Le 9 juin 2016 dans le Huffington Post
En quelques années, le numérique a provoqué une révolution qui bouleverse notre société dans toutes ses dimensions et change en profondeur nos modes de vies et nos habitudes de consommation. Nous n’en sommes qu’au début tant les évolutions technologiques, les ruptures et les surprises stratégiques se multiplient dans le monde virtuel ou « nouveau ». Le monde réel, ou « ancien », fonctionne toujours, avec ses lois, parfois trop nombreuses et patiemment élaborées, mais un fait s’impose désormais: son clone virtuel absorbe sa substance (qu’on l’appelle valeur, argent, données, etc.), de façon inexorable et incontrôlée. Bien évidemment, il n’est pas question de rejeter notre jumeau digital en bloc. Il offre de très nombreuses opportunités, réelles ou supposées (selon Thomas Frey, Senior Futurist pour le DaVinci Institute, « 60 % des meilleurs métiers des 10 années à venir n’ont pas encore été inventés »), mais, pour le moment, ce transfert de richesses sans précédent, d’un monde à l’autre, fragilise les modèles économiques existant et amplifie les déséquilibres.
Face à ces changements aussi rapides qu’imprévisibles pour certains, la réaction des pouvoirs publics, en France et en Europe, est à la fois timide, partielle, décalée, tournée sur le court terme et concentrée sur les conséquences. Or, une chose est certaine, « régir » le monde virtuel, ne pourra pas se faire en copiant les recettes de l’ancien monde. Les réactions défensives, protectionnistes, ou punitives ne sont plus les bonnes, car elles auront toujours, un ou plusieurs, temps de retard. Par exemple, la problématique des taxis et d’Uber prend une autre dimension si l’on prend en compte l’arrivée prochaine des « Google car » sans chauffeur. Un changement de paradigme s’impose.
Le défi de nos libertés fondamentales et de l’usage de nos données personnelles
Des lois sont votées, ou des directives européennes prises, mais leurs effets sont, à ce jour, limités puisque les GAFA considèrent qu’elles ne leur sont pas applicables. Le droit est en Europe, mais les données sont stockées aux USA. Ici, la lutte ne se situe plus au niveau des États entre eux, mais entre ces derniers et des sociétés privées dotées d’une puissance financière démesurée et d’une ingénierie du numérique, tant juridique que technique, qui dépasse de très loin celle de la sphère publique.
L’École constitue une priorité majeure. Il convient de lui donner des moyens appropriés pour apprendre à nos enfants à se servir de l’outil numérique sans lui appartenir (risque de « marque numérique » liée à l’impérissabilité des données) et à développer l’esprit critique permettant de gérer l’afflux permanent de données.
Le défi des algorithmes
Quelles réactions devons-nous avoir face à l’impact grandissant des algorithmes dans nos vies? Gardons à l’esprit le scandale du diesel Volkswagen. Quelles limites devons-nous leur fixer? Et quels contrôles exercer sur les algorithmes prédictifs du comportement humain, ou encore sur le développement de l’intelligence artificielle? Si nous n’y prenons pas sérieusement garde, les rôles s’inverseront un jour et l’homme deviendra l’instrument du numérique.
Le défi politique
Le moment n’est-il pas venu d’introduire une certaine interactivité avec le citoyen dans l’évaluation des problèmes et dans l’élaboration des solutions? Au niveau du pays, notre jumeau digital s’impose dans chaque partie de la société, et provoque de fait, dans chaque ministère concerné, des mutations structurelles profondes. Aussi, plutôt que de continuer à appréhender cette nouvelle réalité en ordre dispersé, en silos, ne serait-il pas opportun de « penser global »? Ne conviendrait-il pas de confier à un grand ministère unique du numérique la tâche de piloter la transition numérique au sein de l’État et de l’accompagner dans la société?
Le défi économique
Quelles limites fixer à la prolifération des plateformes numériques qui aboutissent à une désintermédiation massive? La réduction des coûts induits est certes intéressante pour le consommateur, mais elle entraine la suppression de nombreux emplois (et donc de consommateurs). En outre, les emplois du numérique sont à forte valeur ajoutée. Ceux qui perdent leur emploi dans le monde réel ne trouveront pas facilement un métier dans l’autre monde. Or, d’ici quinze ans, près de 50 % des métiers actuels auront disparu. Cette perspective percute de plein fouet l’impératif affiché par les candidats de réduire le chômage et donc de créer des emplois. Cette ambition est-elle réaliste, et surtout compatible avec le processus « d’ubérisation » de la société auquel nous assistons pour l’instant sans réagir? Comment reconvertir l’économie traditionnelle? Comment créer de nouvelles sources d’emplois et de croissance? Comment générer les sommes croissantes nécessaires au maintien de l’Etat-providence alors que l’ubérisation assèche les possibilités de prélèvement? Là sont les vraies questions.
Ces questions, Mesdames et Messieurs les candidats à l’élection présidentielle, nous vous les posons. Dites-nous dès à présent ce que vous comptez faire face à l’évolution de ce nouveau monde numérique qui est déjà le nôtre.
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