Retrouvez la tribune d’Alexandre Malafaye publiée par la Revue Politique et Parlementaire.
Même si la campagne électorale ne bat pas encore son plein, les candidats déclarés mettent sur la table leurs propositions au fil de l’eau.
Comme lors de chaque élection présidentielle, le volontarisme des candidats est flagrant et les « je veux » fusent ! Et comme à chaque fois, nous avons droit à un florilège de propositions dont la plupart gagneraient en crédibilité, ainsi que leurs auteurs, si nous parvenions à savoir et comprendre comment elles seront mises en œuvre.
Car s’il y a bien un principe cardinal dont nous manquons depuis trop longtemps dans notre pays, ce n’est pas de volontarisme politique, mais de méthodisme. Il est frappant de voir que les candidats, lors des débats ou des interviews, se gardent bien d’expliquer comment ils vont s’y prendre pour mettre en œuvre leurs propositions. Cette impasse possède une explication simple : soit le candidat ne sait pas comment procéder, ou alors, et c’est pire, il sait déjà qu’il ne pourra pas la traduire en acte. Qu’importe ! En politique, l’important n’est-il pas de gagner ?
Depuis que cette campagne a débuté, alors que la France est plus endettée que jamais, chaque candidat brandit le grand chéquier de la Nation. Qui pour donner plus à telle catégorie de Français, qui pour baisser des charges sur les salaires du privé, qui pour relever massivement les salaires des profs ou des soignants, qui pour doubler le budget de tel ministère, qui pour un grand plan sur la transition écologique et accélérer la transition climatique, qui pour relancer la filière nucléaire, qui pour atténuer les hausses des prix du carburant et de l’électricité, qui pour l’aide au continent africain, la petite enfance, le handicap, les quartiers, la Police, etc. Au grand jeu du « quoi qu’il en coûte » pour se faire (ré)élire, le Président ne doit plus se sentir seul !
Alors bien sûr, on nous promet des lois pour enfin tout changer et tout réformer, des économies, des coupes budgétaires et des réductions d’effectifs pour tout financer, ou de nouveaux impôts (sur les successions, sur le patrimoine, sur les hauts revenus) pour redistribuer encore plus, la justice sociale n’ayant pas de prix.
Mais ces lois, si elles bousculent trop les personnes visées ou les habitudes, pourront-elles être appliquées ? Le pays supportera-t-il encore longtemps des mouvements sociaux de l’ampleur de ceux que nous avons connus au cours de ce quinquennat. Quant à la politique du rabot ou de « la hache », si elle fait vraiment « mal » afin d’être « puissante » ou rentable, est-on certain que le « patient français » se laissera faire ? Les Bonnets rouges ont bien eu la peau des portiques écotaxes et les Gilets jaunes celle des taxes sur le carburant.
Et puis il y a toutes ces lois qui, présentées comme des grandes avancées, ne font en réalité qu’effleurer le problème (citons ici le cas du service civique) ou qui, sous couvert de justice fiscale, renforcent encore le pouvoir central (suppression de la taxe d’habitation). Sans oublier toutes celles qui produisent l’effet inverse à celui recherché (sur le nucléaire ou sur la gestion de l’Hôpital public, par exemple), ou celles qu’il faut démonter en urgence au vu de la catastrophe (la filière betterave et les néonicotinoïdes), ou encore celles qui, à force de s’accumuler et d’être si mal pensées provoquent un quasi burn-out de la magistrature française.
A la place de ce droit et si l’on met de côté la gestion de la crise sanitaire que la peur suscitée par la pandémie a facilité du point de vue de l’obéissance civique, nous sommes bien forcés de constater que l’impuissance publique couplée à une communication souvent promotionnelle voire propagandiste prennent, la plupart du temps, le pas sur l’efficacité, l’honnêteté intellectuelle et une vraie et sincère culture du résultat.
Tout ceci nous conduit à penser qu’il n’est plus temps de rafistoler nos institutions (avec au passage des catastrophes telles que le quinquennat ou le non-cumul des mandats), de réaliser quelques expérimentations démocratiques au CESE (la Convention citoyenne sur le climat), ou encore de tenter de réorganiser a minima tel ou tel service de l’État. Les faits se suffisent à eux-mêmes pour convaincre de l’indispensable nécessité de refaire, de repenser et même de réinventer la puissance publique dans son ensemble. Il faut le faire en partant des besoins et des attentes des citoyens français, en ayant le siècle pour horizon, et en prenant en compte l’environnement international qui est à la fois imprévisible, complexe, brutal et même dangereux.
Ceux qui nous gouvernent, comme ceux qui aspirent à nous gouverner, doivent prendre conscience qu’ils ne parviendront pas à tenir leurs engagements sans de profonds changements de méthode et de pratique, sans redevenir stratèges, sans le respect dû à nos concitoyens, sans l’exemplarité qui légitime l’autorité, et sans œuvrer à refonder le pacte républicain sur le socle de ses valeurs.
L’enjeu est considérable car il s’agit de renouer le lien de confiance avec les Français.
Pour parvenir à gouverner autrement, et pas au travers de simples déclarations, de gadgets législatifs ou de promesses jamais tenues, il faut ouvrir un vaste chantier et d’abord considérer la puissance publique comme un tout, c’est à ce « tout » qu’il faut s’attaquer de façon simultanée.
L’État constitue la machinerie de la puissance publique, mais aujourd’hui, il a perdu sa raison d’être et d’agir, faute de s’être interrogé ou remis en cause, et son articulation avec la sphère politique n’est plus satisfaisante. De leur côté, les institutions qui composent et organisent le pouvoir et sa répartition, définissent et garantissent les règles du jeu, énoncent qui prend les décisions, dans quelles conditions et avec quel contrôle, ont été dévoyés au fil du temps. Enfin, la démocratie, qui met en œuvre les processus par lesquels le peuple souverain confie le pouvoir à ses représentants et aux institutions, ne fabrique plus que des légitimités très partielles et vite contestées. La cohésion nationale s’en ressent et cela rejaillit sur le très faible niveau de confiance accordée à nos concitoyens à la classe politique dans son ensemble. C’est d’ailleurs ce que confirme chaque année le CEVIPOF depuis dix ans avec son baromètre annuel de la confiance politique.
C’est donc pour provoquer et alimenter le débat sur la nécessaire refonte de la puissance publique, que Synopia vient de publier son rapport. 69 propositions sont formulées autour de six grands thèmes :
- Définir le projet collectif grâce à un Conseil national de reconstruction (CNR).
- Rééquilibrer les pouvoirs en renforçant notamment les prérogatives législative et judiciaire et en en retirant certaines les mains du Président de la République.
- Accroître l’efficacité de la puissance publique, en améliorant la qualité de la loi, en simplifiant l’organisation du pouvoir et en le déconcentrant.
- Faire vivre la promesse démocratique, en s’appuyant sur les nouvelles formes de démocratie pour renforcer l’exercice de la démocratie représentative, et en créant une Cour suprême à la française.
- Refonder le pacte républicain, grâce à davantage d’équité, d’efficacité et de transparence.
- Garantir l’égalité des chances dans la « fabrication des élites », en revenant aux règles fondamentales édictées au sortir de la Seconde Guerre mondiale.
Parmi nos propositions phare, nous proposons l’instauration d’un week-end de la démocratie, destiné à organiser partout en France des débats avec les Français et à ouvrir la plupart des lieux où s’exerce l’action publique (commissariats, gendarmeries, tribunaux, établissements scolaires, préfectures, bases militaires, mairies, siège des départements et des régions, etc.).
Dans un autre enregistre, nous recommandons aux candidats à l’élection présidentielle de présenter leur équipe gouvernementale avant le premier tour. En effet, être le premier de la classe et excellent à l’oral ne suffit plus. Cela n’a d’ailleurs jamais suffi. Ce qu’il faut, c’est être un véritable chef d’orchestre, démontrer sa capacité à bien s’entourer, et fixer un cap clair plutôt que de proposer un programme catalogue dont chacun sait bien qu’il ne sera pas respecté et qui, de surcroît, n’est jamais accepté dans sa totalité. Loin s’en faut.
Pour conclure, nous voulons rappeler qu’il est nécessaire de prendre très au sérieux cet impératif de refonte de la puissance publique et de changement de pratiques et de méthode de gouvernance. Le pays ne supportera plus indéfiniment tantôt la brutalité de l’action publique, tantôt ses incohérences, tantôt les nouvelles injustices, les inégalités croissantes ou encore les abus de la « caste » au pouvoir, sans finir par se révolter. Si rien d’ambitieux n’est mené pour changer en profondeur l’art et la manière de gouverner et celui d’administrer au cours du prochain quinquennat, il n’est pas impossible qu’il soit le dernier du genre, ce qui signifierait sans doute la fin de la Ve République.
Alexandre Malafaye