La crise de la démocratie représentative qui couvait depuis des années et s’est traduite par le vote dégagiste lors de l’élection présidentielle, est loin d’être réglée. Les causes sont profondes et connues : insuffisance de résultats des politiques publiques, discours fondés sur des surpromesses entrainant des déceptions en chaîne, exemplarité très relative des dirigeants. En découlent un problème de légitimité des élus et des élites et, de façon corolaire, un problème d’acceptabilité des décisions publiques.
Devenue méfiante et défiante, la société civile n’est pas restée inerte. Mieux formés et très bien informés, les Français se sont organisés, à la fois pour demander à être associés à la fabrique de la décision publique, ou pour la contester. C’est ainsi qu’est née cette sorte de démocratie palliative qui prend appui sur le numérique et développe des concepts tels que la participation, la concertation, les pétitions en ligne, etc.
Pour autant, quelques soient les formes de démocraties nouvelles influent désormais sur la vie publique, il ne saurait être question de renoncer au modèle représentatif. Dans un pays ou une collectivité, il faut des responsables et une capacité à prendre des décisions. Cependant, il n’y aura pas de retour en arrière : nous sommes entrés dans l’ère de la démocratie augmentée, et il va bien falloir que le système de gouvernance publique s’approprie les expérimentations menées par la société civile. Il n’est plus possible de gouverner sans les gouvernés, ni de sauter par dessus le peuple entre deux élections. Les élus doivent cesser de s’illusionner en estimant que le fait d’organiser consultations locales répond au déficit structurel de démocratie.
A quoi s’ajoute une autre forme de contrainte pour les décideurs (publics ou privés) : les Français ont besoin de comprendre ce qui se trame sous leurs yeux et qui les engage. Plus que jamais, et sous de multiples formes, la quête de sens s’exprime. Elle est, elle aussi, le fruit des déceptions passées et impose de revoir les méthodes de gouvernance.
Tels sont les enjeux de la réforme institutionnelle engagée par Emmanuel Macron, et c’est dans ce contexte de vie politique sinistrée qu’il faut la replacer. Ne rien faire aurait été lourd de conséquences. Mais mal faire risque d’empirer encore la situation. L’enjeu dépasse, de loin, les querelles d’appareil. Il impose aussi de ne pas confondre la fin avec les moyens. En clair, le législateur devra se garder de tout recours aux gadgets, notamment ceux dont le numérique a permis le foisonnement. Même s’il paraît aussi astucieux qu’indispensable de faire le pari de l’intelligence (des Français), à la fin, ce qui importera, ce n’est pas que la démocratie soit participative ou délibérative mais qu’elle soit vraiment efficace.
Dans cette perspective ambitieuse, les corps intermédiaires ont l’impératif besoin de trouver le chemin de la réconciliation avec les Français. Ce qui nous ramène à un sujet déjà évoqué dans ces colonnes, la réforme du Conseil économique, social et environnemental (CESE). Par sa composition, avec la soixantaine d’organisations qui y siègent (syndicats, fondations, associations, etc.), le CESE constitue une émanation de la société civile organisée et donc un trait d’union judicieux entre les citoyens et l’autorité politique. Mais jusqu’à présent, si le CESE possède bien le statut constitutionnel de troisième chambre de la République, dans les faits, celle-ci s’apparente davantage à une chambre enfant… Ses avis sont insuffisamment pris en considération et la plupart des acteurs de la vie politique persistent à réclamer sa suppression pure et simple. Certains par calcul, beaucoup par ignorance du rôle réel, et utile, du CESE.
Il convient ici de faire preuve de responsabilité au regard des défis du renouveau démocratique. D’abord pour considérer qu’en l’état de détricotage du lien de confiance, trois chambres ne seront pas de trop pour œuvrer au remaillage des rapports entre les citoyens et leurs représentants, surtout si chacune des chambres voit son effectif réduit d’un tiers. Ensuite, pour profiter de cette réforme et clarifier les rôles et missions de chaque assemblée, moderniser les pratiques et ainsi contrer la lente dérive vers la démocratie directe. Et c’est là que les choses se corsent, car des forces qui se croient plus légitimes que d’autres – car élues – sont à l’œuvre pour contrarier cette redéfinition à trois. Illustration.
Parmi les grands axes de la réforme du CESE, deux méritent attention. Le premier touche à la fabrique de la loi. L’idée consiste à obliger le Gouvernement à saisir la « Chambre de la société civile » (probable futur nom du CESE), sur ses domaines de compétences et en amont du travail du Parlement, pour lui demander de rédiger un avis qui constituerait un document incontournable du processus législatif. Certains dénoncent cette proposition, arguant du fait que rien n’empêchera le législateur d’effectuer un travail similaire s’il le souhaite. Certes. Mais nous pouvons aussi gager que la bêtise ne l’emportera pas et que c’est au contraire l’addition des compétences et des sensibilités qui triomphera et favorisera une meilleure acceptabilité des lois, grâce à des textes davantage conçus à partir de la réalité.
Le deuxième axe porte sur les pétitions citoyennes en ligne dont le CESE deviendrait le centralisateur, charge à lui d’apporter les réponses aux auteurs des pétitions ou de les transmettre aux autorités concernées (lorsque celles-ci ont atteint un certain seuil). Toutefois, deux risques pèsent sur l’instauration de ce « guichet unique » de recueil des pétitions en ligne : le premier tient à ce que les deux assemblées parlementaires revendiquent aussi leur droit à recueillir en direct les pétitions. La lisibilité démocratique de cette avancée plaide pourtant en faveur du guichet unique. Le second concerne les seuils à partir desquels les citoyens auront la garantie d’une réponse. A ce stade, ils semblent trop élevés (on parle de plusieurs centaines de milliers) et nous serions bien inspirés de regarder ce que font les Britanniques : avec 10 000 signatures, les pétitionnaires obtiennent une réponse du Gouvernement, et à 100 000, le sujet est débattu au Parlement. En contrepartie, nous devrions exiger des plateformes qu’elles apportent une garantie de qualité des signatures recueillies (le votant doit être un internaute français majeur et il ne doit voter qu’une fois par pétition).
Ces deux exemples montrent bien que les élus n’ont pas tous pris la mesure du dégagisme et que l’exécutif, s’il veut véritablement mettre sur un pied d’égalité les trois chambres de la République, devrait accorder aux membres du futur CESE un droit de siège (sans droit de vote) à Versailles, lors des réunions du Congrès. Ici comme ailleurs, il faut placer l’intérêt des Français au centre des réformes institutionnelles, et non celui des appareils. Sans quoi, rien ne changera et de nouvelles déconvenues électorales sont à craindre.