des citoyens aux actions de sécurité. En France, cette implication des citoyens est souvent assimilée à une forme de collaboration, avec toute la charge négative que ce mot revêt depuis les années 1940. Et s’il s’agissait d’une conception dépassée de la question ?
Si la sécurité est une mission régalienne, cela n’implique pas que les citoyens soient totalement désengagés et passifs. La société de vigilance à laquelle appelle le Président Macron ne doit pas s’apparenter à une société de délation, mais doit inciter les citoyens à être davantage responsables de leur sécurité et de celle de leur entourage, en étant plus attentif à leur environnement, et de participer ainsi à la sécurité collective.
Car aujourd’hui la collecte de signaux faibles d’une menace terroriste potentielle se situe au niveau infralégal, une zone où, en démocratie, l’action régalienne ne peut intervenir. Ce n’est finalement rien de plus qu’un appel au civisme. Selon les chiffres communiqués par le ministère de l’intérieur, 59 attaques ont été évitées ces six dernières années. 58 l’ont été grâce à l’intervention d’une source humaine, relativisant le poids des technologies de surveillance puisque celles-ci n’interviennent qu’en aval ou en soutien des techniques dites classiques de renseignement.
Et ce civisme est nécessaire dans la mesure où la société française a beaucoup changé: à une population largement rurale, peu mobile, peu éduquée, homogène et conditionnée par deux millénaires de guerres incessantes, a succédé une société formée, surinformée, ouverte au monde, diverse, «horizontale», et qui oscille entre individualisme, indifférence, et désir de participer aux décisions publiques.
Aucune politique publique ne peut plus aujourd’hui être menée en écartant les citoyens de sa conception et de son exécution. Il faut rechercher la meilleure synergie entre les acteurs et les personnes concernées. Et les acteurs, dans cette mutation de la société et de la typologie opérationnelle du terrorisme inspirée par Daech, ne sont plus seulement l’État, mais les collectivités territoriales, les établissements scolaires et toutes les structures associatives ou culturelles au plus près du terrain.
Si des dispositifs existent déjà et portent leurs fruits depuis de nombreuses années, les Français restent encore très attachés à l’idée que la sécurité n’est pas l’affaire de tous, mais seulement celle de l’État. Aujourd’hui, au regard de la multitude et de la diversité des menaces, il est évident que l’État ne pourra plus assurer seul les missions de sécurité. Plus que de moyens, la politique de sécurité a besoin d’une stratégie renouvelée. La sécurité de nos concitoyens ne se fabriquera pas sans eux. Le combat singulier des services de sécurité contre les délinquants, sous le regard passif de la population, correspond à une vision dépassée. C’est en associant les citoyens, actifs et responsables, à la mise en œuvre de leur propre sécurité, que délinquance et criminalité pourront être mieux jugulées.
La participation des citoyens est ainsi à la fois une garantie d’efficacité et une exigence démocratique. Garantie d’efficacité parce le premier pas vers la réussite réside dans l’acceptabilité d’un projet par la population. Exigence démocratique car dans une démocratie moderne, la sécurité est l’affaire de tous, et que les services de police ont des comptes à rendre. De nombreux pays ont développé la coopération entre les forces de police et la population. Les pays anglo-saxons (Canada, Royaume Uni), mais aussi les pays scandinaves, la Belgique et l’Espagne ont acquis une solide expérience en la matière.
Ces expériences étrangères nous le disent: la première chose à faire, c’est d’instaurer au plan local, un dialogue avec la population. Ce dialogue possède deux vertus: la première, évidente, est que les services de sécurité bénéficient «en direct» des informations sur les besoins de sécurité ; la seconde est que les citoyens prennent ainsi l’habitude d’échanger et de coopérer avec les agents.
En 2018, le think tank Synopia publiait un rapport sur la participation des citoyens à la chaîne globale d’alerte et de vigilance, à ne pas confondre avec la surveillance ou l’espionnage qui ne sont bien évidemment pas du ressort de la population. Les préconisations formulées dans ce rapport, comme la création d’outils pour sensibiliser et former les citoyens aux enjeux de sécurité, mais aussi pour faciliter le dialogue avec les forces de sécurité et la remontée d’informations utiles, vont dans le sens d’une responsabilisation des citoyens.
Signataires :
Alexandre Malafaye, Président de Synopia, auditeur de l’IHEDN.
Jean-Michel Fauvergue, Député, ancien chef du RAID.
Bertrand Ract-Madoux, Général d’armée (2S), ancien chef d’état-major de l’Armée de terre,
Jean-Louis Bruguière, Ancien Coordonnateur du Pole judiciaire antiterroriste,
Patrice Molle, Préfet honoraire, ancien directeur de l’administration pénitentiaire.
Christophe Gomart, Général de corps d’armée (2S), ancien directeur du renseignement militaire,
Bertrand Soubelet, Général de corps d’armée (2S), ancien numéro 3 de la Gendarmerie nationale,
Alain Juillet, Président de l’Académie de l’intelligence économique,
Marguerite Genet, Magistrat, Officier de réserve,
Jérome Ferrier, Ancien directeur de la sûreté de Total,
Gérard Martin, Président de Fiducial Sécurité,
Corinne Champagner-Katz, Avocat au Barreau de Paris, Officier de réserve de la Gendarmerie nationale,
Annick Rimlinger, Directrice du développement de la sûreté d’un grand groupe franças, Officier de réserve de la gendarmerie nationale,
Jacky Isabello, Entrepreneur, Officier de réserve de la Marine nationale,
Joséphine Staron, membre du conseil d’administration de Synopia, auditeur de l’IHEDN Jeunes.
Jean-Marc Schaub, Senior Advisor chez We’ll Group.