Retrouvez cet article publié dans Atlantico le 10 décembre 2018 sur leur site internet.
La portée hautement symbolique des Champs Elysées comme théâtre premier de la contestation sociale en jaune ne devrait échapper à personne. En 1789, les Français avaient choisi la Bastille, emblème de l’oppression par la répression. Ils l’ont détruite, et avec elle, par rage et effet domino, tout le système monarchique. Cette fois, l’oppression vient du creusement bien réel des inégalités et du sentiment d’injustice qui en découle. Un sentiment qui ne se contient plus face à des écarts de richesses devenus incompréhensibles et insensés, face à des dynamiques et des flux qui fragilisent, marginalisent ou excluent un nombre croissant de Français.
Aux yeux du plus grand nombre de nos compatriotes, de façon consciente ou non, « la plus belle avenue du monde » représente l’inaccessible et brille de façon insolente, avec ses boutiques de luxe et ses enseignes prestigieuses. Là se trouvent les plus belles réussites de la mondialisation et du capitalisme financier. Les touristes du monde entier rêvent d’y déambuler et d’y dépenser des fortunes, mais les Français, et en particulier ceux de nos territoires et de nos banlieues, et même les classes moyennes, ne rêvent plus. Ils n’ont plus les moyens d’aller aux « Champs ». Voilà un siècle Schumpeter théorisait sur les destructions créatrices, mais ce que les Français subissent ressemble davantage à de la création destructrice. Des forces sont à l’œuvre contre lesquelles ils sont impuissants. Ils ne peuvent que subir, en constatant chaque jour l’accroissement de leurs difficultés : ils ont froid chez eux, ne se nourrissent pas de façon satisfaisante, se logent à feu d’argent toujours plus loin des centres ville, ne voient plus leur avenir et encore moins celui de leurs enfants.
C’est ainsi que nos Champs Elysées deviennent un lieu symbolique pour revendiquer et défier les responsables de leur oppression.
Emmanuel Macron voulait transformer la France. Mais sans le vouloir, par sa manière, sa méthode et son empressement, il a transformé les Français, dans leur écrasante majorité, en gilets jaunes, actifs ou passifs. Nous avons tous au moins une raison d’être gilet jaune. Ne serait-ce qu’en réaction au comportement du pouvoir politique. Il nous parle de nouveau monde mais ne fait ni mieux ni moins bien que les dégagés d’avant. Pire, il a « réussi » à cristalliser contre lui toutes les haines et toutes les exaspérations.
Plus que jamais, l’enjeu touche de plein fouet le partage de la valeur. Mais si l’exécutif n’apporte pas les bonnes réponses, s’il feint d’entendre, s’il joue au plus malin en comptant sur Noël et la trêve des confiseurs pour que le calme revienne, et s’il ne s’engage pas vraiment à travailler avec les Français pour imaginer un futur commun souhaitable et acceptable, nous continuerons à détruire de la valeur au lieu de chercher des solutions pour mieux la partager.
Qu’on se le dise. Le samedi 8 décembre est peut-être une réussite du point de vue du maintien de l’ordre. Le rapport de force fut en faveur du ministère de l’Intérieur. La manœuvre a fonctionné. Mais qu’en sera-t-il face à 8 000 policiers et gendarmes déployés à Paris si ce ne sont pas 9 000 gilets jaunes, mais 50 000 ou 100 000 qui déferlent dans la capitale samedi prochain ?
Une Nation, c’est tout un peuple. Et une Nation ne résiste au temps et aux épreuves que si chacun veut bien prendre sa part. Pas de ville propre sans éboueurs, pas de restaurant sans plongeurs, pas d’opération du cœur sans infirmières, pas de maintien de l’ordre sans gardiens de la paix, ni de victoire militaire en « Opex » sans soldats du rang, et pas de jugement du tribunal sans greffier. Les gouvernants l’auraient-ils oubliés ?
Prendre sa part, cela veut ainsi dire accepter la loi votée par les représentants du peuple. Or, si elle est contestée comme c’est désormais trop souvent le cas, et annulée à chaque colère populaire, la démocratie se meurt. Notre modèle de gouvernance repose sur la confiance des citoyens et leur adhésion explicite ou implicite. Or, nous n’avons plus confiance dans nos dirigeants pour gouverner, et nous n’adhérons plus à leur projet.
Monsieur le Président, ce que vous annoncerez dans les prochaines heures sera crucial. Un nouveau monde est là, sous vos yeux, qui bouillonne. Les Français attendent bien sûr des mesures concrètes. Mais ils ne sont pas aussi déraisonnables que cela, à condition que vous trouviez les mots et ouvriez enfin la voie au renouveau démocratique que vous nous promettiez en 2017. Il n’est jamais trop tard pour bien faire. A condition de s’en donner les moyens, cette crise peut se transformer en opportunité.
La méthode, vous la connaissez, vous l’avez déjà déployée, avec En Marche et vos Marcheurs. Ceux-là proclamaient avec vous « C’est notre projet ». Et bien, c’est cela qu’il faut accomplir à grande échelle, avec les Français. Inventer notre projet. Tous ensemble. Non pas en pensant pour les Français comme vous l’avez fait jusque-là, mais avec eux, main dans la main.
Ce moment représente une chance unique qui nous permet de nous interroger enfin sur notre destin commun. Quelle France voulons-nous dans 10 ans ? Quel chemin pour y arriver ?
Pourquoi n’inventerions-nous pas une transition solidaire ? Qui prenne en compte l’impérieuse nécessité d’associer toute la cordée au projet, pour que chacun puisse dire « ça va mieux », et en même temps qui donne à notre pays les moyens d’affronter la compétition sauvage du 21° siècle. Nous disposons de tous les atouts pour faire de la France le plus beau pays du monde.
Avec un état surendetté, la question des moyens sera bien sûr centrale, complexe à traiter. A l’évidence, il faudra ouvrir de nombreux fronts en même temps, qui vont de la réforme de l’état au partage de la valeur ajoutée dans les entreprises, qui obligent à tenir compte de la vraie vie des vrais gens, qui impose de revoir l’architecture institutionnelle et passe par de nouvelles façons de gouverner. Faire des économies, redéployer des moyens, réorganiser ce qui ne marche pas ou coûte trop cher, associer chacun aux progrès accomplis. Dans le respect mutuel.
L’entreprise est bien sûr d’une ampleur inouïe, et le chantier sera long, mais si chacun à son niveau s’y met, tout devient possible. Voilà bien l’enjeu du renouveau démocratique.
Enfin, n’oubliez pas, Monsieur le Président, de mettre de l’amour dans ce que vous nous direz. Sans amour, à quoi bon.