Préfet de la Région Provence Alpes côte d’azur de 1993 à 1997, attaché à cette région, et aux hommes et femmes de toutes origines et sensibilités avec lesquels et grâce auxquels j’ai tenté de remplir ma mission, c’est en fonction de cette imprégnation forte que je voudrais ici mesurer les conséquences qui me paraissent résulter de la réforme de la Fonction Publique engagée par le Gouvernement.
Etre préfet à Marseille, cela implique, comme ailleurs mais plus qu’ailleurs, une compréhension des sensibilités et des passions locales, une capacité d’être l’interlocuteur de tous, d’être sans réserve ni ambigüité le représentant loyal du gouvernement légitime en place, tout en sachant que le service de l’Etat ne peut être une servilité d’un moment, mais la conscience d’un devoir permanent qui dépasse les aléas politiques. Même si les préfets passent très vite, ils se doivent d’être les acteurs et témoins d’une permanence, au-delà des changements qu’appelle très normalement le fonctionnement démocratique des institutions.
La capacité d’action d’un préfet résulte de ce statut et de cette image au moins autant que de ses qualités personnelles. C’est parce que l’on croit pouvoir compter sur une expérience et une objectivité que dans les circonstances graves que traverse un territoire, les différentes parties prenantes peuvent accepter que soient recherchées à la préfecture les solutions, le plus souvent concertées, qui permettront de dépasser l’obstacle. J’ai pu parfois bénéficier de cette acceptation. Ne la rendons pas plus difficile.
L’existence d’un corps dont les membres peuvent acquérir, dans des circonstances très différentes au gré des affectations, la connaissance des diversités et la pratique du dialogue au-delà des contingences d’un moment, est une force au service de la France. Ce professionnalisme n’empêche évidemment pas qu’à côté de carrières essentiellement préfectorales, des personnalités venues d’autres corps ou d’autres horizons puissent rejoindre ce corps ou occuper pendant un temps de leur vie professionnelle des postes de préfet ou de sous-préfet. Ainsi existe un socle sans que soit empêché le renouvellement et l’enrichissement.
Le projet en cours supprime le corps préfectoral tout en maintenant les fonctions de préfet ou de sous-préfet, qui deviendront des affectations parmi d’autres, venues du vivier de la fonction publique (ou d’ailleurs). En renonçant à la spécificité d’un corps, aux formations et traditions qu’il impliquait, la réforme engendre un double péril dont je crains qu’il ne soit une double fatalité.
D’abord la politisation : seront nommés préfets non pas d’abord celles et ceux et celles qui ont acquis et montré sur le terrain leurs qualités d’administrateurs, mais des missi dominici plaisant temporairement au pouvoir en place, et qui, comme tels, auront bien du mal à être les interlocuteurs crédibles dont tout gouvernement a besoin quand la crise, quelle que soit sa nature, sociale, environnementale, sécuritaire, terroriste, implique le rassemblement de toutes les énergies sans considération des étiquettes. Sur ce plan, la réforme ne rend pas les gouvernements plus forts, elle les prive d’un atout considérable. En cas de de mutation politique nationale, le pouvoir central savait pouvoir compter sur la compétence et le loyalisme des équipes préfectorales; il n’en a jamais été entravé dans l’application des nouvelles orientations, opérant seulement les mutations qui pouvaient lui apparaître opportunes. Il sera tenté désormais de se constituer à la hâte des équipes plus militantes qu’efficaces. N’est-ce pas ouvrir la porte à des alternances chaotiques ?
Ensuite une perte de compétence : même si ce n’est évidemment pas le seul parcours possible, le fait d’avoir connu les divers stades des affectations dans les départements, d’avoir bénéficié de l’expérience d’anciens chevronnés, d’avoir appris comme directeur de cabinet, secrétaire général, sous-préfet, comment fonctionnent les administrations qui agissent localement que ce soit pour l’Etat ou pour les collectivités locales, permet une adaptation de l’action aux diversités territoriales françaises dont depuis Paris on ne mesure pas toujours les singularités.
Les analystes ont depuis quelques années reproché à la haute fonction publique d’être le produit d’un système de reproduction trop étroit, de n’avoir pas su intégrer des talents moins normés, bref de s’être enfermés dans un entre soi. Le corps préfectoral, d’origine très diversifiée, qui a su intégrer des fonctionnaires de toutes origines et formations, et parmi eux des énarques, des militaires, des professeurs, des fonctionnaires venant d’administrations et de concours très diverses, est le contre-exemple de ce que l’on critique, et pourrait être vu comme le modèle, certes amendable, de ce que l’on recherche. Ce n’est pas le moindre paradoxe : Il est surprenant que pour atteindre un objectif, on commence par supprimer ce qui s’en rapproche le plus.
Hubert Blanc,
Préfet honoraire