« Mayday, Mayday! Gouvernance de la Ve République en danger! », par Alexandre Malafaye

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Les plans de la réforme constitutionnelle prennent forme, l’encre des scribes du Président sera bientôt sèche, et nous commençons à entrevoir les contours de l’édifice nouveau. Ne nous y trompons pas, par son ampleur, cette réforme ouvrira un nouveau chapitre de l’histoire de la Vème République. Mais, et c’est bien la seule question qui compte, ces importantes modifications de nos principaux textes constitutionnels, organiques et législatifs vont-elles changer en profondeur et en bien la gouvernance de la France ? Le système de demain sera-t-il plus vertueux, plus efficace, et surtout, adapté aux deux grandes exigences que sont :

– gouverner la France dans un monde brutal,

– gouverner la France avec les Français.

En attendant de pouvoir répondre à cette question, replaçons l’enjeu dans sa perspective. Celle de ce monde brutal, d’abord. Une fois encore, il convient de prendre la pleine mesure des réalités avant de donner de grands coups de barre. Vu l’inertie du paquebot France, corriger un mauvais cap prend du temps. Or, que voyons-nous ? Une double tendance, avec d’un côté, un Occident démocratique en proie à de violentes contractions intestines démago-populistes, et de l’autre, des régimes autoritaires qui se prémunissent par tous les moyens de nos maux. En géopolitique, le malheur des uns fait toujours le bonheur des autres, la Chine comme la Russie ou les pays du Golfe se repaissent de nos difficultés et de nos divisions. La météo du 21ème siècle ne nous fera aucun cadeau.

Celle des Français, ensuite. Qu’attendent-ils ? Des promesses respectées coûte que coûte, au prétexte qu’elles figurent dans un catalogue électoral ? Pas certain. D’autant que le candidat Macron n’a convaincu que 8,6 millions d’électeurs au premier tour, soit moins d’un sur cinq. Nous sommes loin du plébiscite, et le message du dédagisme, ce n’est pas « moins d’élus » mais « plus de résultats ! ». Aussi utile soit-elle, la réduction du nombre de parlementaires ne saurait constituer une fin en soi. Surtout, elle ne doit pas éclipser le plus important, et bien sûr, le plus difficile à réaliser et qui devrait constituer l’inspiration même de cette réforme placée sur l’autel du renouveau démocratique : comment fabriquer une classe politique vraiment compétente, apte à faire face aux enjeux du siècle ?

Pour prolonger l’allégorie maritime, un excellent capitaine ne va nul part, surtout par gros temps et avec des passagers qui grondent, sans un excellent équipage. Pardon de le rappeler, mais dans l’Assemblée nationale de 1981, celle de la « génération Mitterrand », il n’y avait pas que des cadors, et comme la vie politique ne s’apparente en rien à une course hippique, un paquet d’ânes ont fait carrière, ce qui a ruiné le pays car l’idéologie devient alors le masque de l’incompétence. Nous pouvions tous observer les dérives d’un système au sein duquel rien n’obligeait ceux qui y gravitaient à se remettre en cause, ou à laisser leur place. Il a fallu la vague dégagsite de 2017 pour nous débarrasser des derniers tocards. Sans vouloir être désagréable avec qui que ce soit, la nouvelle Assemblée nationale a des airs de 1981 et nous constatons à nouveau que tout le monde ne peut pas devenir député du jour au lendemain. Mais qui s’en offusque ? Qui s’en soucie ? Espérerons que les marges de progrès individuel soient réelles, que la réduction de députés annoncée écartera les moins performants, et que la dose de proportionnelle permettra de promouvoir les meilleurs. Face à cet enjeu insuffisamment traité, nous tirons une première fusée de détresse.

Quant au capitaine, son activisme le conduit tout droit à tomber dans le piège de l’illusion d’évidence, c’est à dire croire que ce qui est clair pour lui l’est aussi pour les autres. Ils sont légion les arrogants à avoir perdu en route leurs troupes, leur équipe ou leur peuple. A ce stade du quinquennat, à part le Président, personne ne voit à quelle France aboutira le patchwork des réformes engagées. Il faut expliquer sans relâche, sans quoi, pour le plus grand nombre, en lieu et place de la fresque naissante, ce sont les clichés de « président des riches (pour la gauche) et de « président des villes » (pour la droite) qui s’imposeront. Deuxième fusée de détresse.

L’autre piège, tout aussi redoutable, est celui qui consiste à faire illusion, en laissant accroire que le pacha est à la fois omniscient et omnipotent, chef d’orchestre et homme orchestre. Pour peu que l’on y prenne goût, vient alors la tentation d’amplifier encore la dérive présidentielle du régime, au détriment du Parlement notamment. D’où une troisième fusée, car dans les faits, la réforme constitutionnelle qui s’annonce ne donne que peu de gages à un rééquilibrage pourtant nécessaire des pouvoirs, à leur déconcentration pour aller dans le sens d’une gouvernance fondée sur le principe de subsidiarité, et à la mise sur pied de vrais contre-pouvoirs. De telles lacunes sont pour le moins inquiétantes.

Le quatrième touche à la qualité du lien démocratique, gravement affecté, et aux conflits de plus en plus fréquents qui s’opèrent entre la démocratie représentative et les forces qui altèrent ou contestent sa légitimité, qu’elles soient d’inspiration participatives ou partisanes de la démocratie directe. Une réponse se profile, avec le renforcement du droit de pétition et une mission confiée au CESE pour en faire le « canal privilégié de la participation des Français à la décision publique ». En clair, les pétitions citoyennes seront organisées et prises en compte. Sur le papier, rien à redire, sauf que le seuil apparemment fixé pour que l’appareil d’État bouge est à… 500 000 ! Quelle blague. S’il se confirme, cela signifiera que la capitainerie n’aura rien compris de l’enjeu et que nous continuerons à vivre sous l’empire des rapports de force. Prendre en compte les pétitions citoyennes, cela veut dire accepter de dialoguer avec les Français, de façon fluide. Si 10 000 Français se mobilisent, il faut les écouter et leur répondre. S’ils sont 100 000, il faut débattre. Mais s’il ne se passe rien entre 0 et 499 999 signatures, l’exercice sera très stérile, voire frustrant. Car mieux avoir une réponse négative que pas de réponse du tout.

Enfin, le vote blanc, cinquième et dernière fusée de détresse, est écarté. Nous le regrettons vivement, car il n’y a pas de véritable démocratie sans la possibilité pour le citoyen de rejeter en bloc candidats et programmes si rien ne lui convient. Nous avons bien vu où ont conduit des décennies de votes effectués, pour l’essentiel, par défaut. Les citoyens attentent des signaux forts – d’une autre portée qu’une « loi pour la confiance dans notre vie démocratique » – pour se réconcilier avec leur démocratie. Pourquoi ne pas expérimenter le vote blanc lors des élections européennes ? Voilà qui serait ambitieux. Et c’est bien cela que nous attendons, de l’ambition pour un vrai renouveau démocratique et non l’ajustement du costume institutionnel aux seules mesures du Président.

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