De Woodrow Wilson à Donald Trump : les présidents dits « de paix » finissent toujours par appuyer sur la gâchette
par Jacky Isabello, Membre du Conseil d’orientation de Synopia
Dans la nuit du 22 juin 2025, les États-Unis ont frappé l’Iran ; trois sites nucléaires majeurs du programme iranien : Natanz, Fordo et Ispahan. Ces installations sont toutes liées à l’enrichissement de l’uranium et sont considérées comme stratégiques pour les capacités nucléaires de l’Iran. Les déclarations publiques du président Trump mettent l’accent sur la destruction des installations nucléaires iraniennes, sur la volonté de prévenir une escalade régionale et menacent, avec ce désormais célèbre langage imagé qui le caractérise, l’Iran du pire si ses dirigeants ne font pas la paix. Cette guerre contre l’Iran de 2025 n’est pas une surprise. En 2018, Donald Trump avait déjà claqué la porte du Joint Comprehensive Plan of Action, plus connu sous l’acronyme JCPOA, l’accord sur le nucléaire iranien signé par Obama. Est-ce que le bât blesse à moins d’un an de l’élection présidentielle et de ses promesses incessantes de paix et des commentateurs criant déjà au revirement ? L’histoire, quant à elle, hausse les épaules !
Le pacifisme électoral, à la fois narratif hypnotique et vieille ruse rhétorique
En 1916 déjà, le président Woodrow Wilson remporta sa réélection sur le slogan : « He will keep us out of war ». Une rhétorique de paix, pensée pour rassurer l’Amérique rurale et isolationniste, encore traumatisée par les conflits du vieux continent. Moins d’un an plus tard, Wilson engage les États-Unis dans la Première Guerre mondiale, invoquant la guerre sous-marine allemande et la nécessité de défendre les “droits de l’humanité”.
Cent neuf ans plus tard, un autre président, un autre slogan : en 2024, Donald Trump promettait le retour à une diplomatie de désescalade, critiquait les “guerres sans fin” et affirmait qu’un deal avec l’Iran était “à portée de poignée de main”. Les frappes du 22 juin, spectaculaires et coordonnées, enterrent cette promesse. Elles rappellent une quasi-loi politique non écrite : en campagne, les présidents américains se font poètes et clament des vers de paix. Puis, c’est en prose et avec une syntaxe souvent guerrière qu’ils exercent leur mandat.
Et si Trump et Wilson en sont les figures les plus emblématiques, ils ne sont pas les seuls. En voici quelques exemples : Barack Obama (2008) : élu sur la promesse de mettre fin à la guerre en Irak et à sortir d’Afghanistan, il a finalement augmenté la présence militaire en Afghanistan durant son second mandat. Lyndon B. Johnson (1964) : élu sur la volonté de consolider la paix et combattre la pauvreté, il a escaladé la guerre du Vietnam dès son élection, y envoyant des centaines de milliers de soldats notamment après l’incident du golfe du Tonkin. John Adams (1796) : faisant campagne pour la paix, après des frictions franco-américaines, il engage la « quasi-guerre » navale contre la France. Abraham Lincoln (1860) : élu pour préserver l’Union sans provoquer de guerre, a néanmoins dû réagir à l’attaque des Confédérés contre Fort Sumter provoquant, malgré lui, le début effectif de la guerre de Sécession.
Creel, Bernays, et le moment fondateur de la diplomatie du storytelling
L’épisode fait surtout ressurgir une question que Wilson, lui, avait su anticiper : comment convaincre un peuple réticent d’adhérer à une guerre qu’il n’a pas choisie ? En 1917, le président crée la Committee on Public Information, connue sous le nom de commission Creel. Une machine de persuasion d’une puissance inédite, orchestrée dans tous les recoins du pays, jusqu’aux cinémas et aux gradins de baseball, où 75 000 « Four Minute Men » récitèrent devant leurs audiences -famille, église, stade, rue- la nécessité de combattre l’Empire allemand.
Edward Bernays, neveu de Freud, père des relations publiques et membre de la commission, y voyait le grand laboratoire de la manipulation moderne. Il n’a jamais qualifié la commission Creel de “moment Spoutnik” — mais il aurait pu. Car c’en fut un : un choc révélateur, une bascule dans l’ère où l’opinion devient une matière à modeler, un actif stratégique. Ce moment où l’on comprit que gouverner, c’était aussi produire du récit ; un récit engageant.
Bernays théorisera ce principe dans ses écrits. Il inspirera l’industrie naissante des agences de communication, des « spin doctors », des narratifs politiques, des sondages, des récits calibrés et malheureusement parfois des mensonges éhontés (il enrôla des médecins américains pour vanter les effets positifs de la cigarette et du petit-déjeuner copieux : œuf/bacon). Le Trump que nous connaissons, showman et président, en est l’héritier flamboyant.
Consentement algorithmique et diplomatie ambivalente
Aujourd’hui, plus besoin de recruter des milliers d’hommes pour parler quatre minutes. Un seul tweet, un reel, une vidéo montée avec musique anxiogène suffit à retourner une opinion. Le peuple numérique s’émeut, se divise, et parfois adhère. L’effet Creel 2.0 opère à coup d’indignation virale et de filtrage algorithmique.
Trump, quant à lui, joue de cette machine comme d’une arme de déstabilisation. Il multiplie les injonctions paradoxales et déclare, comme souvent, tout et son contraire. Il menace l’Iran tout en saluant « le peuple perse » sur Truth Social. Il parle de paix tout en frappant fort. Il théâtralise la guerre en feignant d’en être prisonnier. Un classique.
Et maintenant : faut-il « désespérer » le cœur du réacteur MAGA ?
La question désormais n’est pas tant géopolitique que domestique. Quelle sera la réaction de l’électorat MAGA, ces millions de fidèles qui voyaient en lui un rempart contre les néoconservateurs va-t-en-guerre ? Accepteront-ils ce retour des frappes ciblées, eux qui exècrent l’État profond et les guerres des élites ?
Trump, doublement décoré des insignes d’inventeur de la diplomatie ambiguë et du concept de vérité alternative, a-t-il enfin franchi une ligne rouge ? Ou bien, sa contradiction sera perçue-t-elle comme une forme supérieure de cohérence ? En fin de compte, ce qui importe le plus pour sa stratégie reste de garder le contrôle du récit !
Jacky Isabello
Membre du Conseil d’orientation de Synopia
Fondateur du cabinet Parlez-moi d’Impact