Une semaine après l’interview d’Emmanuel Macron et à quelques heures de la dixième journée de mobilisation contre la réforme des retraites, quel regard portez-vous sur les relations entre les syndicats et l’exécutif ?
En quatorze ans de mandat de secrétaire général, je n’ai jamais connu ça. La seule fois où j’ai connu des difficultés de dialogue, c’était en 2006 au moment du Contrat Première Embauche (CPE). Ça avait duré quatre ou cinq jours, pas plus. J’avais repris l’initiative, en reprenant contact avec l’Élysée et rencontré un samedi matin le secrétaire général et la secrétaire générale adjointe pour voir comment on pouvait s’en sortir. Quelques jours après, on s’en est sorti.
En 2010, sous la réforme des retraites de Nicolas Sarkozy, il y avait des manifestations mais le dialogue a toujours existé, avec le gouvernement, le ministre du Travail de l’époque Éric Woerth ou avec Raymond Soubie, le conseiller social de Nicolas Sarkozy. Il y avait toujours des coups de fil pour sentir le pouls, discuter…
Une rupture aussi longue, je n’ai jamais connu ça et je trouve ça anormal. Dans une démocratie, il ne faut jamais rompre le dialogue, même dans une période difficile. C’est un très mauvais signe.
Comment est-on arrivé là ?
Je vois deux raisons essentielles. La première, c’est la conception qu’a le président de la République de la représentation syndicale. Il considère que la place des syndicats est dans l’entreprise, à l’échelle locale, mais pas au niveau national dans les discussions avec le gouvernement. Ils sont perçus comme un frein aux réformes. Ensuite, Emmanuel Macron n’a pas une culture du dialogue social. C’est quelqu’un qui décide tout seul et a du mal à écouter… à part son secrétaire général Alexis Kohler. Nicolas Sarkozy non plus n’avait pas cette culture du dialogue social, mais il déléguait beaucoup, à son ministre du Travail par exemple.
Est-il possible de reprendre le dialogue sur d’autres sujets que les retraites ?
La présidence d’Emmanuel Macron va encore durer quatre ans. Comme disaient Les Guignols, « Putain quatre ans, qu’est-ce que c’est long ! ». On ne peut pas dire que les discussions ne vont jamais reprendre, mais pour l’instant, c’est impossible pour le Président ou sa Première ministre de dire aux syndicats qu’ils sont prêts à les recevoir pour discuter de différentes choses… sauf des retraites. C’est hors du temps et de l’espace. Il y a un vrai problème de méthode, un côté amateur entêté.
Que faudrait-il pour les faire retourner autour de la table ? Une suspension du texte ?
L’intersyndicale fonctionne bien et a raison de demander le retrait ou la suspension pour pouvoir se remettre à discuter. Ce n’est pas elle qui refuse le dialogue, c’est l’exécutif. La solution de sagesse, c’est une suspension du projet, avant l’avis du Conseil constitutionnel. Que le gouvernement remette tout sur la table ! S’il acceptait de dire qu’on peut faire des économies – puisque c’est leur objectif prioritaire – autrement qu’en repoussant l’âge de départ à la retraite et de discuter de la relation au travail, je suis à peu près sûr que les syndicats retourneraient à la table de discussion.
Élisabeth Borne a libéré un créneau dans son agenda pour les recevoir le 10 avril. C’est trop tôt ? Ou trop tard ?
Cette invitation fait écho à la prise de parole d’Emmanuel Macron. À savoir qu’ils veulent bien discuter avec les syndicats, sauf des retraites. C’est du faux dialogue, c’est de la com’.
Que pensez-vous de l’état du pays ? Il y a des violences en marge des manifestations, la colère est palpable. Un drame peut-il arriver ?
Je n’ai jamais connu le pays comme ça, l’ambiance est très tendue. Les fins de manifestation sont compliquées et ce week-end, tout le monde a vu ce qui s’est passé à Sainte-Soline (Deux-Sèvres), même si ce n’était pas sur le dossier retraites. Malheureusement, oui, on est dans une situation où un drame peut arriver et ce serait la pire des situations.
Comme le gouvernement peut-il apaiser les tensions ?
C’est Emmanuel Macron qui annonce et incarne la réforme. Il est donc le seul à pouvoir éteindre la colère. En 2006 pendant le CPE, il y avait aussi ce sentiment de colère mais elle était dirigée contre le Premier ministre, Dominique de Villepin. C’est le président de la République Jacques Chirac qui avait sifflé la fin de la récré…
Ce serait un recul pour Emmanuel Macron qui a fait campagne dessus, non ?
Tout le monde a le droit de se tromper, y compris le président de la République. Ce n’est pas parce qu’on ne réussit pas quelque chose que notre vie est foutue. Il n’a pas réussi Normale Sup’, il est quand même devenu président de la République.
Un dernier mot, sur quelqu’un que vous avez bien connu. C’est la dernière semaine de Philippe Martinez à la tête de la CGT, que retenez-vous de ses huit ans à la tête de la centrale ?
Il est sympathique… quand on est d’accord avec lui !