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Sur le projet baptisée « entreprise et bien commun », le moteur gouvernemental tourne à plein régime. A terme, c’est à dire au printemps 2018, l’objectif est d’aboutir à un projet de loi joliment résumé par l’acronyme PACTE : Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises.
De cela, compte tenu des intentions et des ambitions affichées, nous pouvons espérer qu’il sorte le meilleur. Deux risques cependant se présentent, celui de confondre vitesse et précipitation, et l’autre, plus fâcheux et induit par le premier, celui de privilégier les moyens au détriment de la fin. De fait, nous touchons là à l’un des maux qui affectent le plus notre pays, celui de croire que la Loi va tout régler et que l’État est bel et bien fondé à se mêler de tout, en s’invitant aussi souvent que possible dans le quotidien des citoyens et des acteurs économiques. Au nom du principe de précaution, du droit des uns, de l’indignation du moment, d’une idéologie passagère, etc., et emmené par des gouvernants qui conçoivent trop souvent la France comme une île, déconnectée de toute interaction extérieure. Les mêmes qui n’ont jamais compris que la complexification à outrance avait un coût, parfois exorbitant, qui affecte notre compétitivité et impacte le prix final payé par le consommateur. Les mêmes encore, qui ont oublié – y ont-ils seulement pensé ? – que ce qui est conçu par des fonctionnaires habitués au gigantisme et aux procédures de l’administration, se décline avec les plus grandes difficultés dans les petites et les moyennes entreprises.
Jusqu’en 2017, cette étrange façon de gouverner a inspiré nos politiques sociales et économiques. Le résultat n’est guère brillant. Désindustrialisation, chômage de masse, soumission au diktat des GAFA, balance commerciale déficitaire, creusement des inégalités. Tout cela pour aboutir au primat des logiques financières. Véritables perversions du système capitaliste, elles conduisent à un partage de la valeur de moins en moins profitable à la France, à ses entreprises nationales et à ses salariés. Les gagnants, eux, se trouvent du côté des groupes de taille mondiale, et des groupes étrangers.
Or, s’il y a bien un enjeu majeur, qui devrait constituer le cœur du PACTE, c’est celui du partage équitable de la valeur. Avec deux grands objectifs à atteindre : que la valeur reste sur le territoire national, ou qu’elle y revienne, et qu’elle soit mieux répartie entre tous ceux qui la « fabriquent ». Pour stimuler un meilleur partage, servons-nous de ce qui existe, et montrons-le.
L’avantage, avec la valeur, c’est qu’elle se mesure. Il est « facile » de voir comment, dans une entreprise, elle se répartit entre tous ses acteurs, qu’ils soient actionnaires, dirigeants, salariés, fournisseurs, ou collectivités publiques (impôts, taxes et charges). Ces données figurent dans le bilan, le compte de résultat et le bilan social. Quant au client, qui finance l’intégralité de la valeur par le prix qu’il paye, il devrait trouver un intérêt réel à savoir de quelle façon ledit prix se ventile entre les différentes poches des parties prenantes associées dans la réalisation du bien, ou du service, qu’il achète.
C’est donc un système de notation du partage de la valeur qu’il faut établir. Avec un principe de notation à la fois simple dans sa restitution, et quand même assez sophistiqué dans sa mesure pour être le plus pertinent possible.
Dans un autre registre, celui de l’efficacité énergétique des appareils électroménagers, la transparence est désormais la règle pour les fabricants qui, depuis 1992 et une directive européenne, ont l’obligation d’informer les consommateurs avec une étiquette très lisible (notation de A+++ à G). Il en va de même pour les logements, avec le diagnostic de performance énergétique (DPE) que chaque vendeur doit produire. Ici, la transparence associée à la notation ont fait évoluer en bien les comportements d’achats des clients et les pratiques des vendeurs. Entre deux cafetières, l’une énergivore, l’autre économe, les consommateurs, dans leur grande majorité et pour peu qu’on les sensibilise un tantinet, savent faire « le bon choix édicté par le bon sens ».
Il en ira de même avec la notation du partage de la valeur. Avec le temps, il y a fort à parier que le consommateur, qui a aussi une casquette de citoyen, privilégiera l’achat de biens et de services dont il sait que le fournisseur choisi (fabriquant, prestataire ou distributeur) a une approche plus éthique du partage de la valeur que tel ou tel de ses concurrents. Parce qu’il paye ses impôts en France (ou au sein de l’UE), qu’il limite les écarts de rémunération entre ses dirigeants et ses salariés – et entre les hommes et les femmes –, qu’il fait un usage équitable de ses bénéfices, qu’il emploie des handicapés, qu’il privilégie la précarité ou la stabilité de ses salariés, qu’il paye vite ses fournisseurs, etc. Bref, les données disponibles ne manquent pas. Reste à trouver la formule magique qui permettra de les agréger et de les pondérer intelligemment, pour donner une note à chaque entreprise, à commencer par les plus grandes.
Les vertus d’une telle notation sont nombreuses. Actualisé chaque année – ce qui permettra de suivre le comportement de chaque entreprise –, il fera du partage équitable de la valeur, un élément de différenciation commerciale, par delà les réclames et les discours marketing, et il responsabilisera le consommateur dans ses choix. Ainsi, entre deux yaourts, l’un produit par un industriel qui étrangle ses paysans, et un autre qui les rétribuer au juste prix, il pourra, par son acte d’achat, encourager l’entreprise qui lui semble la plus responsable. Il saura aussi, lorsqu’il effectue un achat en ligne auprès d’une grande plateforme américaine, ou lorsqu’il s’équipe en téléphonie, qui il enrichit, parfois de façon scandaleuse.
Du côté des salariés, un tel indicateur permettra d’orienter, dans la mesure du possible, ses choix de carrière vers des entreprises dont l’éthique n’est pas qu’un slogan, on un simple indicateur, noyé dans la nébuleuse des contraintes de la RSE et de la compliance.
Du côté des entreprises, cette notation valorisera toutes celles, et elles sont légion, qui se comportent bien, et qui n’ont pas hésité à « transgresser » les articles 1832 et 1833 du Code civil pour considérer l’homme et la femme, ou encore le respect de l’environnement, comme une finalité à part entière. Quant à celles qui seront mal notées, il leur appartiendra de se transformer, ou de risquer de disparaître.
Enfin, pour notre cher vieux pays, l’évolution vers un partage équitable de la valeur ne pourra avoir que des effets positifs sur la cohésion de notre Nation, et sur les rentrées fiscales.
La métamorphose du monde des entreprises, vers plus d’équité, constitue un défi majeur qu’il faut impérativement réussir. L’éthique et le partage de la valeur en sont la clé, à condition de privilégier l’incitation compétitive au sempiternel recours à la loi.