« Les Français victimes du syndrome de Stockholm ? », par Alexandre Malafaye

Retrouvez la tribune d’Alexandre Malafaye publiée le 16 mars 2021 sur le site du média Atlantico !

Conceptualisé dès les années 1940 par Erich Fromm avec son livre « la peur de la liberté », ce syndrome permet d’expliquer la relation étrange et duale qui peut se développer entre un geôlier et sa victime, entre celui qui, grâce à son pouvoir ou à son autorité, prive de liberté, et celui qui en est privé.

De nombreux ressorts psychologiques expliquent cette relation, en particulier l’instinct de survie et la peur qui peuvent amener un ou des individus à adopter un comportement paradoxal lorsqu’ils sont pris en otage :

  • D’un côté, ils développent à l’égard de leurs ravisseurs ou « geôliers » des sentiments de confiance, d’empathie et de sympathie, en allant même jusqu’à justifier leurs actes,
  • et de l’autre, ils nourrissent de la méfiance, voire de l’hostilité à l’égard de tout libérateur potentiel.

Dans ce contexte, l’esprit critique disparaît et l’idée même de prendre un risque pour retrouver sa liberté fait peur. Pire, si l’un des codétenus cherche à s’évader, les autres lui diront « Arrête ! Tu vas nous attirer des ennuis », ou bien ils le dénonceront. De triste mémoire, une ligne souvent franchie pendant les guerres.

Bien sûr, comparaison n’est pas raison. Pour autant, l’expérience vécue par des dizaines de millions de Français depuis un an présente des caractéristiques qui peuvent, d’une certaine façon, laisser penser qu’ils sont victimes du syndrome de Stockholm. L’analogie peut bien évidemment déranger, voire choquer, mais elle mérite d’être envisagée, car si un tel phénomène existait, à une échelle ou à une autre, il apparaitrait utile de le comprendre et de l’analyser pour préparer l’après – « la libération » – et éviter que la prochaine pandémie, ou catastrophe aux conséquences liberticides, ne reproduisent de tels effets.

Au commencement de ce possible phénomène, il y a des mots et des chiffres.

Les mots d’abord, tous empruntés à la rhétorique guerrière et prononcés par la figure la plus symbolique et autoritaire de notre pays, le Président de la République. Illustrations : nous sommes en guerre, un ennemi invisible, la ligne de crête, l’offensive, première ligne, deuxième vague – comme s’il s’agissait d’une invasion –, conseil de défense, le Président en visite dans la Région Est comme Clemenceau était dans les tranchés, confinement, couvre-feu, état d’urgence, fermeture des frontières, quarantaine, etc. Il ne manque que la « zone libre » pour que le tableau soit complet !

Les chiffres ensuite. Ceux d’une apocalypse en marche dont le professeur Salomon – que d’aucun surnommaient « le croquemort » –, affolaient les compteurs à chacune de ses interventions journalières. Avec lui, comme si la macabre et hypnotisante parole du directeur général de la santé ne suffisait pas, le ministre de la Santé et le président du comité scientifiques ont cru bon de surenchérir dans la propagation de l’angoisse à l’occasion d’innombrables et interminables conférences de presse et d’interviews relayées « sans filtre » ni critique, ce qui eut pour effet de décupler la portée des messages. Et pour couronner le tout, une ribambelle de membres de l’Académie et d’experts plus ou moins reconnus ou autoproclamés se sont bousculés sur les plateaux, d’émissions spéciales en débats sans fin, pour amplifier les peurs. Là encore, avec des mots et des chiffres à faire frémir les plus courageux : flambée de l’épidémie, situation hors de contrôle, des contaminations qui battent des records, projections à 400 000 morts… Le tout couplé à des préconisations sans cesse plus liberticides les unes que les autres et destinées à nous sauver d’une mort atroce quasi certaine.

En France, matin, midi et soir, le flot d’informations funèbres et angoissantes ne cessait pas. Il n’était plus question que de morts, de réanimations, d’intubations, de saturation des hôpitaux, de pénuries (de gel, de masques, de gants), de propagations du virus, de rebond, de projections terribles, de vaccins, de manque de vaccins, d’effets secondaires, etc. Et ça continue… Dès lors, comment ne pas basculer dans la psychose ? Comment ne pas réveiller les instincts de survie de chacun ? Un tel bourrage de crâne collectif ne peut que laisser des traces.

C’est dans ce contexte d’anxiété de masse que le syndrome de Stockholm commence à s’installer. Car les mêmes qui nous font peur et nous privent de liberté – pour notre bien, disent-ils – nous promettent le retour « des jours heureux ». A des moments choisis et afin d’entretenir l’espoir de la libération sans lequel rien ne tiendrait, le « geôlier » en chef, son adjoint ou leur porte-parole, nous annoncent qui un couvre-feu au lieu d’un nouveau confinement, qui un non-confinement alors que tous l’annonçaient, qui un prochain retour à « une vie normale ». A condition, car il y a des conditions, de bien nous tenir et de respecter toutes les règles de la détention telles qu’imposées par les geôliers (notre vie en « résidence surveillée » peut s’apparenter à une forme de détention).

Vient alors l’arme de la culpabilisation : si nous n’avons pas encore été libérés, c’est de notre faute. La télévision joue ici un rôle central en diffusant ces images ô combien choquantes : des gens qui déambulent sagement sur des quais parisiens baignés de soleil, des jeunes qui prennent un verre au bord d’un canal, des familles qui piqueniquent dans un parc, des amoureux qui flânent sur une plage, des fêtards pris en train de festoyer, des restaurants clandestins, etc. Les inconscients ! L’indignation se propage, la parole se libère. Oui, c’est de notre faute ! Oui, nous commettons des pêchés ! Les châtiments suivent, tous acceptés par avance.

Passé l’effet de sidération que nous avons tous ressenti au lendemain du premier confinement, la sédimentation psychologique de cette communication de guerre et de notre culpabilité savamment entretenue ont emporté deux effets :

  • La population dans sa grande majorité accepte ces longues et éprouvantes privations de libertés. Et tant pis pour les conséquences à moyen et long terme, et tant pis également pour les étudiants qui ratent leurs études et ceux que cette crise plonge dans la misère, la faim ou la perte d’emploi. Les derniers sondages confirment cette soumission : en mars 2021, un français sur deux déclare s’accommoder des restrictions de liberté et 40 % d’entre nous estiment que les mesures actuelles ne sont pas assez sévères. Quant à Édouard Philippe, « geôlier » de la première heure, sa cote de popularité est au plus haut !

L’esprit critique a disparu, ou alors il est devenu suspect. On a vite fait de se retrouver rangé dans le camp des complotistes si l’on critique le Gouvernement, et une information devient vite une fake news si elle n’est pas mainstream. C’est à tel point que personne n’interroge ou ne s’indigne face aux multiples incohérences, absurdités, excès et abus de cette gestion de crise (et ne parlons même pas des mensonges sur les masques). Aussi surprenant que cela puisse paraître, tout passe et finit par être accepté. Quelques exemples :

  • Le port du masque en extérieur. Aucune étude au monde ne vient le justifier. Et pourtant, il est de mise, même sur nos plages, dans les parcs, la nuit dans des rues vides. Personne ne s’en émeut plus que cela.
  • Les musées, les théâtres et les remontées de ski fermés. Pas ailleurs. C’est comme ça.
  • Les indicateurs de suivi de l’épidémie n’ont cessé de changer. Pas de problème.
  • La crise est pilotée à huis-clos depuis un organe dont ce n’est pas la vocation, le Conseil de défense. Ça ne gêne personne.
  • La Suède s’en tire pas si mal que ça en évitant les privations de liberté. Les fous !
  • La France fait partie des pays occidentaux qui ont le plus entravé l’activité économique et pourtant, le taux de mortalité du Covid-19 n’est pas plus bas qu’ailleurs. Mais on n’aime pas beaucoup regarder ailleurs.
  • Les tests naso-pharyngés montrent une fiabilité très relative. Le sujet est trop technique, passons.
  • Le Président a déclaré qu’il ne rendrait pas la vaccination obligatoire. On a oublié.
  • On met le paquet sur les vaccins – comme on l’a mis en son temps sur la ligne Maginot – mais il se pourrait que les variants les rendent inopérants. On préfère éluder.
  • Les aéroports comme nos frontières sont des passoires. Est-ce si grave ?
  • La stratégie « tester – alerter – protéger » montre ses limites. Dont acte.
  • Une forme de chantage social au retour à la vie normale se profile : il faudra un passsanitaire pour aller au restaurant. Et pourquoi pas.
  • Faute de bien soigner les pathologies classiques des Français (cancer, etc.), de graves conséquences sanitaires se préparent. On en parle, et puis rien.
  • Des solutions sont développées sur le terrain et dans des start-up (analyses des eaux usées, autotests, etc.), qui permettraient de passer du stade de la réaction face à la crise à celui de l’anticipation. Ça n’intéresse personne, ou si peu.

Autre effet symptomatique, l’entrée en empathie à l’égard de ceux qui privent les Français de liberté. « Ils font ce qu’ils peuvent », entend-on dire. L’économie est pour une partie sacrifiée ? « Mais le Gouvernement est le plus généreux du monde avec les entreprises » répond-on aussitôt. Mais personne pour expliquer que la France fait partie des pays les plus sévères avec ses entreprises (cf. la chute du PIB français en 2020) et que les aides ne constituent que la contrepartie minimum accordée à des secteurs entiers contraints à l’arrêt. Et personne non plus pour préciser que ces aides – sauf détournement ou dévoiement – n’empêchent pas l’asséchement des trésoreries d’entreprises, ni l’appauvrissement de beaucoup d’entrepreneurs qui puisent dans leurs réserves personnelles pour tenter de maintenir en vie leur outil de travail et celui de leurs équipes.

Plus étonnant encore, ces initiatives qui rivalisent de créativité pour encourager le port du masque en toutes circonstances ou ces entreprises qui ajoutent une mention à leur spot publicitaires pour préciser que les images de gens sans masque ont été tournées avant la crise.

Alors on pourra opposer à cette vision de la réalité une fin de non-recevoir et ne pas lire dans la séquence de cette première année de crise sanitaire un enchaînement vicieux qui a conduit à cette possible « stockholmisation » de la population française (et de quelques autres en Europe). Peut-être à juste titre. Mais qui peut prétendre détenir la bonne analyse face à une situation aussi inédite que complexe et à laquelle nous n’étions pas du tout préparés ?

Voilà pourquoi il nous semble important de tirer le signal d’alarme, pour que les passagers du train Covid-19 se réveillent et qu’ensemble, nous nous attaquions sans tarder à résoudre ces questions essentielles pour notre avenir proche et lointain :

  • Comment appliquer la formule « plus jamais ça » à cette gestion liberticide de la crise sanitaire ?
  • Comment vivre dans la durée et normalement avec cette nouvelle réalité que constituera peut-être le virus SARS-CoV-2, comme une forme plus sévère de grippe saisonnière ?
  • Comment éviter qu’une telle chape de peur ne tétanise à nouveau toute une population ?
  • Comment faire pour que la peur sociale de l’autre qui s’est installée en profondeur disparaisse et ne devienne pas un marqueur invisible mais palpable de nos relations humaines ?
  • Enfin, comment diriger un pays en dépassant le stade du court terme et comment revoir les modes de décisions ? Deux conditions nécessaires à l’anticipation.

« Ce qui ne me tue pas me rend plus fort » disait Nietzsche. Mais pour devenir plus fort, il faut apprendre de l’expérience. C’est le défi qui nous attend, afin d’anticiper du mieux possible les prochaines épreuves du siècle. Elles ne manqueront pas. A la clé de cette préparation collective, se trouve la résilience réelle de notre Nation et de son peuple. Car les longues privations de liberté et les aides publiques palliatives ne sauraient constituer un modèle durable, et encore moins le principal levier d’action d’un État de droit en situation de crise.

Alexandre Malafaye

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