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« A-t-il de la chance ? » demandait Napoléon lorsqu’on lui proposait de promouvoir un général. En effet, pour Napoléon et pour de nombreux dirigeants, sur un champ de bataille, comme dans le bureau d’un DRH, le facteur chance constitue l’une des clés du succès.
L’Histoire le démontre, certains chefs ont de la chance, c’est ainsi, et leurs troupes ont pas à pas tendance à croire de façon aveugle, voire mystique, en la victoire qui serait donnée à leur général par un arrêt du destin. Mais, au fond, n’est-ce-pas l’inverse ? N’est-ce-pas la croyance dans la bonne étoile du chef qui procure aux soldats la confiance et la combattivité qui leur fait remporter la victoire ? La chance des chefs serait ainsi une variante collective et un peu élaborée de la méthode Coué.
Ainsi, Hassan II, le roi du Maroc, était connu de ses sujets pour avoir la « baraka », qui lui conférait immunité et invulnérabilité. Il a échappé à plusieurs attentats, dont deux très spectaculaires. Dans un cas, alors que son palais était investi par les rebelles, il a échappé à une mort certaine en se cachant plusieurs heures dans les toilettes. L’autre, plus miraculeux encore : un missile a été tiré sur son avion et l’a touché, mais sans endommager les parties essentielles de l’aéronef qui a pu se poser sans encombre. Qu’en conclure ? Que le roi Hassan doit sa survie à sa baraka, ou bien à la pression psychologique que cette prétendue chance imposait aux rebelles, et qui a fait trembler le bras du lanceur de missile ?
Sans conteste, Emmanuel Macron a de la chance. Son élection relève d’un invraisemblable alignement des astres : ses adversaires, même les plus crédibles, ont été contraints de renoncer les uns après les autres, lui ouvrant la voie de l’Elysée, tel Moïse traversant la mer Rouge. L’élection passée, sa chance ne l’a pas quitté. Sur la scène intérieure, la configuration politique a interdit aux partis traditionnels de se ressaisir pour exercer un rôle de contre-pouvoir et commencer à façonner une force d’alternance crédible. Les ténors de la vie politique « d’avant » sont, soit discrédités, soit empêtrés dans leurs propres affaires. Quant à la relève, elle ne s’en relève toujours pas. Aucune parole d’opposition claire et audible ne perce. Le champ est donc dégagé pour mener les réformes décidées par le nouveau pouvoir.
Sur la scène internationale, un étrange concours de circonstances (encore la chance !) fait qu’il n’existe plus aucun leader politique occidental dont la voix puisse s’imposer. Angela Merkel peine à former un gouvernement de coalition ; le Royaume Uni ne digère pas son Brexit, ni l’Espagne sa Catalogne ; l’Italie est plus ingouvernable que jamais ; et Donald Trump a investi la Maison Blanche. Le Président Macron est donc seul à disposer, pour cinq ans, d’un pouvoir sans équivoque et d’autant plus fort que les autres sont faibles.
Faut-il voir dans cette chance insolente l’origine de la popularité grandissante du Président ? Par contraste, l’infortune de son prédécesseur fait sourire. Tout paraissait se liguer contre lui, de l’Allemagne intransigeante aux terroristes sanguinaires, en passant par les tocades de ses compagnes et la guérilla des frondeurs. Il n’était pas jusqu’à la pluie qui n’accompagnât, en supplice chinois, les déplacements présidentiels.
Napoléon Bonaparte a longtemps bénéficié d’un concours de circonstances favorables. Mais la chance est une maîtresse capricieuse. Pour l’avoir oublié, pour ne pas s’être assez défié de lui-même, l’Empereur a commis des fautes capitales. L’expédition d’Espagne, et celle de Russie, furent les coups de trop d’un Empereur persuadé de son génie militaire et protégé, pensait-il, par sa bonne étoile. Autant de péchés d’orgueil qui constituèrent les probables causes de la déroute finale, et de la fin de l’Empire.
Le président Macron en est là de son parcours victorieux. Aura-t-il la lucidité, en pleine réussite, de mener les batailles utiles et de renoncer aux combats douteux ? Le jour où les premiers revers viendront, les « soldats de la Macronie », jusqu’alors galvanisés par les victoires et la chance quasi mystique de leur chef, ne commenceront-ils pas à douter ? Le scepticisme, même naissant, engendre une moindre détermination et conduit à des erreurs. De proche en proche, l’édifice vacille. Ainsi, Louis XV, arrivé au pouvoir en « Bien-Aimé » finira son règne dans l’impopularité générale, et Valéry Giscard d’Estaing, jeune président moderne succédant au gaullisme hiératique et empesé, achèvera son septennat dans une atmosphère chargée d’intrigues et « d’affaires ».
A la fin de son temps, il restera au président Macron à se poser la question terrible, celle qui nous interroge tous, un jour ou l’autre : « Qu’ai-je fait de mon talent ? » Y pensait-il lors de sa visite du tombeau de Napoléon avec Donald Trump ? L’avenir nous le dira.
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Ecrit en tout début d’année, il nous semble intéressant de partager ce texte aujourd’hui, et de nous interroger sur les conséquences pour la baraka jupitérienne de la – fausse bonne ? – décision prise sur Notre Dame des Landes.
Saluons d’abord l’habileté dont a fait preuve le Président. Echec et mat, en trois temps : d’abord l’ouverture, avec un rapport qui a opportunément ouvert la voie à un atterrissage en douceur sur l’actuel aéroport (en attendant les recours qui vont naître) ; puis la diversion, avec cette large concertation ; et enfin, le coup de grâce, avec la décision. Certes, l’exécutif a tranché – promesse tenue –, mais le vrai courage aurait consisté à chasser les zadistes et à construire l’aéroport.
A court terme, c’est bien joué, et le Président évite de gâcher sa chance et l’excellente dynamique de son action en livrant une bataille à l’issue incertaine contre les plus fanatiques des zadistes et leurs acolytes des black blocs. Sur le terrain, l’Etat aurait sans aucun doute gagné. Mais dans le cœur des Français ? La Nation aurait-elle fait preuve de résilience au premier sang versé ? D’une tempête dans un verre d’eau au tsunami, il suffit parfois d’une marée médiatique. Et quand la vague se retire, le monde s’est transformé, en pire. A l’évidence, il ne fallait pas risquer de sacrifier le quinquennat sur l’autel nantais. Car, même en cas de victoire totale de l’État, personne n’aurait comparé Notre Dame des Landes à Austerlitz. En revanche, l’image de Waterloo se serait vite imposée.
Mais à long terme, l’Histoire pourrait bien reconnaître qu’un Président qui en tance un autre, au prétexte qu’il ne respecte pas les engagements de son pays, prend le risque de ternir son aura lorsqu’il ne respecte ni les urnes, ni l’avis des élus locaux, ni les décisions de justice, ni la parole de son prédécesseur, ni même la sienne.
En définitive, ce compromis à la Pyrrhus pourrait bien avoir raison de l’ambition restauratrice de l’autorité de l’Etat partout où c’est nécessaire. Espérons qu’il ne soit pas le révélateur d’une méthode ou d’un tempérament, car on n’a jamais rien transformé dans l’eau tiède.