L’affaire Soubelet est terminée. Il en reste cependant un enseignement, une morale ou une menace qui, en termes de gouvernance, nécessitent à défaut d’un contredit politique, une nouvelle protestation. Notre propos n’est pas de philosopher sur ces beaux sujets que pourraient constituer l’éventuel manquement au devoir de réserve d’un fonctionnaire, ou les limites de la liberté d’expression du militaire. Il n’est pas non plus question de savoir si ce général pouvait bénéficier du statut de lanceur d’alerte.
Notre propos est de s’interroger, en termes de gouvernance, sur la conduite qu’un serviteur de l’État doit tenir lorsqu’il est auditionné devant une commission d’enquête parlementaire, car c’est la cause impulsive et déterminante de l’affaire Soubelet.
En effet, on rappellera que le 18 décembre 2013 la commission parlementaire de « lutte contre l’insécurité » a souhaité procéder à l’audition (ouverte à la presse et retransmise, en direct sur le site http://videos.assemblee-nationale.fr/) du Général Soubelet, alors directeur des opérations et de l’emploi de la gendarmerie nationale (voir la vidéo).
D’après notre constitution (articles 51-2 et 24), une commission d’enquête peut être créée pour l’exercice des missions de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques. Ladite commission a vocation à recueillir des éléments d’information sur des faits précis concernant notamment des questions de société.
L’audition du Général Soubelet se décompose en des propos liminaires suivis de questions posées par la commission. Après avoir rappelé que l’insécurité (sur l’ensemble du territoire) était un vaste et très complexe sujet, le plan proposé par le général consistait à d’abord présenter les éléments structurants pour les questions d’insécurité, puis les éléments déstabilisants et enfin de livrer une analyse personnelle « peut-être iconoclaste mais je pense que si on ne peut pas être iconoclaste avec la représentation nationale, on ne peut l’être nulle part » (00.21.26 de la vidéo précitée). Le Président de la Commission a donné son accord sur la structure de cet exposé.
Mais à l’évidence, le témoignage du général Soubelet n’a pas plu à son ministre de tutelle (ou à un de ses conseillers…) car il a été interprété comme pouvant opposer la gendarmerie à la justice.
Quelques jours plus tard, lors de ses vœux à la gendarmerie, le ministre de l’Intérieur déclarait : « Les ministres de l’Intérieur et de la Justice concourent pleinement à l’autorité de notre État », « les forces de l’ordre et la justice doivent partager les mêmes buts », avec « la Garde des sceaux, nous sommes sur la même longueur d’onde ». Les vœux du ministre se terminaient par « Je demande de poursuivre le travail dans le même état d’esprit et je ne tolérerai aucun manque à cette ligne de conduite sur le cap, la direction et la manière de travailler ensemble car l’engagement et la loyauté sont indispensables ».
Dans les jours suivants, le général Soubelet fut remplacé, et quelques mois plus tard, affecté à un poste à moindre responsabilité. En persistant dans cette voie de libre parole et ses analyses (péché d’orgueil ou refus de se taire ?), avec la publication d’un livre au printemps 2016, le général a finalement été remercié.
Fin de l’histoire ? Que nenni. Il nous revient d’en tirer une inquiétante leçon pour notre démocratie.
Force est de constater que le mécanisme prévu dans notre Constitution et qui, en termes de gouvernance, nous semble essentiel (contrôler l’action du Gouvernement et évaluer les politiques publiques) a été purement et simplement désactivé. Conséquence directe des propos du ministre. En effet, après les vœux précités, qui va oser, même sous serment, parler librement à une commission d’enquête parlementaire ? Ce qui revient à dire que le serviteur de l’État, en l’occurrence le fonctionnaire ou le militaire, doit d’abord servir son ministre, ou son chef. Ainsi, pour assurer sa carrière, le général aurait dû faire preuve de « loyauté » envers le maître de la place Beauvau, et donc se comporter en VRP face à ladite commission…
Après la publication de notre première tribune sur ce sujet, un officier général nous indiquait que le général Soubelet aurait dû formuler ses critiques « en off », en dehors des caméras. Traduction : le contrôle du gouvernement doit se pratiquer à huis clos, entre soi. Circulez, il n’y a rien à voir ! Mais dans ce cas, à quoi servent ces commissions d’enquêtes parlementaires filmées et dont les images sont mises à disposition du public ? Serait-ce pour les besoins de la comédie républicaine ? Pour conforter l’action des politiques ? Pire, pour rassurer nos concitoyens sur l’air bien connu de tout va très bien madame la marquise ?
L’éviction définitive du Général Soubelet nous permet de dénoncer cette jurisprudence qui, à nos yeux, constitue un dysfonctionnement démocratique grave, un abus de pouvoir et d’autorité blâmables.
Au-delà de sa nécessaire loyauté vis-à-vis de son ministre, ou de son chef, lorsqu’il est interrogé par une commission d’enquête de l’Assemblée nationale, un serviteur de l’État – et donc de l’intérêt général – devrait d’une part, retrouver son entière liberté de parole et, d’autre part, ne craindre personne.
Dans son testament politique, le Cardinal de Richelieu livre à son roi quatre principes destinés à mettre en état ses conseillers, pour qu’ils « puissent travailler à la grandeur et à la félicité de Son Royaume ». Le second dit « qu’il leur commande de lui parler librement, et les assure qu’ils peuvent le faire sans péril ». Voilà bien un héritage monarchique dont notre République devrait être dépositaire.
Alexandre Malafaye
Tribune publiée dans Le Figaro.fr du 18 mai 2016.
Crédit photo Le figaro