« Si le débat public reste à ce niveau, nous sommes cuits ! » – Chronique d’Alexandre Malafaye

Retrouvez la chronique d’Alexandre Malafaye sur le site de L’Opinion, via ce lien

L’affligeante polémique qui a suivi le passage de l’ouragan Irma s’inscrit dans la longue lignée de ces dérives politiciennes qui tirent notre pays vers le bas. Que les politiques d’opposition et une kyrielle d’observateurs aient profité de l’opportunité pour attaquer pêle-mêle le Président, le gouvernement et l’État était indécent. Au regard de la situation des dizaines de milliers de sinistrés qui ont tout perdu, bien sûr. C’était aussi irresponsable. Face aux coups de gueule d’une Nature si changeante, mieux vaut faire preuve d’humilité. Surtout, une polémique comme celle-là contribue à maintenir le débat public national à un haut niveau d’infertilité, et cela, c’est vraiment catastrophique.

Non ! On ne peut pas profiter de tout pour dire n’importe quoi. Le jeu de ceux qui se prêtent à ces mascarades est limpide. Il s’inspire de la fameuse formule de Francis Bacon : « Calomniez, calomniez, il en reste toujours quelque chose ». Aux yeux du plus grand nombre, la polémique sur Irma peut avoir les apparences de la politique, mais elle n’en est pas. Cette politique « Canada dry » procède d’un dévoiement démagogique dont l’objectif manifeste vise à maintenir le débat sur le terrain purement anxiogène et contestataire, sans se soucier des conséquences. Car il en reste « quelque chose ». Le doute, tout d’abord, qui entretient ce climat de défiance des gouvernés vis-à-vis des gouvernants. Le trouble, ensuite, qui pollue le débat public et relègue au second plan ce qui est essentiel.

Hélas ! l’actualité dramatique n’est pas la seule source d’inspiration pour les acteurs du naufrage de la pensée publique et de l’intérêt général. Chez ces gens-là, point d’éthique. On n’est pas seulement opportuniste, on se veut stratège. Les polémiques et les petites phrases assassines ne sont que la partie spectaculaire de ce grand lavage de cerveau collectif qui déforme et amplifie ce qui n’a pas, ou peu, d’importance – mais qui fait le buzz – au détriment des sujets de fond. Imaginez un bus dont le chauffeur et les passagers passeraient leur temps à se chamailler à cause des nids de poule alors que la route est minée, et qu’au loin, un précipice se profile. Voilà notre pain quotidien.

Le brouhaha politico-médiatique, véritable miel d’une élite protégée, constitue un piège mortel pour notre pays. Nous faisons de la politique comme si le reste de l’humanité, les réalités et demain n’existaient pas. Le superficiel a pris le pas sur le sérieux, l’anecdotique devient la référence. Personne, ou presque, ne s’intéresse aux lames de fond qui façonnent le monde et, de temps en temps, fabriquent une vague monstrueuse.

C’est à la surface des réalités que nos leaders politiques mènent leurs combats clientélistes dont le pire effet se traduit, dans l’esprit des Français, par une multiplication des futurs qui se scindent en deux groupes. D’un côté, le champ des possibles. De l’autre, celui des promesses. Petit à petit, à force de boniments, l’écart entre le possible et l’acceptable s’est creusé au point de rendre notre pays presque ingouvernable. Au bout de trente années des mêmes pratiques, le mal est fait. L’emprunt des voies possibles pour la France est rejeté par le plus grand nombre au profit des voies promises, même si celles-ci constituent des leurres, ou des impasses. Certes, le rêve d’un monde meilleur ne doit pas s’effacer, ni l’envie de se battre pour lui, mais si l’on veut vraiment améliorer le sort du plus grand nombre de nos concitoyens, il faut devenir pragmatique.

Le discours du Bourget est un exemple caractéristique du guêpier que constitue le grand écart entre chimère et réalité. En mettant aux enchères électorales ce qu’il ne pouvait posséder et en déclarant que « son ennemi était la finance », François Hollande a promis aux électeurs un monde inaccessible, celui qui verrait la finance mise au pas et les financiers au pilori. Il l’a payé cher. Et comme les trahisons électorales ne ramènent pas toujours dans le champ de la raison politique, depuis, les populistes s’en donnent à cœur joie.

En vérité, tout cela pourrait être presque distrayant si la situation de la France n’était pas si grave. Certains en doutent, et ce n’est pas nouveau. Alors qu’ils trouvent des indicateurs positifs, qu’ils montrent les courbes de tendance structurelles qui vont dans le bon sens. Soyons (enfin) sérieux. Les dégâts de l’incurie passée sont là, sous nos yeux, comme des stigmates : désastre industriel, chômage de masse, endettement maximum. Si demain, les moyens de notre souveraineté faiblissent, les plus flamboyants pourront toujours fanfaronner sur la scène nationale, mais à l’ONU, par exemple, on nous tordra le bras et nous serons contraints de rendre notre siège de membre permanent du Conseil de sécurité (qui nous donne le droit de veto). Notre destin ne nous appartiendra alors plus du tout. L’indépendance a peut-être un coût, mais elle n’a pas de prix.

Face à cette situation, si l’indignité et l’irresponsabilité restent au cœur du débat public reste, la France ne cessera de régresser. Car par delà nos profondes difficultés internes, notre conservatisme de classe, et nos absurdes et interminables débats sur la baisse de 5 euros des APL, autour de nous, le monde évolue à une vitesse affolante. Mais nous n’en parlons pas, ou si peu. Et dans tous les cas, rien ne bouge, ou presque. Ce ne sont pourtant pas les motifs de vives préoccupations qui manquent et qui, faute de parade, auront des effets sur la France, son économie et sa cohésion, comparables à ceux d’Irma sur Saint-Martin. Ainsi :

– Serons-nous prêts lorsque l’Afrique aura vu sa population doubler ? Deux milliards d’habitants en 2050. Sans parler des problèmes liés à l’islamisation radicale. Si l’Europe ne s’occupe pas du continent africain, il va s’occuper d’elle, et il a déjà commencé.

– L’Union européenne prend-elle vraiment la mesure de cette course aux armements, y compris à ses portes, et tout autour de la Méditerranée ?

– Qu’avons-nous engagé de sérieux face à la révolution numérique et l’exploitation sans fin de nos données personnelles ?

– Pris en tenailles entre d’un côté, les Etats-Unis, l’extraterritorialité de leurs lois et le dollar, et de l’autre, la marche vers l’hyper-domination asiatique (60 % de la population mondiale et près de 40 % du PIB) que font la France et l’UE pour rivaliser ?

Voilà quelques-uns des thèmes de fond qui devraient occuper l’essentiel du débat public. Dans ce domaine, la responsabilité des dirigeants politiques est absolue. Ils doivent nous faire sortir du labyrinthe politicien. Pour que nous commencions à prendre la mesure des défis à relever, que nous en débattions et que nous mettions notre énergie au service des futurs possibles. Sans quoi, nous serons condamnés à subir le futur.

Lao-Tseu aurait sans doute conseillé au grand chef qui veut nous montrer la lune (sans la promettre, toutefois) de s’y prendre de façon à ce que les Français ne regardent pas sa main, mais plutôt dans la bonne direction.

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