Avant le tsunami COVID-19 , la “raison d’être” qu’elle soit interprétée au sens du mission statement ou au sens plus large de la loi Pacte, qui intègre les interactions avec l’écosystème des entreprises, était un sujet à la mode avec pléthore de prises de positions de dirigeants et d’annonces d’entreprises. La violence de la crise sanitaire s’est imposée comme un révélateur d’une part de l’utilité d’une raison d’être définie et partagée pour la conduite des affaires et d’autre part, de la cohérence de la raison d’être avec la réalité. Un stress test utile pour placer la raison d’être à un niveau stratégique et non comme simple outil de communication.
Le COVID 19, par sa violence et son ampleur est un révélateur de défauts mais aussi de qualités : L’alignement entre les paroles affichées des entreprises et leur capacité à agir face à l’urgence de la crise.
La raison d’être a-t-elle joué son rôle de cap ?
Lorsqu’elle était clairement affichée et partagée au sein de l’entreprise, la raison d’être a servi de cap, de guide et voire même d’accélérateur de performance dans le cadre de la crise. Quand chaque business unit, chaque salarié a une vision claire du rôle de l’entreprise et de son propre rôle pour contribuer à la réussite collective, le chemin s’éclaire. Les process de décision pour avancer et mettre en place les actions utiles sont raccourcis et laissent place à l’autonomie et à l’action. Quand la ligne est lisible, décliner stratégie et tactique se fait plus rapidement. Beaucoup des entreprises de l’agro-alimentaire, des systèmes d’information et des services essentiels, qui se sont trouvées en première ligne, ont démontré leur agilité à s’organiser tant leur raison d’être semblait évidente à chacun. A l’image de Barilla, dont la mission est de give people food you would give to your own children ou au sein de Suez dont le dirigeant a récemment indiqué “nos collaborateurs se sont pris en main, organisés eux-mêmes sur chaque site pour pouvoir continuer à fonctionner”. L’agilité de ces structures en temps de crise est une démonstration nette que la raison d’être est le cap qui permet de maintenir une action rapide (agile) et unifiée du collectif en tout temps.
La crise a-t-elle permis de passer de la parole aux actes?
Les entreprises ayant affiché un engagement social et environnemental ont pu illustrer concrètement leur intégration dans leur écosystème et la qualité du leadership humain ainsi que des décisions long terme guidés par une raison d’être partagée. La rapidité d’exécution et de mobilisation de ces entreprises, de leurs fournisseurs, distributeurs ou financeurs (en amont ou en aval), leur gestion respectueuse de l’ensemble des maillons de la chaîne ( des collaborateurs et clients en assurant leur sécurité physique et émotionnelle : communications régulières et transparentes, télétravail, maintien des salaires à taux plein, normes sanitaires ajustées, livraison sans-contact, etc. puis des fournisseurs : report d’échéances, paiements des factures, partage de propriété intellectuelle, etc.) démontrent la proximité et le partage de valeurs avec leurs parties prenantes et incidemment l’alignement avec leur engagement long terme. Ainsi, Danone a mis en place un dispositif de soutien de 300 millions d’euros pour aider 15.000 entreprises qui « gravitent » autour du groupe (prestataires de services, distributeurs indépendants, mais également agriculteurs). Soutenir son écosystème, c’est se tourner vers le futur et être aligné avec sa mission, c’est assurer la durabilité de l’entreprise et de son action sur le long terme.
En revanche, les entreprises pour lesquelles les paroles et les actes ont fait apparaître un hiatus entre leur raison d’être (ou la mission) affichée et la réalité opérationnelle sont maintenant face à l’urgence de corriger le cap pour éviter de perdre la confiance et l’engagement de leurs collaborateurs, clients, partenaires et investisseurs au moment ou un front uni sera clé pour faire face aux crises sociales et économiques qui s’annoncent. Pour Sanofi, l’accès à la santé pour tous s’est trouvé publiquement malmené.
S’il est peut-être encore trop tôt pour en tirer des leçons, pourquoi ne pas déjà voir la crise sanitaire que nous sommes en train de vivre comme un wake up call, un stress test, qui aura permis de recentrer les entreprises sur leur raison d’être pour garantir leur unité et faire face à l’incertitude d’un monde qui évolue toujours plus vite?
———————-
Cassandre Mariton-Segard, administratrice de Synopia, ancien avocat au barreau de Paris et au barreau de New York, mène depuis 10 ans, en qualité de dirigeant, conseil et administrateur d’entreprises, des transformations stratégiques, humaines et opérationnelles.
Dorothée Duron-Rivron, avocat de formation, accompagne depuis plus de 15 ans des dirigeants d’entreprises en stratégie de communication, avec une expertise particulière pour les situations complexes liées soit à un sous-jacent technique, soit à une transformation stratégique de l’entreprise.