« Le Grand débat national n’est pas un aboutissement, il doit poser la première pierre du renouveau démocratique » par Alexandre Malafaye

Retrouvez cet article publié dans Atlantico le 18 mars 2019 sur leur site internet.

Bien sûr, en s’impliquant comme il le fait dans « son » grand débat – une expérience démocratique unique au monde –, le Président montre qu’il assume ses responsabilités, et cela fonctionne. Bien joué. De contenue, la contestation tend à s’éteindre, même si des reprises de feu menacent. En cas d’échec de cette manœuvre, le Président risquait de tout perdre.

Mais un tel engagement n’a qu’un temps. Aucun général n’a gagné la moindre bataille en restant seul et de façon permanente en première ligne, tout en persistant dans l’emploi de moyens qui n’accordent qu’une force conjoncturelle.

Certes, en gouvernant à sa façon, le Président a cru bien faire, persuadé que le « patient français » n’en ferait pas une jaunisse. Agissant de la sorte, il a cependant rendu service à la nation. Sa méthode et son style ont tendu les institutions jusqu’au point de rupture, exhibant en pleine lumière ce qui ne fonctionne plus, et ce qui doit être réformé en profondeur.

Sur la méthode, d’abord, retenons notamment l’hyper-concentration des responsabilités au sommet de l’État, amplifiée par l’affaiblissement des leviers de contre-pouvoir, en partie lié au rajeunissement brutal de la classe politique. Parmi les conséquences directes de cette tendance, le climat de prudence qui règne au sein de la haute administration et l’incite peu à l’initiative.

Sur le style, chacun garde en mémoire les travers monarchiques et ces formules ciselées qui ont accru le rejet des élites et fini de créer les conditions de l’incendie. Avant de devenir pompier, le Président a joué au pyromane avec ses petites phases allumettes dans les vieux rideaux de la République.

Il lui appartient donc de tirer les leçons de ces deux années d’exercice des responsabilités.

Même si le sujet passionne moins les Français que celui du pouvoir d’achat, la refondation de nos institutions et de nos pratiques politiques constitue l’enjeu central. Car il s’agit ni plus ni moins que d’imaginer une nouvelle façon de gouverner, pour retrouver le chemin de l’acceptabilité des lois et de réformes, pour produire des résultats visibles, et pour rétablir la confiance. Cette fois, il ne faudra pas confondre la fin avec les moyens, ni se contenter de gadgets démocratiques.

Notre futur système démocratique ne peut plus se résumer à un président qui pilote seul une voiture dont l’équipement de conduite aurait été complété de quelques options de navigation ou d’assistance. Le volant doit être davantage partagé, de même que le levier de vitesse ou le frein. Surtout, le plan de route doit être élaboré, décidé et actualisé en concertation, chemin faisant, avec les passagers et ceux qui les représentent, qu’ils soient élus ou membres des corps intermédiaires.

Par exemple, s’il était décidé de réduire le nombre de parlementaires sans revoir les rôles et missions du Parlement, aux fins de le renforcer, ni doter chaque élu de davantage de moyens pour travailler, il y aurait de quoi hurler au gadget. De même, si la saisine du Conseil économique, social et environnemental (CESE) dans le cadre de l’élaboration de la loi n’est pas rendue obligatoire, autant se passer de la troisième Chambre et de ceux qu’elle regroupe.

Par ailleurs, il importe de regarder dans le rétroviseur, pour ne pas reproduire les erreurs du passé. Comme celle, grossière, du quinquennat renouvelable. Ou cette loi de 2014 sur le non cumul des mandats dont on réalise maintenant qu’elle a amputé les députés de leur expérience de terrain. Ou encore, comme en juillet 2017, avec la loi portée par François Bayrou hasardeusement nommée « loi pour la confiance dans la vie politique ». Il n’a échappé à personne que la confiance tarde à revenir… A l’évidence, l’enjeu du « renouveau démocratique », quelle que soit la sincérité des convictions de ses artisans, méritait d’autres remèdes qu’une loi ficelée et votée en urgence, ou une « présidence jupitérienne ».

En matière de gouvernance de la Cité, il faut se défier de confondre vitesse et précipitation. Du temps et de l’intelligence collective sont nécessaires pour mûrir et élaborer les réformes, et le travail de modélisation ne doit pas être négligé. Ici, l’expérimentation trouve toute sa place.

Parmi les grands sujets de rénovation institutionnelle à traiter, arrive en bonne position celui de la place du citoyen, et de sa « parole », dans le dispositif démocratique de demain. Les propositions ne manquent pas. Avec d’un côté, venant des ronds-points et de diverses mouvances, les idées de référendum d’initiative citoyenne et de vote blanc qui tendent à percer. Et de l’autre, issues de nos institutions, des expérimentations qui méritent attention. Ainsi, en provenance de l’Assemblée nationale, la consultation en ligne organisée autour du changement d’heure qui a mobilisé deux millions de Français et qui, pour une fois, inverse les habitudes : c’est l’État qui a interpellé les citoyens via internet. Au sein du CESE, il faut suivre de près cette récente initiative visant à intégrer des citoyens tirés au sort dans des commissions chargées d’élaborer des rapports. Une première. Du CESE encore, cette veille sur les pétitions citoyennes et la rencontre de leurs initiateurs, pour les écouter, et voir comment prendre en compte leur idée ou revendication. Ici, le CESE joue à plein son rôle. Proche par essence de la société civile, sa place lui permet d’observer ce qui émerge et d’assurer le lien avec l’exécutif et l’appareil d’État.

Entre les deux, se trouve le grand débat national, avec cette moisson d’informations politiques d’une ampleur sans précédent, et ses différents temps d’expression et de recueil de la parole citoyenne auxquels s’ajoutent les séances publiques de questions réponses avec un Président partagé entre écoute bienveillante et pédagogie engagée.

Ces exemples suffisent à le démontrer : la réponse ne saurait être unique. C’est un système d’échange complet qu’il convient d’inventer, à la fois montant, descendant et interactif.

Tout d’abord, les citoyens qui souhaitent interpeller l’État, ou proposer des idées, doivent pouvoir le faire, par le biais des pétitions, ou dans le cas de mobilisation accrue, par des consultations ou des référendums. Sous réserve, bien sûr, de seuils qui restent à déterminer et de garanties techniques à apporter (qui recueille les votes sur internet et qui vote).

De son côté, l’État et la représentation nationale doivent se doter d’outils nouveaux pour systématiser aussi souvent que possible l’association des citoyens à la fabrique de la décision publique, pour les impliquer, pour tester des idées ou pour co-élaborer la loi avec eux. Cela va des consultations en ligne en passant par des assemblées consultatives de citoyens tirés au sort et une vraie prise en compte des corps intermédiaires et de leur expertise. Là encore, le CESE et les CESER peuvent jouer un rôle déterminant dans ce nécessaire renouveau de notre démocratie.

Le grand débat national le prouve : la démocratie française est vivante. Mais elle se cherche un avenir, un « renouveau ». Des stratégies et des méthodes de gouvernance qui seront mises en œuvre dépend la capacité de nos dirigeants à gouverner pour maintenir la France dans le peloton des nations capables de défendre leurs valeurs et le mode de vie de leurs concitoyens.

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