Le Figaro, en partenariat avec Synopia, publie en exclusivité les résultats d’un sondage réalisé en janvier 2017 par l’IFOP sur « Les Français et l’électricité ».
Parmi les grandes questions de gouvernance, celles qui touchent à l’énergie sont centrales. Depuis les conclusions du sommet sur le climat COP21 à Paris en décembre 2015, la transition énergétique constitue un chemin sur lequel l’ensemble des pays s’engage. Mais les options sont nombreuses, voire contradictoires, et provoquent de très nombreux débats de société, notamment lorsqu’il s’agit d’aborder la réalité du prix – et donc du payeur en dernier ressort – des différentes énergies.
De même que les entreprises pour des raisons évidentes de compétitivité, chaque foyer français est directement concerné par ce sujet[1], qui s’est invité dans la campagne présidentielle française, même si les candidats n’ont fait que survoler cet enjeu aux multiples conséquences.
Au sein de l’Union européenne, qui devrait constituer le bon périmètre d’orientation de la transition énergétique, les grands thèmes évoqués touchent à la sécurité d’approvisionnement et la continuité de fourniture, au coût des énergies et au prix final de l’électricité, au développement durable et à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Le think tank Synopia a engagé une réflexion de fond sur l’ensemble de ces sujets et publie, en partenariat avec l’Ifop, un sondage destiné à évaluer l’opinion des français sur les grands choix énergétiques.
Ce sondage comporte plusieurs enseignements intéressants :
Tout d’abord, il rappelle que nos concitoyens ont des aspirations contradictoires : ils veulent une électricité propre, sans coupure de courant… et bon marché. Cette observation n’étonnera personne : on sait que l’expression des opinions majoritaires conduit rarement à des choix harmonisés. Mais cela vient confirmer l’impossible quadrature du cercle de la transition énergétique, telle qu’elle est aujourd’hui perçue, ou comprise, par les Français.
Une première conclusion s’impose donc : le besoin d’explication et de pédagogie est immense. Les Pouvoirs publics ont à cet égard une responsabilité particulière. Encore faudrait-il qu’eux-mêmes aient une claire perception des enjeux. La bonne volonté des citoyens semble, en tout cas, excellente.
Autre enseignement : la mesure de la disponibilité des Français à financer la transition énergétique. Une nette majorité refuse toute nouvelle hausse des tarifs pour financer les énergies renouvelables. Pour autant, les Français se disent prêts à adapter leurs habitudes de consommation si leur électricité était produite localement.
Enfin, le sondage confirme l’attachement des Français au principe de solidarité, et par voie de conséquence, à l’idée de péréquation tarifaire qui, dans le contexte des crises socio-économiques qui traversent le pays, participe à la cohésion des territoires et accompagne la recomposition territoriale.
Question 1 : Voici cinq caractéristiques possibles pour la production d’électricité en France. De chacune de ces caractéristiques, diriez-vous qu’elle est essentielle, utile mais pas essentielle ou sans importance ?
La production d’électricité fait face depuis plusieurs années au dilemme de devoir assurer à la fois sécurité d’approvisionnement, la compétitivité du tarif et une transition énergétique alliant augmentation des énergies renouvelables, dimension locale de la production et réduction de la part du nucléaire.
De toute évidence, ces différents objectifs se révèlent dans une large mesure contradictoires entre eux, voire contre-productifs. Effectivement, si le développement des énergies renouvelables apparaît dynamique, l’ampleur des moyens financiers mobilisés a entrainé une hausse significative de la facture des clients en France et en Europe. Par ailleurs cette dynamique a affaibli les grandes entreprises du secteur, l’injection massive d’électricité subventionnée ayant conduit à une chute des marchés de gros. En conséquence, le système électrique, qui doit s’adapter au développement des énergies décentralisées, n’a jamais été autant sous tension pour assurer la sécurité d’approvisionnement des clients.
Or, tous ces développements apparaissent en décalage avec les attentes des Français qui souhaitent avant toute chose de disposer d’une électricité peu chère livrée en continu. Par ailleurs, l’opposition fréquemment opérée dans le débat public entre énergies renouvelables et énergie nucléaire est très largement reléguée au second plan : si les sondés appuient majoritairement le développement des énergies renouvelables, seul 27 % d’entre eux jugent essentiel que l’électricité ne soit pas d’origine nucléaire.
Il ressort donc que si les Français appuient l’essor des énergies renouvelables, c’est à la condition que celui-ci s’inscrive dans un cadre maîtrisé en termes de coûts et de sécurité d’approvisionnement.
Question 2 : La facture moyenne d’électricité des foyers français est d’environ 750€ par an ou 65€ par mois. Seriez-vous prêt à accepter une hausse de votre facture d’électricité si elle était produite dans votre agglomération avec des énergies renouvelables ?
Le développement des énergies renouvelables a été financé jusqu’à aujourd’hui par une hausse continue de la CSPE (devenue aujourd’hui TICFE). Cette dernière est passée de 4,5€/MWh à la fin des années 2000 à 22,5€/MWh en 2016 et a principalement alimenté les 37 % de hausse de la facture d’électricité des ménages en 10 ans. L’impact de cette hausse a été très inégal selon que les ménages étaient équipés ou non de chauffage et de ballons d’eau chaude électrique.
Il ressort aujourd’hui qu’une majorité des français (58 %) est opposée à toute nouvelle hausse de la facture pour financer le développement des énergies renouvelables. Il ne s’agit pas cependant d’une opposition massive, puisque 42 % sont prêts à accepter cette augmentation, notamment si elle n’est pas plus élevée de 10 %. En particulier, les cadres supérieurs et professions libérales, et dans une certaine mesure les professions intermédiaires s’avèrent davantage enclins à accepter une hausse, à l’inverse des employés et ouvriers qui la rejettent plus significativement. Outre la plus forte sensibilité des CSP + aux thématiques environnementales, il y a ici une corrélation entre le pouvoir d’achat des ménages et leur propension à financer les énergies renouvelables.
La réponse à la question précise le souhait des français d’une électricité peu chère, en cela qu’elle ne doit désormais plus augmenter pour financer les énergies renouvelables. Et si l’augmentation devait se poursuivre, elle ne pourrait que difficilement excéder 10 % et devrait être très largement adaptée à un traitement de la précarité énergétique.
Question 3: Seriez-vous prêt à faire évoluer vos habitudes de consommation pour les adapter à la production locale (vent, soleil…) ?
Lorsque l’on dépasse les aspects relatifs à son coût, un soutien large des Français au développement des énergies renouvelables transparaît à travers leur acceptation d’une modification de leurs habitudes de consommation pour les adapter aux productions renouvelables locales. 87 % des Français s’y disent prêts, dont 39 % tout à fait et 36 % occasionnellement.
Ces résultats s’avèrent particulièrement intéressants dans le cadre des évolutions en cours du système électrique qui appellera de plus en plus un rôle actif de la demande pour l’adapter à la production intermittente. C’est ici tout l’enjeu du développement des smart grids, du développement des compteurs communicants et des objets connectés qui permettront un pilotage des appareils électriques des clients qui deviendront dans les années à venir des consom’acteurs.
Par ailleurs, ce résultat apparaît aussi comme ouvrant potentiellement une porte à une meilleure maîtrise des coûts de la transition énergétique, puisqu’un meilleur pilotage de la demande, à travers un rôle accru des ménages, peut permettre de reporter ou d’éviter un certain nombre d’investissements, qu’il s’agisse de renforcements des réseaux ou de centrales de production thermiques devant palier l’intermittence des énergies renouvelables.
Cette capacité des Français à faire évoluer leurs habitudes de consommation doit en conséquence être pleinement exploitée, d’autant que la France dispose d’une position de leader en matière de smart grids. Il conviendrait dès lors de renforcer l’appui à cette filière industrielle afin de renforcer le développement de solutions industrielles à même de faciliter l’intégration des énergies renouvelables par le pilotage de la demande.
Question 4 : Si une région de France souhaite s’alimenter en électricité à partir des régions voisines plutôt que de construire des moyens de production coûteux sur son propre territoire, diriez-vous que c’est… ?
Lorsque qu’il s’agit de production locale, et plus seulement renouvelable, les sondés sont cohérents avec leur souhait d’un parc de production réalisé avant tout à moindre coût. Ne pas privilégier des solutions locales, quand bien même seraient-elles plus onéreuses, est jugé « tout à fait anormal » par seulement 17 % des sondés.
Le fait que 53 % jugent tout de même un tel choix « regrettable, mais compréhensible » révèlent néanmoins bel et bien une appétence pour la production locale. Indirectement, cela semble bien révéler par ailleurs que les mouvements d’opposition aux développements de centrales de production sur les territoires ne représentent qu’une frange minoritaire des Français. C’est bien son caractère « onéreux » qui rend acceptable de se passer d’une production territoriale.
Il ressort donc que si la diminution du coût des énergies renouvelables se poursuit et est perçue par les Français, celles-ci pourront alors bénéficier très largement d’une appétence prononcée pour leur dimension régionale.
Question 5 : En France, au nom du principe de solidarité, le tarif d’acheminement de l’électricité est identique, quelle que soit la localisation des clients sur le territoire ; ce principe de péréquation du coût de l’électricité étant destiné à ne pas pénaliser les zones rurales et isolées. Pensez-vous que ce principe… ?
La péréquation tarifaire est un des fondamentaux du modèle énergétique français, qui promeut la solidarité entre les territoires. L’attachement à ce principe est régulièrement rappelé par les parlementaires, notamment dans le cadre des mutations liées à la transition énergétique.
Pour autant, on était en droit de s’interroger si ce principe continuait d’être tout aussi soutenu par les Français, à l’heure du développement du fait local, du rôle croissant des individus et de la libéralisation du système énergétique. De même, la volonté marquée des Français de disposer d’une électricité peu chère pouvait laisser suggérer une capacité à remettre en cause la péréquation qui représente un coût pour les habitants des zones urbaines.
Il ressort au contraire que le soutien à la péréquation tarifaire est franc et massif, 67 % des sondés estimant qu’elle devait être maintenue, quel qu’en soit le coût. Les habitants des zones urbaines, qui sont contributrices à la péréquation, partagent aussi largement ce souhait.
Alors que la transition énergétique remodèle notre modèle énergétique et génère des coûts qui paraissent de plus en plus difficilement acceptés par les Français, l’attachement des Français à la péréquation appelle à en réaffirmer encore le principe.
[1] Selon un sondage pour Le Figaro (novembre 2016), trois quarts des français ont froid dans leur logement. http://immobilier.lefigaro.fr/article/trois-quarts-des-francais-ont-froid-dans-leur-logement_2c9a5cac-ab01-11e6-a063-b8bfafceb4be/
Pour lire l’article publié dans Le Figaro, cliquez ici.
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