Ce papier a été publié par l’Opinion le 7 novembre 2023
La proposition hélas mort-née du Président de la République visant à créer une coalition anti Hamas aura eu un mérite : celui de confirmer qu’aucun pays musulman ne condamne publiquement le Hamas. Au contraire. Certains États ont même profité de l’initiative française pour aller jusqu’à faire l’apologie du Hamas. Ainsi la Turquie et son président pour qui il s’agit d’un « groupe de moudjahidines qui défendent leurs terres ».
Chaque jour qui passe voit les lignes de clivage se renforcer et pose une question lancinante : avec qui faire la paix ? Pour la réussir, il faut être deux, au moins, et y avoir intérêt. Sur le continent européen comme aux États-Unis, nous ne le savons que trop et nos mémoires ne peuvent oublier le prix terrifiant payé par l’humanité aux deux grands conflits mondiaux du XXe siècle. Depuis 1945, nous nous battons sans relâche pour que « plus jamais ça ! »
Il semble hélas que tout s’oublie. Que faut-il pour que l’homme apprenne de ses erreurs ? La période que nous traversons laisse penser que l’envie d’en découdre risque bien de l’emporter sur la raison et le respect de la vie. Un sinistre parfum des années 1930 flotte dans l’air.
Les lignes de fracture sont désormais claires et se traduisent par des oppositions très frontales qui dégénèrent en conflit. Avec l’Ukraine, comme avec Israël, ces affrontements dépassent largement le cadre des belligérants en guerre.
Pour autant, les origines de ces deux conflits ne partagent rien de commun. Dans le cas de la Russie et de l’Ukraine, le Kremlin nous présente la facture de l’effondrement provoqué de l’URSS et de trente ans d’humiliations relégatoires. Leur motivation est pour partie dictée par la vengeance et le besoin de se protéger de la menace occidentale, notamment des missiles nucléaires américains, tout en gardant la mainmise sur la « petite Russie », refusant toute émancipation de sa part.
La motivation de l’agrégat musulman est d’une nature toute différente, à la fois politique, raciste, antisémite, antisioniste et anti-occidentale, et elle remonte aux origines de la création d’Israël. La réaction des pays arabes fut très claire : nous ne voulons pas de vous ici ! Et de fait, 24 heures après la déclaration d’indépendance de l’État d’Israël (le 14 mai 1948, date de la fin du mandat britannique sur la Palestine), les armées d’Égypte, de Jordanie, de Syrie, du Liban et d’Irak se sont coalisées pour bouter les nouveaux venus hors d’un sol qui devait rester sous contrôle arabo-musulman.
Les ressorts de ce rejet sont multiples mais il s’en trouve un qui paraît plus que probable : pour le monde arabo-musulman, et alors que l’impérialisme colonial amorçait son déclin, cette implantation d’une population occidentale – et juive de surcroît – était insupportable. La greffe ne devait pas prendre, à aucun prix.
Depuis 1948, rien n’a vraiment changé, et de Riyad à Téhéran en passant par Ankara (et certaines de nos banlieues et prisons), l’ambition de débarrasser la région de cette ultime colonie occidentale demeure, même si elle tendait à diminuer. Elle vient de se raviver et montre bien à qui ne profiter pas la paix. Il en aurait peut-être été autrement si Israël avait permis au fil du temps au proto-peuple palestinien de s’organiser et d’exister.
Bien sûr, avec les accords d’Oslo et la fameuse poignée de main entre Yasser Arafat et Yitzhak Rabin en 1993, un espoir était permis pour les Palestiniens. Mais tout s’est arrêté à partir de 2009 et le retour aux affaires de Benyamin Netanyahou.
En parallèle, beaucoup a été fait depuis l’extérieur pour tenter d’apaiser de trouver une issue et aussi normaliser les relations entre Israël et le monde arabe. Les accords d’Abraham (2020) viennent en témoigner, de même que l’amorce de pourparlers entre Israël et l’Arabie Saoudite. Mais si la « tête » arabe se montrait prête à regarder l’avenir en se disant qu’une mauvaise paix valait mieux qu’une bonne guerre et que la paix rapporterait davantage, ce n’était pas le cas de la rue arabe et encore moins celui de la rue palestinienne quelque peu oubliée – quelle faute ! – par ces accords. Les dirigeants des monarchies pétrolières sunnites récoltent la haine qu’ils ont semée et entretenue pendant des décennies et l’Iran chiite se frotte les mains. Il tient sa vengeance et ruine tous les espoirs.
Nous voilà revenus à la case départ, celle d’avant 1948. A ceci près que la situation n’est plus la même et que notre vieux monde se trouve en grand danger car il n’est plus en position de force. Pire, il est rejeté et bien souvent détesté par le reste de l’humanité et ces deux conflits ont accéléré la formation de nouveaux blocs durs aux intérêts certes très disparates, voire parfois opposés, mais unis sur un point essentiel : enterrer l’ordre mondial inventé au sortir de 1945 et imposer un nouvel ordre dans lequel l’Occident ne jouera plus qu’un rôle mineur, à la hauteur de son poids démographique (10 % de l’humanité). Là encore, il est toujours très facile de réécrire l’Histoire, mais si l’Occident avait fait preuve de moins d’arrogance, n’avait pas entretenu le modèle du double standard (« faites ce que je dis mais ne faites pas ce que je fais ») et si les Américains n’avaient pas menti à la tribune de l’ONU en 2003 et déclenché injustement la guerre en Irak, peut-être n’en serions-nous pas là.
Quoi qu’il en soit, certains veulent lire dans cette confrontation réorganisatrice entre pays, zones géographiques, valeurs et cultures un « choc des civilisations ». Malheureusement, pour qu’il y ait un choc de civilisations encore faut-il qu’il y ait des civilisations à opposer et c’est bien là que réside notre problème : la nôtre ne cesse de s’affaiblir. Nos adversaires l’ont compris et en profitent pour développer un art « de la guerre » qui permette de « soumettre l’ennemi sans combat » (Sun Tzu). De fait, dans notre époque cognitive, « l’ultime champ de bataille est le cerveau ».
Or, c’est bien dans nos cerveaux que se livre la bataille qui risque bien d’être la plus déterminante. À la fois parce que notre civilisation ne parvient plus à défendre son modèle ni ses valeurs, et parce qu’elle a laissé pénétrer en son sein le cheval de Troie l’Islam radical et politique. Profitant de nos bons sentiments et des fragilités de l’état de droit, ceux qui en sont sortis propagent leur idéologie, banalisent l’islam radical, installent peu à peu leurs relais d’influence (y compris dans le sport), consolident les liens de la communauté musulmane tout en ostracisant et menaçant ceux des leurs qui tentent de porter une parole modérée ou critique, organisent des zones dans lesquels prospère une contre-culture et surtout, rallient à leur cause une part grandissante de nos concitoyens non musulmans, tels des idiots utiles, qui sont tantôt sensibles à la cause palestinienne, tantôt pétris de repentance, souvent les deux à la fois.
Cette infiltration insidieuse des consciences s’invite même dans les rédactions, nombre de nos médias allant jusqu’à diffuser sans filtre ni vérification les bilans des victimes transmis par le Hamas. Certaines antennes publiques prétendent pourtant diffuser « l’info juste »… Ils entretiennent ainsi l’antisionisme de la population dans lequel l’antisémitisme se dissimule aisément. Quant à notre classe politique, une partie non négligeable a franchi la ligne de l’indignité. Nous pourrions parler ici de trahison nationale et républicaine tant ces insensés mettent en danger ce qui reste de cohésion nationale.
Il devient urgent que ceux qui gouvernent, en France comme en Europe, prennent la mesure de ce qui est à l’œuvre. Il faut tirer les leçons des prises de position que nous observons en France, en Europe et au Proche et Moyen-Orient. Il convient aussi d’entendre les silences, à commencer de ceux dont on comprend bien qu’ils préfèrent entretenir l’ambiguïté que de faire preuve de courage. Et se souvenir ce que Jacques Chirac avait fermement rappelé en 2003 : « Quand on s’attaque en France à un juif, il faut bien comprendre que c’est à la France tout entière que l’on s’attaque ».
Si l’idéal de paix, ici comme ailleurs, – tout comme le « vivre ensemble » –, peut justifier des compromis, en revanche, la défense de nos valeurs, de l’état de droit et de notre modèle de société ne doivent souffrir d’aucune compromission. Surtout quand nos ennemis de l’intérieur défendent des modes de vie rétrogrades et développent une société aux antipodes de la nôtre, quartier par quartier. Sans quoi, au lieu d’avoir le courage politique d’affronter les réalités, nous serons contraints à un lent renoncement civilisationnel, voire à la guerre civile si tous les cerveaux n’ont pas été corrompus d’ici là.
Par ailleurs, ce n’est pas un « Occident mou » et dans le déni qui pourra aider Israéliens et Palestiniens à trouver une solution de paix fondée sur le droit, la dignité et le respect mutuel.
Voilà pourquoi il ne faut pas se tromper de combat, même si nous nous désespérerons tous de voir tant de civils victimes des guerres, des systèmes totalitaires et des folies humaines. Cessons de tout confondre et soyons lucides. Car de Jérusalem en passant par Paris, Athènes, Rome, Madrid, Berlin, Londres, New York et Los Angeles, tout est lié par l’Histoire, le sang, des valeurs et des idéaux communs. Nous sommes nés dans le même « monde » et les ennemis d’Israël sont les mêmes que ceux qui, chez nous, se servent de l’état de droit pour prospérer, nous circonvenir et nous faire du mal. S’il était besoin de s’en convaincre, rappelons qu’en France aussi on assassine des enfants et des innocents (école Ozar Hatorah à Toulouse, Charlie, Bataclan, Nice, etc.), on coupe la tête de nos enseignants ou on égorge des religieux en scandant « Allah Akbar » (à la fois parole de prière et cri de guerre). La barbarie n’a pas de frontières. Nous pourrions aussi mentionner les multiples alertes à la bombe de ces dernières semaines. Voilà pourquoi notre soutien à Israël et aux Juifs doit être « inconditionnel ». Les Américains l’ont bien compris. Certains pays d’Europe aussi. Cette guerre, qui doit respecter le droit de la guerre, est aussi la leur, et la nôtre.
Certes, des responsables politiques israéliens devront rendre compte le moment venu. Certes, il faudra enfin trouver une issue à ce trop long conflit et imaginer un avenir politique qui permette à ceux qui s’affrontent depuis trop longtemps sur ce territoire d’y vivre en paix et en sécurité. Mais avant toute amorce d’un processus politique, Israël devra gagner sa « guerre » contre le Hamas. Si Israël devait, in fine, perdre cette guerre et un jour devoir quitter cette « Terre sainte », grande serait la victoire de ses ennemis, qui sont aussi les nôtres. Pour éviter qu’un jour si funeste n’arrive, nous devons choisir notre camp et le défendre, dans le respect de nos valeurs et de nos idéaux et le faire avec tous ceux qui les partagent, et sans jamais oublier un point essentiel : que nous soyons pro-Israël ou propalestiniens, pour nos ennemis, nous resterons des Occidentaux.
Alexandre Malafaye
Président de Synopia