Tribune d’Alexandre Malafaye publiée par La Croix le 13 mars 2017.
Si l’on projette trois courbes, celle des tendances démographiques qui transforment notre société en profondeur depuis une cinquantaine d’années, celle de notre cohésion sociale qui se délite chaque jour davantage, et enfin celle de la défiance croissante de nos concitoyens envers la classe politique, nous devrions nous inquiéter. Tous les ingrédients sont réunis pour que l’histoire de la Ve République se termine mal.
Cliver pour pour mieux régner
Ne nous étonnons pas, il n’y a aucun hasard, ni aucune fatalité à cette triste situation. Mais il y a des responsables et des coupables. Nos élites politiques revendiquent leur droit à « cliver », prétextant qu’il s’agit d’un ferment de la démocratie, mais qui constitue en réalité l’arme fatale du clientélisme, le moyen d’entretenir nos divisions, pour mieux régner… Hélas ! à force de jouer avec les allumettes dans les plis du drapeau tricolore, le feu finira par prendre. Pourtant, s’ils étaient collectivement animés d’une vraie conscience politique et d’un sens aigu des responsabilités, les gouvernants n’auraient pas esquivé l’essentiel.
Non, l’intégration ne va pas de soi !
Non, il ne suffit pas de brandir « les valeurs de la République » pour faire nation !
Non, faire de la politique ne place ni au-dessus des lois, ni hors du cadre de la morale !
Ces évidences, le sondage Ifop pour Synopia sur « les Français et la cohésion nationale », les confirment de façon cinglante. Les résultats claquent comme une gifle à la face de nos élites qui, décennie après décennie, ont entretenu les logiques partisanes et privilégié le court terme à des fins électorales, par facilité ou par manque de courage.
Un pouvoir plus légitime pour gouverner !
Ces mêmes élites affirment que nos institutions sont solides. S’il s’agit de protéger le haut de la pyramide française de toute forme de remise en cause, c’est exact. Mais s’il est question de l’indispensable légitimité du pouvoir pour gouverner et entraîner, c’est faux. Nos institutions reposent sur le sable brûlant d’une société fracturée, égarée, accablée par de multiples fractures et en proie à de nombreux ressentiments des uns envers les autres.
Par leur manque d’exemplarité et leur refus de penser le long terme, les élites politiques ont désorienté nos compatriotes. Ils ne sont que 32 % à considérer le fait d’avoir un destin commun comme « très important ». Devant, à 57 % se trouvent « nos droits et notre passeport »…
Nos chères valeurs (liberté, égalité, fraternité, justice, laïcité) sont, elles aussi, bien malmenées. 82 % des Français sondés disent ressentir un écart important entre ces valeurs et ce qu’ils vivent au quotidien. Et ils ne sont que 5 % à penser que nos dirigeants politiques nationaux les incarnent.
Au-delà de la division droite/gauche
Dans un autre registre, il est confondant de relever de tels écarts entre Français de droite et de gauche. Ainsi, à titre d’exemple, les symboles de la Nation (drapeau, hymne) ne sont plébiscités que par 37 % des socialistes et… 76 % des républicains. Les élites politiques ont de quoi se satisfaire : nous sommes bel et bien divisés ! Et de surcroît, en l’état de ce qui a été patiemment distillé dans nos cœurs et nos esprits, chaque camp pourra interpréter ces résultats à son avantage, pour mieux dénigrer l’autre. Sombre constat. Seule nouveauté, ce ne sont plus deux blocs qui se partagent le fauteuil du pouvoir. Mais au moins quatre, à parts plus ou moins égales. Conséquence directe, le pays risque de devenir complètement ingouvernable.
« Bâtir des ponts au lieu de construire des murs »
Cela ne peut plus durer. On ne bâtit pas une Nation en divisant son peuple, ni avec des incantations. Espérons que le prochain président de la République le comprendra, et qu’il saura, par son exemple, sa détermination et ses actions de fond, amorcer l’indispensable renaissance de l’État, du respect de la parole publique, de la culture du résultat et du sens de l’intérêt général. Car en définitive, nous ne pouvons pas compter sur la masse des élites politiques pour calmer le jeu, renoncer à séduire leur électorat et préférer les conflits idéologiques sans fin. Elles sont enfermées dans un cercle vicieux. C’est donc par le haut qu’il faudra s’attacher à reconstruire notre cohésion nationale, et en s’appuyant vraiment sur tous ceux qui, partout en France, œuvrent sans relâche et sans bruit pour « bâtir des ponts au lieu de construire des murs ».