Retrouvez la chronique d’Alexandre Malafaye sur le site de L’Opinion, via ce lien.
Quand des leaders politiques franchissent des lignes rouges, il faut a minima les mettre en quarantaine. Après les déclarations scandaleuses de Jean-Luc Mélenchon qui alignait dans une aberrante perspective historique les nazis, le plan Juppé et le CPE, France télévision a commis une faute en organisant l’affrontement – raté – entre Edouard Philippe et M. Mélenchon.
Une fois encore, il convient de relever l’étonnante bienveillance qui est réservée à ceux qui dérivent selon qu’ils soient positionnés à l’extrême droite, ou à l’extrême gauche, de l’échiquier politique. Comme si la gauche, quand elle est radicale, révolutionnaire et inspirée par la haine d’une partie de nos concitoyens, pouvait présenter le moindre intérêt civilisateur, ou humaniste.
Quoi qu’il en soit, les médias devraient cesser de présenter M. Mélenchon comme le principal opposant à Emmanuel Macron. Parler plus fort que les autres ne rend pas plus représentatif. S’il suffit de brandir un paquet de nouilles à l’Assemblée nationale pour endosser le costume de chef de l’opposition, alors notre système politico-médiatique est vraiment très atteint. La course à l’audimat et le jeu des punchline ont pour effet d’entretenir une certaine lobotomisation de l’esprit critique. L’émotion prend trop souvent le pas sur la raison. Pourtant bien formés et surinformés, nos compatriotes peuvent se laisser influencer par des raisonnements simplistes et d’inspiration compassionnelle.
En vérité, M. Mélenchon ne représente pas l’opposition, mais la destruction. Et de le déclarer : « Je suis le bruit et la fureur, le tumulte et le fracas ! ». Impossible de débattre avec la fureur, même si – pour se racheter, personne n’est dupe – elle s’est contenue face au Premier ministre.
De leur côté, les dirigeants du Parti socialiste ne se seraient pas égarés en condamnant les propos de M. Mélenchon au lieu de, pour certains, poser sur Twitter avec lui le 23 septembre lors de la manifestation de la France insoumise. Après avoir mis son siège en vente, le PS brade son âme. Quelle inconséquence. Pour peu que la politique engagée par Emmanuel Macron porte un tantinet ses fruits, ce qui est dans le domaine du probable, il n’y aura plus de prospérité électorale à gauche toute. D’ailleurs, M. Mélenchon n’est ni la gauche, ni à gauche. Il est une promesse de chaos déguisée en « petit père des peuples ». Politique sans éthique n’est que ruine de la Nation, aurait pu paraphraser Rabelais à son endroit.
Le Président de la République, enfin, forme un curieux duo avec M. Mélenchon. Quand il évoque les « fainéants » ou qu’il explique que « la démocratie, ce n’est pas la rue », il sait qu’il provoque « la fureur » du mammouth insoumis. Est-ce pour pour mieux l’entretenir ? Si tel est le cas, il n’est pas impossible d’imaginer qu’il ait susurré aux dirigeants de France télévision l’idée d’inviter M. Mélenchon à « l’émission politique ». En bon élève de François Hollande, passé grand maître dans l’art du calcul politicien, il estime sans doute qu’en agissant de la sorte, il tient à bonne distance du devant de la scène médiatique ses opposants sérieux. Pour lui, le leader des insoumis est l’adversaire politique idéal, qui empêche les autres d’exister, développe une idéologie low-cost et n’a aucune chance de gagner les prochaines présidentielles. Mais attention, la théorie du « moi ou le chaos » a ses limites. Maintenir le débat à la surface des grands problèmes favorise l’appauvrissement de la pensée collective et dope les extrêmes. Le jour de la prochaine grande crise, une vague populiste pourrait bien nous faire toucher le fond.
Confronté à cette situation inédite, que peut faire le Parti socialiste ? Première question : a-t-il encore une place ? La coloration politique de La République En Marche fournit la réponse : elle tire très peu sur le rose, et encore moins sur le rouge. Le PS peut donc envisager l’avenir. Mais s’il veut vraiment rester dans le rose, il devra tourner le dos aux frondeurs et aux rétrogrades de tout poil, pour parvenir à ancrer un projet « de gauche » dans la réalité, et non dans les fantasmes. Ce qui l’amènerait à parier sur l’intelligence des hommes, plutôt que sur leurs peurs, et faire ainsi preuve d’un nouveau sens de l’exercice des responsabilités politiques.
Un changement de nom ne serait sans doute pas inutile. Après tout, pour contrer les Républicains qui, rappelons-le, ont commis un beau hold-up avec leur nom, pourquoi ne pas se rebaptiser « Démocrates » ? Toutefois, l’essentiel ne se situe pas là. Pour exister, un parti doit avoir un projet et définir un mode d’action. La paresse intellectuelle consiste à choisir la voie contestataire. Mais cette voie est bouchée, et sans issue. Face à un exécutif qui met en œuvre son programme et exerce son pouvoir, s’opposer pour s’opposer ne sert à rien, sauf à rester dans ces postures qui sentent l’imposture. La facilité mène à l’échec politique, puis au dégagisme. Reconstruire après un séisme, ce n’est pas faire comme avant. Tout doit être revu, et cela doit influencer la manière de penser et d’agir, y compris lorsqu’il convient de critiquer le travail gouvernemental. Déjà, les socialistes devraient s’interdire de servir la bouillie de M. Mélenchon. Deux exemples. Non, les ordonnances ne sonnent pas le glas du Code du Travail. Non, le budget 2018 ne se résume pas aux caricatures du type « les grands gagnants sont les riches » et « c’est un budget CAC 40 ».
Pour une gauche moderne, il y a un chemin, délaissé jusque-là, qui n’a pas pour seul pavement les stratégies de conquête de pouvoir. A partir d’une réalité nationale et internationale enfin assumée, il faut investir le monde des idées, se présenter comme une force de proposition, avoir le courage de reconnaître les bonnes idées et les réussites de son adversaire, pour mieux pointer ses erreurs et ses insuffisances. Tout cela pour, in fine, bâtir un projet alternatif qui rime avec meilleur et crédible, au lieu de piocher dans le seul vocabulaire de la rupture et de la revanche sociale.
D’ici 2022, les sujets de fond sur lesquels notre pays a besoin d’une opposition socialiste intelligente, et non bruyante, ne manquent pas. Qu’elle se jette à fond dans le débat public avec les enjeux du vivre et travailler ensemble, les questions institutionnelles, la formation continue, la précarité et la pauvreté, la compétitivité de nos entreprises, la réforme de l’État, le devenir de l’Europe, l’immigration et l’avenir de l’Afrique, etc.
La politique est une affaire sérieuse. Le système bipartisan challengé par quelques trublions plus ou moins éphémères est en voie de remplacement. A quoi ressemblera le paysage politique français d’ici deux ou trois ans, après les prochains verdicts des urnes ? Il est difficile de le prédire, mais si les éléphants roses ne reviennent pas peupler le territoire politique, à gauche, les mammouths rouges auront le champ libre. Or, pour la France, la révolution n’est pas une option, ni le chaos.