« Premières mesures de la symphonie du nouveau monde ? », Chronique par A. Malafaye

Retrouvez la chronique d’Alexandre Malafaye sur le site de L’Opinion, via ce lien

Quoi qu’en dise la CGT, la journée de mobilisation syndicale du 10 octobre 2017 ne peut être qualifiée de succès. Aucun « déferlement » n’a envahi la rue. Le « coup d’état social » et la « casse du service public » brandis comme des chiffons rouges n’ont pas déchaîné les passions. D’une certaine façon, il est rassurant de constater que les dérives démagogiques ne l’emportent pas à chaque fois. Il ne suffit pas de dire tout et n’importe quoi pour déplacer les foules.

Certes, des services se sont mis en grève, entrainant des galères bien inutiles pour les usagers, une centaine de manifestations ont eu lieu, et l’unité syndicale a pu se vérifier. Mais si les partenaires sociaux de la fonction publique sont parvenus à trouver des motifs à cette apparente union, ils n’étaient pas suffisants pour entraîner une vraie mobilisation. Quand elle n’est que de façade, l’union ne fait pas la force.

Tandis que les organisations syndicales se cherchent des excuses, en pointant notamment le coût d’une journée de grève pour un budget familial, des raisons plus profondes expliquent la mauvaise fortune des contestataires. Quelque chose flotte dans l’air, une petite musique inhabituelle qui ne peut leur plaire. Même si la communication gouvernementale est encore brouillonne et si les petites phrases du Président de la République troublent une partie des messages de l’exécutif, les Français commencent à réaliser que des promesses sont tenues. Et vite tenues. Que l’on soit d’accord, ou pas, avec ce qui est mis en œuvre, le simple fait que la parole de campagne soit respectée ne laisse personne indifférent. C’est une nouveauté, et elle paye. Le sondage Ifop pour Synopia que nous publions ce jour, montre que pour 57 % des Français, Emmanuel Macron tient ses engagements de campagne. Ils n’étaient que 45 % à le penser au début du mois d’août.

Par ailleurs, sur la scène internationale, chacun peut percevoir qu’il y a un « moment français », et là encore, à part quelques abrutis et des barbus fanatisés, personne ne boude son plaisir de voir la France bien représentée.

Il est évidemment trop tôt pour affirmer que cette petite musique, avec ses fausses notes, reprend les premières notes de la symphonie du nouveau monde, mais nous ne pouvons pas ne pas l’entendre.

Toujours est-il que cette amorce d’engagements respectés percute de plein les tenants de l’ancien monde politique et syndical. Parce qu’elle les surprend, les déstabilise et, in fine, les menace. Chemin faisant, s’il persiste et signe, Emmanuel Macron va passer la deuxième couche du dégagisme. En définitive, ce qui se joue sous nos yeux, c’est le combat titanesque de deux mondes. L’ancien, qui conteste et s’oppose par principe, fidèle à ses méthodes clientélistes, enfermé dans ses prisons idéologiques, ses dénis, et cette fabrique du mensonge politique qui en découle. Et le nouveau monde, qui se fait agile, change de pied, mise sur les stratégies d’alliance, la culture du compromis, et la volonté d’expérimenter.

A gauche, la contestation se veut outrancière et bruyante. La caricature l’emporte sur la raison politique et ne laisse aucun espace au Parti socialiste. A droite, ce n’est guère mieux. Les adjectifs triste et ridicule se livrent une compétition farouche. Qu’il est triste Eric Woerth quand il dénonce un budget 2018 « injuste un peu partout ». Qu’il est ridicule Laurent Wauquiez quand il critique la décision du Président de la République de sanctionner le Préfet du Rhône. Tout cela est tellement classique, prévisible. Plus à droite encore, c’est le pitoyable qui l’emporte : on compte sur les drames d’une actualité infiniment complexe et cruelle pour rebondir.

En face, le Général Macron aligne des divisions d’un genre nouveau qui, dans l’esprit et la forme, empruntent à la « Groko » – grosse coalition – allemande. Étonnant attelage, en effet, qui réunit dans le même gouvernement le Républicain Bruno Le Maire et le socialiste Jean-Yves Le Drian, l’écologiste Nicolas Hulot et Édouard Philippe, un ancien cadre dirigeant d’Areva. Impensable il y a encore deux ans.

Par comparaison, l’ouverture pratiquée par Nicolas Sarkozy relève du coup d’éclat et du pied-de-nez, quand Emmanuel Macron fait sauter les digues. Avec cette mix team dont on retrouve la même diversité à l’Assemblée nationale, le Président va au bout de la logique du « en même temps » qui, sur le papier, vise à transformer le bras de fer classique « je gagne / tu perds » en une conciliation des contraires fondée sur le pragmatisme et la volonté d’en sortir par le haut, avec à la clé, la promesse de résultats qui justifieront les efforts demandés.

Pour l’instant, cahin-caha, la cohésion du groupe résiste à la pression des forces centrifuges, chaque ministre, et chaque député, ayant l’assurance d’avoir le soutien des autres le moment venu, lorsqu’il s’agira du projet qu’il porte, ou pour lequel il s’est engagé devant ses électeurs. La façon dont la loi de moralisation a été négociée puis votée en est l’illustration. En son temps, le Général de Gaulle constituait des majorités autour de chacune de ses grandes réformes.

Toutefois, si Emmanuel Macron disposait d’un boulevard les deux premiers mois de son quinquennat, il avance maintenant sur un chemin plus étroit, qu’il a contribué à miner lui-même avec ses provocations et son déficit de pédagogie. Et c’est bien là que, pour l’instant, le bât blesse. Selon le même sondage Ifop pour Synopia, 56 % des Français ne comprennent pas la politique menée par l’exécutif, et ils sont 60 % à ne pas avoir une vision positive de ce que peut devenir la France à 5 ou 10 ans. Pour chacun de nous, dans sa vie privée, son métier, ou dans son pays, ne pas comprendre ce qui se trame, et voir l’avenir en gris, n’aident ni à avancer, ni à accepter les évolutions. Bien au contraire. Le flou incite au repli sur soi, un phénomène qui, s’il est collectif, durcit les clivages et transforme la moindre perspective de changement en régression, en peur ou en « souffrance ». Le tout venant entretenir le fonds de commerce des leaders de l’ancien monde politique.

La confiance ne se décrète pas. Elle se tisse, s’entretient, se nourrit. Tenir ses engagements ne suffit pas. Emmanuel Macron doit leur donner un sens. Dans cet exercice, il lui faudra aussi apprendre à ne pas compter sur son seul talent et la verticalité d’un pouvoir parisien. Surtout, sa haute fonction lui permet de tirer le débat public vers le haut, et il y a urgence. Le même sondage nous révèle que 65 % des Français sondés estiment que le débat public n’est ni au niveau des enjeux, ni de bonne qualité. Il est donc logique que les Français ne comprennent pas bien le présent et redoutent l’avenir. Tout est lié. « Mieux vaut comprendre peu que comprendre mal » écrivait Anatole France. Si le Président montre l’exemple, s’il le fait de façon pertinente, il contribuera à inverser la tendance. Sa prestation dimanche soir sur TF1 va dans ce sens, saluons-le.

 

 

 

 

 

 

 

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