Retrouvez cet article de Alexandre Malafaye, président Synopia, publié dans la Revue Politique et Parlementaire le 27 décembre 2023.
Dans cette lettre signée par Justin ENEZ, magistrat honoraire, Fabrice LORVO, avocat FTPA, et Alexandre MALAFAYE, Président de SYNOPIA, les auteurs expriment leur préoccupation quant au respect de l’équilibre des pouvoirs en France. Ils critiquent la démarche de l’exécutif appelant le Conseil Constitutionnel à corriger une loi sur l’immigration déjà adoptée par le Parlement, soulignant que cela contrevient à l’esprit et à la lettre des institutions. Les signataires appellent à un exercice complet des responsabilités par chaque pouvoir, mettant en garde contre le jeu dangereux de déguiser le renoncement aux responsabilités comme un pouvoir excessif du judiciaire. Ils concluent par un appel pressant au respect de l’équilibre des pouvoirs, soulignant l’importance de préserver l’esprit et la stabilité du système institutionnel français établi depuis 1958.
La loi sur l’immigration a été adoptée par le Parlement. Cela devrait marquer la fin du processus législatif. Et pourtant, l’exécutif appelle maintenant le Conseil Constitutionnel à la corriger, c’est-à-dire, en réalité, à refaire correctement la loi. L’objectif est de faire faire par le juge ce que la majorité présidentielle n’aurait pas réussi à faire dans le cadre de la discussion parlementaire. Si la stratégie politicienne est astucieuse pour sortir d’une impasse politique, elle est délétère pour l’esprit et pour la lettre de nos institutions.
La séparation des pouvoirs qui est inscrite dans la Constitution a pour but d’instaurer un contrepoids à l’exercice du pouvoir par l’exécutif, législatif et le judiciaire (ce dernier étant l’enfant pauvre de la trilogie).
Ces contre-pouvoirs sont destinés à corriger une erreur ou un abus possible de l’un des autres pouvoirs et non de substituer les uns aux autres. En effet cette mécanique vertueuse repose sur un postulat implicite qui est que chacun desdits pouvoirs exerce pleinement son rôle et assume les responsabilités de ses prérogatives.
Or, le Parlement exerce-t-il pleinement ses responsabilités en adoptant une loi dont certaines dispositions semblent manifestement contraires à notre constitution ? Le Gouvernement exerce-t-il pleinement ses responsabilités en espérant la sanction desdites dispositions par le juge constitutionnel ou en donnant des assurances que le texte final ne sera pas appliqué ?
Revenons aux fondamentaux.
L’exercice du pouvoir par le législateur suppose que les lois qu’il adopte soient conformes aux droits fondamentaux et à la Constitution.
Si le Parlement estime que ces textes supérieurs ne conviennent plus à notre temps, qu’ils doivent être réformés, sa responsabilité est alors de tenter de les faire modifier dans le cadre des procédures prévues. En revanche le peuple français ne peut pas comprendre que, dans sa démocratie, son législateur adopte un texte qu’il sait a priori contraire à la Constitution, c’est-à-dire que, consciemment, il se mette hors la loi suprême, qu’il soit, au sens propre du terme, déloyal.
Politiquement, renvoyer un texte à la censure du juge que l’on saurait certaine est un jeu malsain On entend déjà les femmes et les hommes politiques prétendre une fois de plus que les juges constituent un frein à la volonté populaire et qu’on vit sous le gouvernement des juges ! Pour qu’il y ait équilibre des pouvoirs, il faut que chacun l’exerce pleinement. Déguiser aux yeux du public le renoncement aux responsabilités des uns en pouvoir excessif des autres est un jeu dangereux.
C’est un coup sérieux porté à l’esprit et à la stabilité du système institué depuis 1958, dont le fragile et précieux équilibre a permis jusqu’à ce jour à la France de rester une république. Nos institutions sont saines, à condition de les utiliser correctement.
Alors pitié, respectez l’équilibre des pouvoirs !
Justin Enez,
Magistrat honoraire
Fabrice Lorvo,
Avocat FTPA
Alexandre Malafaye,
Président de SYNOPIA