Tribune d’A. Malafaye : « Quelle est la place du numérique dans la campagne présidentielle 2017? »

Le 9 juin 2016 dans le Huffington Post

En quelques années, le numérique a provoqué une révolution qui bouleverse notre société dans toutes ses dimensions et change en profondeur nos modes de vies et nos habitudes de consommation. Nous n’en sommes qu’au début tant les évolutions technologiques, les ruptures et les surprises stratégiques se multiplient dans le monde virtuel ou « nouveau ». Le monde réel, ou « ancien », fonctionne toujours, avec ses lois, parfois trop nombreuses et patiemment élaborées, mais un fait s’impose désormais: son clone virtuel absorbe sa substance (qu’on l’appelle valeur, argent, données, etc.), de façon inexorable et incontrôlée. Bien évidemment, il n’est pas question de rejeter notre jumeau digital en bloc. Il offre de très nombreuses opportunités, réelles ou supposées (selon Thomas Frey, Senior Futurist pour le DaVinci Institute, « 60 % des meilleurs métiers des 10 années à venir n’ont pas encore été inventés »), mais, pour le moment, ce transfert de richesses sans précédent, d’un monde à l’autre, fragilise les modèles économiques existant et amplifie les déséquilibres.

Face à ces changements aussi rapides qu’imprévisibles pour certains, la réaction des pouvoirs publics, en France et en Europe, est à la fois timide, partielle, décalée, tournée sur le court terme et concentrée sur les conséquences. Or, une chose est certaine, « régir » le monde virtuel, ne pourra pas se faire en copiant les recettes de l’ancien monde. Les réactions défensives, protectionnistes, ou punitives ne sont plus les bonnes, car elles auront toujours, un ou plusieurs, temps de retard. Par exemple, la problématique des taxis et d’Uber prend une autre dimension si l’on prend en compte l’arrivée prochaine des « Google car » sans chauffeur. Un changement de paradigme s’impose.

Certes, le bon diagnostic d’ensemble est difficile à poser. La compréhension de ce qui se trame est complexe. Pour autant, la question de fond est posée: comment notre société peut-elle ou doit-elle accompagner cette révolution? Pour l’instant, cette question paraît loin de figurer au premier rang des préoccupations des candidats, déclarés ou non, à l’élection présidentielle de 2017. C’est regrettable. D’autant que si l’on compare la France numérique aux autres pays de l’OCDE, notre pays accuse déjà du retard, en emplois créés et en part de PIB, notamment. Quant à l’Europe, elle a été incapable de fabriquer un champion susceptible de rivaliser avec les GAFA.
Les défis que nous pose la révolution numérique sont multiples. À titre d’exemple, nous en citerons cinq:

Le défi de nos libertés fondamentales et de l’usage de nos données personnelles

Des lois sont votées, ou des directives européennes prises, mais leurs effets sont, à ce jour, limités puisque les GAFA considèrent qu’elles ne leur sont pas applicables. Le droit est en Europe, mais les données sont stockées aux USA. Ici, la lutte ne se situe plus au niveau des États entre eux, mais entre ces derniers et des sociétés privées dotées d’une puissance financière démesurée et d’une ingénierie du numérique, tant juridique que technique, qui dépasse de très loin celle de la sphère publique.

Le défi de l’éducation

L’École constitue une priorité majeure. Il convient de lui donner des moyens appropriés pour apprendre à nos enfants à se servir de l’outil numérique sans lui appartenir (risque de « marque numérique » liée à l’impérissabilité des données) et à développer l’esprit critique permettant de gérer l’afflux permanent de données.

Le défi des algorithmes

Quelles réactions devons-nous avoir face à l’impact grandissant des algorithmes dans nos vies? Gardons à l’esprit le scandale du diesel Volkswagen. Quelles limites devons-nous leur fixer? Et quels contrôles exercer sur les algorithmes prédictifs du comportement humain, ou encore sur le développement de l’intelligence artificielle? Si nous n’y prenons pas sérieusement garde, les rôles s’inverseront un jour et l’homme deviendra l’instrument du numérique.

Le défi politique

Le moment n’est-il pas venu d’introduire une certaine interactivité avec le citoyen dans l’évaluation des problèmes et dans l’élaboration des solutions? Au niveau du pays, notre jumeau digital s’impose dans chaque partie de la société, et provoque de fait, dans chaque ministère concerné, des mutations structurelles profondes. Aussi, plutôt que de continuer à appréhender cette nouvelle réalité en ordre dispersé, en silos, ne serait-il pas opportun de « penser global »? Ne conviendrait-il pas de confier à un grand ministère unique du numérique la tâche de piloter la transition numérique au sein de l’État et de l’accompagner dans la société?

Le défi économique

Quelles limites fixer à la prolifération des plateformes numériques qui aboutissent à une désintermédiation massive? La réduction des coûts induits est certes intéressante pour le consommateur, mais elle entraine la suppression de nombreux emplois (et donc de consommateurs). En outre, les emplois du numérique sont à forte valeur ajoutée. Ceux qui perdent leur emploi dans le monde réel ne trouveront pas facilement un métier dans l’autre monde. Or, d’ici quinze ans, près de 50 % des métiers actuels auront disparu. Cette perspective percute de plein fouet l’impératif affiché par les candidats de réduire le chômage et donc de créer des emplois. Cette ambition est-elle réaliste, et surtout compatible avec le processus « d’ubérisation » de la société auquel nous assistons pour l’instant sans réagir? Comment reconvertir l’économie traditionnelle? Comment créer de nouvelles sources d’emplois et de croissance? Comment générer les sommes croissantes nécessaires au maintien de l’Etat-providence alors que l’ubérisation assèche les possibilités de prélèvement? Là sont les vraies questions.

Ces questions, Mesdames et Messieurs les candidats à l’élection présidentielle, nous vous les posons. Dites-nous dès à présent ce que vous comptez faire face à l’évolution de ce nouveau monde numérique qui est déjà le nôtre.

Pour lire cette tribune sur le site du Huffington, cliquez ici. 

Partager cet article :

EU! Radio – Chronique hebdomadaire de Joséphine Staron sur les enjeux européens

14/11/2024
PODCAST – 14 novembre 2024 – COP29 à Bakou : une COP pour rien ? PODCAST – 7 novembre 2024…
Thème de réflexion Europe

FRANCE INFO, « Le 14/16h » avec Joséphine Staron

13/11/2024
[PODCAST] 13 novembre 2024 : « Le 14h/16h » présenté par Martin Baumer avec Joséphine Staron, André Kaspi…

LCI, 13 novembre 2024 et nos derniers podcasts

13/11/2024
[PODCAST] 13 novembre 2024 : « LCI Midi » présenté par Christophe Moulin avec Joséphine Staron, Xavier de…

Europe 1 – Interview d’Alexandre Malafaye

11/11/2024
PODCAST – 11 novembre 2024 : « Europe 1 Soir » présenté par Pierre de Vilno avec Alexandre Malafaye,…

Victoire de Donald Trump : « It’s the People, stupid ! » – par Alexandre Malafaye

08/11/2024
Tribune publiée le 8 novembre 2024 par l’Opinion Nous n’avons rien compris à ce qu’il…
Publié par : L’Opinion
Thème de réflexion Démocratie & Institutions Monde

BFM Business – Good Evening Business

30/10/2024
PODCAST – 30 Octobre 2024 : « Good Evening Business » présenté par Guillaume Paul avec Alexandre Malafaye, Jean-Baptiste…

ARTE – « Le 19-21 » avec Joséphine Staron

24/10/2024
PODCAST – 24 octobre 2024 : Le 19-21, interview de Joséphine Staron sur le rôle…
Thème de réflexion Europe

FRANCE 24 – Joséphine Staron invitée du journal du 17 octobre 2024

17/10/2024
[PODCAST] 17 octobre 2024, Joséphine Staron était invitée de l’émission « Journal de 13h », pour parler…
Thème de réflexion Europe

« Alors que la démocratie politique vacille, la démocratie sociale peut être un stabilisateur ! », par Bruno Cathala, Michel Guilbaud, Jean-Claude Mailly et Alexandre Malafaye »

17/10/2024
Retrouvez la tribune signée par Bruno Cathala, Michel Guilbaud, Jean-Claude Mailly et Alexandre Malafaye, tous…
Thème de réflexion Démocratie & Institutions

SUD RADIO, « Mettez-vous d’accord » et nos derniers podcasts

08/10/2024
[PODCAST] 9 octobre 2024, « Mettez-vous d’accord » présenté par Valérie Expert avec Alexandre Malafaye, Noémie Halioua, Samuel Lafont…

« Rapport Draghi : dernières cartes à jouer pour l’Europe ? », par Joséphine Staron

15/09/2024
Retrouvez la tribune de Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales de Synopia…
Thème de réflexion Europe

CNews – 180 Minutes info, Joséphine Staron

11/09/2024
[PODCAST] 11 septembre 2014, 180 minutes info, animé par Vincent Fahandezh, avec Joséphine Staron, Clémence…