« Ne perdons pas de vue l’intérêt général », interview de Fabrice Lorvo

Retrouvez l’interview de Fabrice Lorvo sur le site du Point.fr.

L’agacement des Français face à la gestion de la crise par le gouvernement mérite-t-il des poursuites judiciaires ? Oui, mais… prévient l’avocat Fabrice Lorvo.

Le Point : Le couvre-feu est une restriction supplémentaire, une entrave à la liberté de circuler qui est un droit constitutionnel. À circonstance exceptionnelle, réponse exceptionnelle ?

Fabrice Lorvo : Ça va être tout l’objet du débat. On découvre que l’on peut à nouveau et durablement porter atteinte à notre liberté d’aller et venir qui est une liberté constitutionnelle. Mais cette liberté, comme toutes les libertés, n’est ni générale ni absolue. Elle s’exerce dans le cadre des lois qui la réglementent. Il faut, pour y porter atteinte, qu’on tente de protéger d’autres libertés ou une cause qui soit équivalente ou supérieure. Il faut faire le test de la balance ! C’est justement aux tribunaux, par la suite, de vérifier qu’il y a bien une proportionnalité entre la menace d’un côté et l’atteinte à la liberté de l’autre. Cette restriction qu’est le couvre-feu ne s’applique pas nationalement, sur tous les territoires. Elle est appliquée de manière distributive à des endroits où la situation sanitaire est déjà extrêmement tendue. Si toute la France avait été concernée, on aurait pu trouver la réponse de l’État disproportionnée faute d’un mode d’emploi clairement établi dans la lutte contre le virus.

Les citoyens sont-ils dans leur bon droit lorsqu’ils contestent les décisions de l’État ?

Aujourd’hui, la tendance est à la remise en cause systématique du bien-fondé des décisions prises par l’autorité. C’est un peu les conséquences de l’ère numérique où le collectif disparaît derrière une approche individualiste. Je trouve bon que les citoyens saisissent la justice, qui est un contre-pouvoir nécessaire et indispensable au pouvoir politique. Reste à connaître le taux d’acceptabilité de la réponse judiciaire par les citoyens qui contestent déjà les décisions du gouvernement… Nous verrons s’il s’agit d’une défiance vis-à-vis du pouvoir politique ou vis-à-vis de toutes les institutions.

On a aussi vu des ministres en exercice être perquisitionnés chez eux…

Nul n’est au-dessus des lois. Le gouvernement peut tout à fait abuser de son autorité. C’est une tentation qui peut exister chez nos gouvernants d’aller trop loin dans l’exercice du pouvoir et de commettre un abus de pouvoir. Les mécanismes démocratiques font que chaque pouvoir doit avoir son contre-pouvoir, en l’occurrence l’autorité judiciaire. C’est cependant une question difficile, car le contre-pouvoir perd sa légitimité s’il devient lui-même un pouvoir de substitution. Nous ne sommes pas dans un gouvernement des juges, mais il faut toujours y veiller, car le risque existe.

Qu’est-ce cela dit de l’état de nos démocraties ?

Le sens de la démocratie aujourd’hui est en train d’évoluer. On est passé de la recherche de l’intérêt général à une approche individuelle, mais la démocratie, ce n’est pas la somme des intérêts individuels, c’est autre chose qu’on est en train d’escamoter doucement. N’oublions pas la gravité de la situation qui nous est présentée. Il y a un sentiment très vif chez nos concitoyens, mais ne nous trompons pas : est-ce qu’on a raison de qualifier la défiance des gens en un rejet de l’État ou est-ce que c’est plutôt une sorte de désarroi face aux événements ? De plus, ces gens qui viennent se plaindre d’une atteinte aux libertés sont les premiers qui exigeront une indemnisation à l’État s’ils tombent malades ou sont mal soignés parce que l’État aura été défaillant dans la protection médicale qui leur aura été apportée. La démocratie, c’est aussi respecter les règles de la collectivité sous réserve que celles-ci respectent le cadre de l’État de droit.

Cet État de droit n’est-il pas fragilisé par la multiplication des états d’urgence sécuritaires puis sanitaires ?

Ne perdons pas de vue l’intérêt général. À mon sens, non, tant que ces décisions sont prises dans le cadre de l’État de droit, c’est-à-dire des lois. L’État de droit n’est pas fragilisé par la riposte, mais c’est peut-être nous qui sommes fragilisés par la succession d’agressions.

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