Retrouvez la tribune d’Alexandre Malafaye sur le site de l’Opinion.
Le 12 avril 2017, convaincus qu’il n’était plus possible de gouverner la France dans de bonnes conditions, nous lancions avec une trentaine de personnalités un appel relayé dans les colonnes de l’Opinion, demandant l’ouverture d’un « Grenelle de la démocratie » une fois l’élection présidentielle passée.
Nous écrivions alors que « le système démocratique tel que nous le pratiquons est à bout de souffle. Les difficultés qu’ont eues les gouvernements successifs pour faire adopter leurs réformes (ou échouer à le faire) en témoignent. Elles sont d’origines multiples, et proviennent à la fois de nos institutions, des élus et de leur façon de faire de la politique, et du numérique qui détiendra bientôt le potentiel d’entraîner le renversement d’un système rigide, marqué par le manque d’écoute, conçu pour gouverner par le haut et finalement, peu capable de penser et peser sur le temps long. »
Cet appel a été renforcé par une « lettre ouverte à Emmanuel Macron » publiée l’Opinion le 2 mai 2027, à cinq jours de sa victoire. Dans cette lettre, nous insistons sur l’impérieuse nécessité de repenser l’art et la manière de gouverner. Et d’expliquer que « l’un des enjeux les plus importants de ce quatrième quinquennat va consister à “refaire la démocratie”. Bien sûr, à court terme, diverses initiatives peuvent être prises, qui enverront des signaux positifs aux Français. Mais le chantier qu’il faut ouvrir est considérable et doit être mené à froid, en dehors du temps de la campagne électorale et de façon large. Les questions sont nombreuses, complexes et portent sur des sujets aussi importants que le rôle de l’Etat, des collectivités locales et des citoyens, la prise en compte de la révolution numérique, le renouvellement des élus et leur représentativité, l’efficacité de l’action de l’Etat, la recréation du lien démocratique. »
Comme nous pouvions le craindre, le Président élu ne nous a jamais répondu. Nous avons été par ailleurs surpris par la réaction de nombreux intellectuels et observateurs de la vie publique pour qui une inquiétude – en l’occurrence la nôtre – ne constituait pas un horizon. Etonnant déni de réalité qui n’a pas manqué de nous rattraper.
Six ans et demi plus tard, il suffit d’observer l’état de fracturation de la société et la défiance qui s’est généralisée envers nos dirigeants et représentants politiques nationaux, les experts et nombre de nos institutions pour confirmer qu’il y avait en effet urgence à s’attaquer en profondeur à l’enjeu démocratique et aux méthodes de gouvernance.
C’est d’ailleurs ce que nous avions à nouveau recommandé en décembre 2021 en lançant un appel en faveur de la création d’un Conseil national de la reconstruction (CNR) dont les travaux devaient porter sur « porter sur les questions de nature institutionnelle, les méthodes de gouvernement, les modes de fonctionnement de la démocratie, y compris sociale, l’organisation de l’État, et nos exigences vis-à-vis de l’Europe » en y associant « les principaux partis politiques, les organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives, des représentants de la société civile, de la culture et du sport, avec un représentant par organisation, et des scientifiques. »
Si l’idée du CNR a fait son chemin, mais ce qui a été installé en septembre 2022 avec le Conseil national de la refondation ne ressemble ni de de près ni de loin à ce que nous recommandions.
Bien sûr, nous reconnaissons volontiers que le Président de la République, au cours de son premier quinquennat, n’a pas été en reste en matière d’expérimentations démocratiques, entre le grand débat, les cahiers doléances, les conventions citoyennes, etc. Il a également réussi une réforme partielle du Conseil économique, social et environnemental et il faut s’en réjouir.
Mais point de récit capable de donner un sens à l’action publique. De fait, rien de tout cela n’a réussi à inverser la tendance contestataire, ni à apaiser les colères, ni à rassembler les Français, et l’Assemblée nationale élue en juin 2022, par sa composition composite et sans majorité suffit à le démontrer.
La légitimité des élus dans leur ensemble s’en trouve chaque jour davantage contestée, leur autorité en est diminuée, ce qui se traduit maintenant par des attaques physiques. Il devient de plus en plus difficile de fabriquer du consentement. Or, autorité et consentement sont intimement liés et ils sont indispensables pour permettre à notre pays d’avancer dans une direction comprise et acceptée par nos concitoyens, même, et surtout, s’ils ne sont pas à chaque fois d’accord avec les projets politiques ou les réformes réalisées.
Il y a quelques jours, le chef de l’Etat a soufflé les 65 bougies de notre Ve Constitution. À cette occasion, il a ouvert la voie à quelques évolutions institutionnelles auxquelles viennent s’ajouter celles qu’il a déjà mis sur la table (statut la Corse, droit à l’IVG, etc.).
Très franchement, il devient difficile de s’y retrouver, car l’ensemble de ces expérimentations, ces réformes partielles et ces propositions faites sans concertation aucune s’apparentent davantage à du bricolage ou du rafistolage, si on ne veut pas parler d’un coup politique, qu’a une rénovation en profondeur de notre système institutionnel, judicaire et démocratique.
Certes, la période paraît compliquée pour ouvrir un tel chantier, mais retarder l’échéance serait encore plus dangereux que de l’affronter, car viendra le moment où nos compatriotes, à force de n’être ni écoutés, ni respectés, ni protégés, ni guidés, finiront par préférer au R de la Refondation ou de la Reconstruction, celui de la Révolution. Cela s’est souvent passé dans notre histoire !
Comme il n’est pas question de remettre en cause le fondement de la Ve République, à savoir l’élection du président de la République et des parlementaires au suffrage universel, ce sont toutes les autres questions qu’il faut enfin aborder dans un grand esprit de concertation, pour ensuite soumettre un vrai projet de « refondation » aux Français par voie référendaire.
Nous pouvons citer, pêle-mêle, l’équilibre des pouvoirs et des contre-pouvoirs, la démocratie sociale et le paritarisme, les différents modes de scrutin et le calendrier électoral, la place de la justice et l’autonomie de ses juridictions, etc.
Peut-être faut-il aller vers une forme de « démocratie totale », dont les fondements et les pratiques auraient un impact l’ensemble de notre vie publique et de ses acteurs, qu’ils soient nationaux, régionaux et locaux. Ce grand chantier permettrait aussi de revisiter la question européenne et notre façon de contribuer à faire de l’Europe, profondément interrogée par la survenue de la guerre en Ukraine, une force politique, démocratique et économique.
Adossée aux grands principes de l’Etat de droit, cette « démocratie totale » – qui n’a rien à voir avec la démocratie directe –, permettrait le développement de vraies pratiques démocratiques dans toutes les institutions et l’épanouissement véritable de nos valeurs (Liberté, égalité, fraternité). Elle se servirait de tous les instruments démocratiques à sa disposition (délibération, participation, consultation, etc.) et redonnerait un rôle prépondérant à la démocratie sociale. Enfin, elle articulerait mieux Savoir, Droit et Pouvoir, réorganiserait notre fameux « millefeuille territorial » et mettrait un terme à la confusion des rôles.
Au pays des Lumières, une telle démocratie ne devrait pas manquer de faire sens. Le projet est ambitieux, certes, mais il devient indispensable d’inventer un système de gouvernance à même de répondre de façon suffisamment efficace, juste et adaptée aux grands défis auxquels nos concitoyens, notre société, nos administrations, le monde éducatif, nos entreprises et le tissu associatif sont confrontés, qu’ils soient politiques, économiques, technologiques, sociaux, géopolitiques climatiques.
Alexandre Malafaye
Président de Synopia.