« Lire, écrire, compter, respecter autrui… et valoriser la carrière d’enseignant », par Alexandre Malafaye et le groupe Education de Synopia

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Sans a priori idéologique et en cultivant le pragmatique, le Gouvernement a engagé une profonde modernisation du système éducatif français. Enjeu central s’il en est, car situé au carrefour des défis de cohésion nationale et d’égalité réelle des chances. De nombreuses propositions sont sur la table, qui intègrent les changements de la société et les besoins des jeunes.

Mais s’il est indispensable de placer l’élève au cœur de toutes les ambitions réformatrices du système éducatif, il ne faudrait pas donner le sentiment que les enseignants, acteurs centraux, sont laissés de côté. Or, les enquêtes d’opinion et les études internes conduites par le ministère de l’Éducation nationale, ou les syndicats d’enseignants du secondaire, convergent vers un même constat : le monde de l’enseignement traverse une crise des vocations1. Les racines de ce malaise sont à la fois profondes, anciennes et multiples. Deux sujets, en particulier, méritent la plus grande attention : le manque d’ouverture de la profession et son défaut d’attractivité. Des maux similaires frappent l’ensemble de la fonction publique, à savoir le repli sur soi, et l’absence de perméabilité aux autres professions. De fait, seule la voie des concours permet d’y entrer, et la reconversion professionnelle n’étant pas prévue, peu nombreux sont ceux qui en sortent. Il semblerait donc judicieux que le deuxième temps du grand chantier engagé par Jean-Michel Blanquer porte sur la politique « ressources humaines » de son ministère.

En premier lieu, l’ouverture du monde enseignant. Aujourd’hui, pour l’essentiel, c’est l’immobilité professionnelle qui caractérise la carrière de l’enseignant. Rien de tel pour nuire à la motivation de ceux qui exercent ce métier, ou refrener les ardeurs des candidats. Afin de bâtir des ponts entre des mondes isolés les uns des autres, nous proposons la création d’une Mission d’aide à la mobilité externe (MAME) dont la vocation serait de mettre en place des passerelles de mobilité. Pour ce faire, elle associerait des représentants de la direction des personnels enseignants, des DRH du secteur privé et des représentants d’associations spécialisées dans la formation et la recherche d’emploi. Développées par cercles concentriques, elles privilégieraient en priorité les secteurs les plus proches d’un point de vue culturel et sociologique du cœur de métier des enseignants (sphère éducative, différentes fonctions publiques, secteurs de l’économie sociale et solidaire). Ces passerelles pourraient dépasser nos frontières et s’étendre aux 27 pays de l’Union européenne, afin de généraliser la pratique des échanges de professeurs de langue vivante, dans l’esprit d’un « Erasmus des enseignants ».

Pour être pleinement efficace et corriger les défauts d’un système bancal qui repose aujourd’hui sur des titulaires à vie et des contractuels vacataires en situation précaire, cette politique de mobilité aurait vocation à fonctionner dans les deux sens, ce qui faciliterait le recrutement externe d’enseignants. Il pourrait s’agir, par exemple, de recruter des cadres du privé en reconversion. L’ouverture ainsi pratiquée contribuerait à palier le manque de candidats aux concours de l’Éducation nationale.

Le deuxième axe porte sur l’excellence, qu’il faut encourager. Les comparaisons salariales entre enseignants des pays de l’OCDE situent la France dans la moitié inférieure du tableau. Ainsi, le salaire d’un professeur de lycée est inférieur de 20 à 25 % à celui de son homologue allemand. Une réalité qui, aux yeux de tous, dévalue le métier d’enseignant. Pour revaloriser les salaries, certains évoquent l’idée de la rémunération au mérite. Mais avec des enseignants seuls face à leur classe, comment définir les bons critères et évaluer ? Pour autant, il n’est ni injuste, ni indécent, de récompenser les plus engagés. Une voie prometteuse et à explorer est celle des primes collectives, qui permettraient de gratifier des équipes enseignantes. Elles pourraient être complétées par des budgets d’encouragement qui donneraient des moyens pédagogiques supplémentaires aux équipes ayant lancé des démarches innovantes et couronnées de succès.

Toujours sur ce volet de la rémunération, un dispositif favorisant les heures en complément – cours particuliers, soutien scolaire organisé par des collectivités, etc. – pourrait être développé. Calquée sur le dispositif fiscal du « service à la personne », cette proposition permettrait de motiver celles et ceux qui veulent, ou peuvent, s’impliquer davantage, et de lutter contre le travail dissimulé.

En troisième lieu, la formation. Si la qualité de la formation initiale des enseignants et son contenu académique ne sont pas remis en cause, il n’en reste pas moins vrai que l’acquisition de compétences nouvelles et transverses, souvent utiles voire nécessaires, repose davantage sur les bonnes volontés isolées que sur une démarche d’ensemble coordonnée. Nous parlons ici, notamment, de l’utilisation des outils numériques, du travail en équipe, de la polyvalence, des projets collaboratifs, du recours à l’image comme outil d’enseignement, de  l’analyse critique des contenus internet, etc. Ici, la réponse passe par la formation professionnelle continue. A cette fin, les missions confiées aux Écoles Supérieures du Professorat et de l’Éducation (ESPE) pourraient être élargies (sans pour autant qu’elles en aient l’exclusivité). Les enseignants auraient ainsi la possibilité de suivre, à différents moments de leur carrière, des formations, en particulier aux nouvelles méthodes d’enseignement. Certaines pourraient même être suggérées par leur hiérarchie afin de mieux répondre aux problématiques de l’établissement.

Enfin, quatrième volet, l’évaluation des enseignants. Aujourd’hui, la procédure d’évaluation se résume, grosso modo, à une double notation  administrative (attribuée par le chef d’établissement), et pédagogique (délivrée par un inspecteur de l’Éducation nationale). Ce dispositif n’appréhende pas suffisamment les souhaits des enseignants, en terme d’évolution de carrière ou de formation, ni ne recueille les indispensables retours expériences. Il devrait donc être complété par un rendez-vous de carrière périodique qui pourrait être conduit par les deux tutelles de l’enseignant, l’inspecteur de sa discipline et le chef d’établissement. Un tel processus, lorsqu’il est établi selon des règles précises et contradictoires, constitue un moment primordial de la gestion des carrières. Quant à la fréquence, elle reste à déterminer (la loi fixe un rythme annuel dans les entreprises).

L’ambition de ces propositions est double. Contribuer à redynamiser la politique RH du ministère de l’Education nationale en prenant en compte les réalités budgétaires du pays. Et lutter contre le fatalisme ambiant qui tend à stériliser les bonnes volontés dès qu’il s’agit du « mammouth ». Or, la seule fatalité serait de ne rien faire, au nom d’un corporatisme une fois de plus déguisé défense du service public.

Alexandre Malafaye, avec les membres du groupe de travail éducation de Synopia

 

[1]. Sondage IFOP de 2017 commandé par SOS Education : 68 % des enseignants souhaitent changer de métier.

 

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